© Belga

Jambon doit « se taire »

Pour les avocats « il est inacceptable que le ministre de l’Intérieur intervienne dans un dossier judiciaire en cours! ». Dimanche ce dernier a confié qu’il trouvait incompréhensible que l’homme de droit ait demandé l’irrecevabilité des poursuites pour son client lors du procès de la fusillade à Forest en mars 2016. De quoi déclencher un tollé au sein de la justice.

Dans un communiqué, les députées Sofie De Wit et Kristien Van Vaerenberghe ont rappelé que la N-VA n’avait pas soutenu la 6e réforme de l’Etat, qui a mené à cette scission. Du côté francophone, la co-présidente d’Ecolo Zakia Khattabi a elle aussi déploré l’attitude du ministre de l’Intérieur. « C’est quand même vachement confortable de faire de la politique à la N-VA. On ne s’embarrasse ni de la séparation des pouvoirs, ni de l’État de droit, ni d’un quelconque devoir de réserve », a-t-elle dit sur « twitter ».

Mais c’est surtout dans le milieu judiciaire que ça a grondé.

« La manière dont on traite la justice n’est pas admissible »

Avocats.be, l’Ordre des barreaux francophones et germanophone, a demandé dimanche au ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) « de se taire ». « L’impartialité est à la base de la séparation des pouvoirs », rappelle ainsi son président Jean-Pierre Buyle.

« Il est inacceptable que le ministre de l’Intérieur intervienne dans un dossier judiciaire en cours! », dénonce-t-il. « Qu’il s’occupe de la police et de la sécurité et laisse les avocats s’occuper du droit. Ceux-ci sont les seuls garants du respect des lois », ajoute-t-il. Que chacun fasse son métier dans un Etat de droit, résume-t-il. Le président d’Avocats.be constate d’ailleurs une évolution assez lente dans le manque de respect des pouvoirs exécutif et législatif vis-à-vis du judiciaire. Il a ainsi déjà relevé plusieurs éléments allant dans ce sens ces dernières années, évoquant notamment les demandes de levée d’immunité parlementaire sur lesquelles plusieurs parlements ont eu à se prononcer. « La manière dont on traite la justice n’est pas admissible », conclut Jean-Pierre Buyle.

Sven Mary : Avec ces déclarations populistes, il amadoue peut-être un large public mais ce n’est pas son rôle en tant que ministre

« Il est temps de rappeler au ministre Jambon les principes de la séparation des pouvoirs », réagit dimanche Sven Mary, l’avocat de Salah Abdeslam. « Le ministre met le tribunal sous pression dans un dossier très délicat. » « Il est inacceptable qu’un ministre en fonction s’implique dans une affaire pendante devant un tribunal », clame Sven Mary. « De cette manière, il met sous pression le tribunal dans un dossier délicat, avec un problème délicat. » « Je prends également acte du fait qu’il estime qu’on ne puisse demander l’acquittement pour quelqu’un comme Salah Abdeslam et affirme qu’un avocat n’est là que pour faire en sorte qu’une personne reçoive une peine correcte », poursuit l’avocat. « Ce n’est pas vrai, un avocat doit avant tout s’assurer que les règles de droit et de procédure sont respectées, même pour quelqu’un comme Salah Abdeslam. Avec ces déclarations populistes, il amadoue peut-être un large public mais ce n’est pas son rôle en tant que ministre. » « La N-VA doit peut-être aussi s’interroger sur la raison pour laquelle il n’y a plus de juge d’instruction bilingue à Bruxelles », analyse encore le pénaliste. « C’est le résultat de la scission du tribunal de première instance de Bruxelles en un tribunal francophone et un autre néerlandophone. »

Même son de cloche du côté flamand

Le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, semble ignorer ce qu’est le rôle d’un avocat, estime l’Ordre des barreaux flamands, à la suite des propos du ministre sur le procès de Salah Abdeslam.

Interrogé sur la VRT, M. Jambon a jugé incompréhensible la demande d’un acquittement du prévenu sur la base d’un possible vice de procédure fondé sur le respect des lois linguistiques. Selon lui, l’avocat Sven Mary a été « un pont trop loin ». « Le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, semble ne pas connaître le rôle d’un avocat dans un Etat de droit. Un avocat peut s’appuyer sur des vices de procédure et il appartient au juge, et non au ministre, de contrôler s’il y a un vice de procédure. Le juge ne peut être mis sous pression par qui que ce soit », a souligné le porte-parole de l’Ordre, Hugo Lamon. « Les avocats fournissent une assistance juridique et représentent leur client en toute indépendance. Il ne revient pas à un ministre de dire ce qu’un avocat peut ou ne peut pas faire. Un avocat doit veiller à ce que la loi soit appliquée correctement (…) Si une cause de nullité est prévue par la loi, il est du devoir de l’avocat de l’indiquer au juge. Si le ministre n’est pas d’accord avec les sanctions prévues dans les lois linguistiques, il ne doit pas pointer du doigt les avocats. Il doit demander au parlement de changer la loi », a ajouté M. Lamon.

Il est de coutume qu’un ministre ou un parlementaire observent un devoir de réserve à l’égard des procès en cours, a-t-il encore fait remarquer, « précisément pour éviter qu’une pression inappropriée ne soit exercée sur un juge ».

Contenu partenaire