© Frederic Pauwels

Interview de rentrée de la ministre de l’Enseignement

La ministre de l’Enseignement, Marie-Dominique Simonet, annonce en primeur qu’elle va rapidement réformer les deux premières années du secondaire. Au passage, elle se félicite de sa méthode, « celle qui part du terrain ». Et vante sa stratégie de la « multiplication des petits progrès ».

Dans son grand bureau lumineux voisinent un miroir acheté à Marrakech et la marionnette de Tchantchès, figure folklorique et emblématique de Liège, province d’origine de Marie-Dominique Simonet. En évidence, un livre : Israël, la nation start-up. Septembre 2012 est la « dernière vraie » rentrée de la ministre CDH qui pourra amorcer des changements. Parmi ceux-ci, les deux premières années du secondaire, appelées le « tronc commun », fabriqué par Marie Arena. Comment réformer ce premier cycle ? Deux pistes : supprimer des cours à options et délivrer à tous les élèves les mêmes cours, ou alléger sa structure. Marie-Dominique Simonet ne toucherait ni à la grille horaires ni aux options. Il s’agirait de « simplifier », d' »assouplir » ce que la ministre qualifie d' »usine à gaz » : un premier degré où cohabitent 1re et 2e années communes, 1re et 2e complémentaires, 1re différenciée.

Le Vif/L’Express : Quel bilan tirez-vous de vos années à la tête de l’Enseignement ?

Marie-Dominique Simonet : Moi, je ne suis pas encore à l’heure des bilans ! Mais j’ai un fil conducteur qui se fait jour : c’est mettre la pédagogie au c£ur de l’action.

Quelle est vraiment votre marge d’action ?

Elle est toujours plus faible que l’on peut l’imaginer. Il y a l’autonomie pédagogique, les réseaux sont autonomes. La Constitution prévoit la liberté d’enseignement. En même temps, il faut conserver un certain pilotage et respecter tout le monde. C’est pour cette raison que cette fonction est sensible.

Revenons à « La pédagogie au coeur de mon action ». On a envie de dire que cela ressemble à un slogan ?

Non. Les enseignants ont vécu ces quinze dernières années sous l’empire de la réforme. Ils ont dû absorber toute une série de décrets, de modifications sur les compétences [NDRL : l’enseignant doit autant enseigner le savoir-faire que les savoirs], les degrés… Mais sur le terrain, ces décrets n’ont pas toujours été ni compris ni mis en £uvre. Ils étaient assez théoriques, et les enseignants, pas toujours convaincus. Je suis partie de cette idée : si on mise sur la pédagogie, le potentiel de changement est important. Les enseignants sont alors prêts à faire évoluer leur métier.

« La pédagogie au coeur de l’action » : concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ?

Moi, je ne suis pas une spécialiste de la pédagogie. Ce sont les enseignants qui sont des professionnels de la pédagogie. Mais ils ne peuvent plus enseigner comme dans le passé ! Dans un monde en mutation, on n’imagine pas une seule entreprise continuer à travailler avec les mêmes méthodes. En pédagogie, c’est la même chose : il existe des méthodes, et parfois, il y a de moins bonnes méthodes. Moi, je vais chercher les enseignants, je vais sur le terrain. Et quand il s’agit de leur offrir des outils pour qu’ils deviennent plus performants, eh bien, ils sont demandeurs. C’est ce qui permet de les réconcilier avec nos objectifs, comme les compétences.

Les enseignants ne seraient donc pas résistants au changement ?

En tout cas, ils sont prêts à faire évoluer leur métier pour autant qu’ils aient les moyens de le faire, d’avoir des outils qui les servent.

Par exemple ?

Le « plan » dyslexie : 800 enseignants se sont portés volontaires. Ils ont reçu une formation, notamment avec Vincent Goetry, un spécialiste reconnu mondialement. Ils restent en connexion via le Net… Ces enseignants vont ensuite essaimer dans leur école. Voilà : si on veut améliorer la qualité de notre enseignement, il faut miser sur les pratiques enseignantes à tous les niveaux.

Voulez-vous dire que les réformes doivent venir des pratiques enseignantes elles-mêmes ?

Moi, je ne fais pas de réformes ! Faire des réformes, ce sont des nouveaux décrets et puis, ça reste là… On fait un décret « natation ». Tout le monde doit savoir nager. Très bien ! Et on apprend comment, où ? Moi, ce qui m’importe, c’est que ça bouge sur le terrain. Mais, ce que je ne veux pas, c’est outiller trois écoles ici, quatre écoles là : il n’en restera rien. Au départ, j’agis avec beaucoup de souplesse.

Vraiment ?

Oui et généralement sur des bases volontaires. Prenons le CE1D [NDLR : l’épreuve commune soldant les deux premières années du secondaire]. Au départ, quand nous avons commencé, il y avait 30 % d’écoles volontaires. Nous avons encouragé les écoles et, aujourd’hui, il y a plus de 60 %, 70 % des écoles. Résultat : le CE1D sera obligatoire dès l’année prochaine. Parce que j’estime que si 70 % des écoles font quelque chose, il est normal que les 30 % restantes le fassent aussi. C’est ma stratégie.

Parlons des résultats. Votre méthode est-elle une stratégie payante ? L’échec scolaire a-t-il reculé ?

Mais nous faisons plein de choses, dont on ne parle pas toujours. Le système est en train de changer. Nous lançons « Décolâge » de la maternelle jusqu’en 2e primaire, qui va fondamentalement modifier la pratique du redoublement. Grâce aux outils de pilotage [NDLR : le système d’évaluations externes mis en oeuvre par ses deux prédécesseurs, Marie Arena et Christian Dupont], on sait que 50 % d’élèves qui redoublent en 3e maternelle redoubleront avant la 4e primaire. C’est la preuve que le redoublement n’est pas efficace. Que voulez-vous, il n’est pas la solution. Il y a des gens qui ont vécu en pensant que la Terre était plate… Comment faire pour ne pas, malgré tout, recourir à cette mesure : ça, c’est du pédagogique. Nous développons des alternatives, des pratiques innovantes, pour proposer aux élèves un parcours adapté. Pour l’enseignement professionnel : nous avons misé sur la 3e année, où 63 % des élèves ne finissent pas leur parcours. Nous allons assouplir : plutôt que de rentrer en 3e professionnelle en ayant déjà une option, nous allons permettre aux élèves de tester trois options ou les autoriser, les premiers mois de l’année, à aller en entreprise. Tout cela pour aider l’élève à y voir clair et construire un projet. Nous avons aussi lancé les modules en 5e et 6e technique et professionnelle. Tout ça, ce n’est pas anecdotique. C’est le fruit d’une volonté politique.

Les projets que vous citez ont-ils été évalués ?

Des équipes universitaires les accompagnent et les dirigent. Mais après un an ou quelques mois, non. C’est trop tôt.

Mais vous avez quand même des premiers résultats ?

Oui, des premiers retours, et ils sont intéressants.

Vous lancez de nombreux projets pilotes, mais au fond quelle est votre vision d’ensemble ?

L’objectif est la qualité de l’enseignement. Comment ? Réconcilier les enseignants en les outillant et réconcilier l’élève avec l’école. Un enseignant qui a de bons outils et est performant aura un meilleur impact sur l’élève. Et un élève qui va mieux est plus motivant pour l’enseignant. Mais on ne pourra pas faire des miracles partout.

Pourquoi ?

Le manque d’argent.

Revenons à la qualité de l’enseignement. Pouvez-vous dire qu’elle a augmenté ?

Ah, ça… Avoir des enseignants qui se remettent en question, acquièrent de nouvelles pratiques, qui les partagent. Dans n’importe quelle entreprise, c’est un facteur d’amélioration.

Leur formation est tout aussi primordiale, tout comme l’entrée et la sortie dans le métier… On n’a pas vraiment l’impression que vous avez avancé sur ces points ?

En tout cas, allonger leur formation est sur la table. Mais on ne saurait pas l’allonger là, maintenant : le temps de trancher et de mettre en place… Là, je ne suis pas à la manoeuvre.

Et qu’en est-il de l’entrée et de la sortie dans le métier ? Là, vous êtes à la manoeuvre ?

Ecoutez, nous avions 10 millions d’euros sur la table, mon collègue [NDLR : Jean-Claude Marcourt, ministre de l’Enseignement supérieur] et moi. Il y a eu des mouvements, des grèves, et le gouvernement a remis 14 millions. Nous avons atteint 24 millions d’euros. A quoi ont-ils servi ? Augmenter les plus bas salaires et les primes de fin d’année. De mon côté, j’avais également réservé 10 millions d’euros pour la formation et au tutorat. Contrairement à ce qu’on a pu raconter, j’ai fait des propositions. Puis les syndicats ont souhaité que ce soit du salaire. Ces 10 millions ont été convertis en compléments de fin d’année.

Il y a justement, en octobre, un nouvel accord sectoriel qui doit se négocier…

J’insisterai sur le pédagogique, ça vous l’avez compris. J’avais ainsi proposé que les jeunes enseignants aient les horaires les moins lourds, que le tutorat serve surtout le jeune enseignant. La difficulté était de sélectionner le tuteur. C’est là-dessus que les syndicats ont bloqué. Moi, j’estime qu’il n’est pas bon que ce soient les enseignants qui en ont le plus marre, qui sont les moins motivés, au bout du rouleau, qui deviennent tuteurs !

Revenons un instant sur le CE1D. En le rendant obligatoire, il n’y a plus d’intérêt à conserver un CEB ?

Il ne faut pas arrêter l’un alors qu’on vient d’introduire l’autre. Mais à terme, oui, il n’y aura plus de CEB. C’est tout à fait logique.

Votre priorité pour les deux dernières années de votre législature, ce seront les deux premières années du secondaire ? Pourquoi tout à coup décider de s’y attaquer ?

La première chose est de faire un vrai tronc commun.

Pourquoi ? On fait semblant d’avoir un tronc commun ? Le tronc commun ne l’est pas encore assez. A nouveau, ce sont des choses qui ont été décidées alors que les avis ne sont pas toujours partagés.

Pourtant il a été lancé sous la législature précédente. L’urgence ne serait-il pas de l’évaluer ?

Justement, il faut en profiter. Je dis que j’interviendrai. Le travail est en cours.

Vous nous dites que vous allez réformer le premier degré du secondaire ? C’est cela ?

Oui… Allez, bon, aujourd’hui, le tronc commun est trop général. Il faut le rendre plus orientant. Aujourd’hui, vous avez ceux qui vont en 1re secondaire, ceux qui ont raté le CEB et qui vont en 1re différenciée… Enfin, c’est une vraie usine à gaz ! On fait des petites boîtes dans lesquelles on case les élèves : ceux qui ont des faiblesses, on les met ensemble. Cela fabrique du déterminisme.

Mais qu’est-ce que cela veut dire « plus orientant » ? L’élève doit choisir à la fin de la 2e secondaire. Or l’orientation n’existe pas. Si cela se passe bien, l’élève continue dans le général. Si cela se passe mal, alors on oriente au mois de juin. Ce n’est pas ça de l’orientation ! Or on sait que l’élève va devoir faire un choix, et il n’est pas préparé ! Allez, c’est comme si vous demandiez à un élève « Veux-tu aller aux Etats-Unis ou en Chine ? » Il ne connaît ni l’un ni l’autre… La question de l’orientation ne doit pas se poser le 30 juin de la 2e année.

Qu’est-ce qui va changer ? Allez-vous introduire des nouvelles matières plus « qualifiantes », en supprimer d’autres ? Il y a des options qui existent, qu’il faudra peut-être revoir. Il y a la 1re différenciée, qui accueille des élèves en difficulté. Il y a encore ceux qui réussissent leur CEB avec 55 %… Cela entre dans une réflexion qui est en cours, plus globale sur le premier degré. Mais je ne vais pas tout supprimer, je vais assouplir. Car ce système a atteint ses limites.

Le temps est court ? Il ne vous reste, en gros, qu’une année ? Oui, j’envisage un décret, si c’est ce que vous voulez entendre.

Y a-t-il une solidarité au sein du gouvernement ?

Sur mes matières ?

Disons que vous avez parfois été seule au balcon, que l’on pense à l’avant-projet de décret visant à aider les écoles pauvres en prélevant chez les moins pauvres, à l’idée de pousser les obligations horaires des enseignants…

Je ne peux pas vous faire une réponse là, comme ça… Il y a des moments où il y a de la solidarité et des moments où il faut aller la chercher. C’est le fonctionnement d’un gouvernement.

Sur 307 élèves sans école, 287 sont à Bruxelles ? Il y a un manque de places derrière ces chiffres. Il y a urgence… Ma mère me dit : « Oh, pauvres enfants, mais comment vous allez faire ? » Moi, ce que je voudrais dire, c’est qu’il y a des places mais dans certaines zones, pas où les parents le souhaitent. On sait que dans le nord de Bruxelles il faut construire des écoles. C’est un problème de construction ou d’extension. Et où est la demande ? Dans les écoles catholiques. C’est un problème de bâtiments, pas de décret. On enlève le décret, c’est la même chose.

Le Secrétariat général de l’enseignement catholique réclame plus de moyens ?

Sa demande est tout à fait légitime, si on veut que chaque réseau prenne sa part. Le réseau libre catholique n’est pas en mesure de le faire et la demande est forte.

Vous ne voyez donc aucun inconvénient à financer le réseau officiel et le réseau libre à parts égales ? Vous dites vous-même qu’il y a urgence. En Flandre, on a résolu le problème : la Flandre finance les réseaux de manière égalitaire.

Vous touchez à des sensibilités très ancrées ?

Ce que je réponds, c’est veut-on résoudre l’urgence ? Veut-on en faire une question idéologique ou pragmatique ?

ENTRETIEN : SORAYA GHALI

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