Thierry Fiorilli

Il n’y a pas deux démocraties en Belgique, il y en a au moins neuf

Thierry Fiorilli Journaliste

A ce stade, c’est magnitude 3,5. Intensité mineure donc : « ressenti mais sans causer de dommages. » Ecolo et le Vlaams Belang ont certainement un avis différent. Mais pour le reste, c’est comme si la terre n’avait pas tremblé. Il n’y a pas eu de séisme politique. Le pays est debout, entier, indemne. On verra, plus tard, s’il reste épargné (parfois, on découvre les effets dévastateurs longtemps après les secousses). Mais, là, on est très éloigné du chaos redouté depuis des mois.

Et donc, oui, au Nord, la N-VA a gagné. Mais sans affaiblir les trois partis « traditionnels », qui étaient au pouvoir au fédéral ou au régional. C’est comme si elle avait remporté l’étape-reine du Tour de France. Une étape, donc. Pas le Tour. Loin d’être fini. Et, oui, au Sud, le PS a reculé. Mais sans avoir laissé les clés de quoi que ce soit à qui que ce soit. C’est comme s’il avait été distancé, dans la dernière montée de l’étape prestigieuse. Mais qu’il était toujours leader du classement général.

Au bout, on se retrouve donc, dans la même situation qu’avant les élections. Il y a d’un côté la N-VA, psychologiquement incontournable en Flandre et rien qu’en Flandre, et de l’autre les six grands partis, au sens historique du terme, en mesure de gouverner partout. Au fédéral comme au régional. Ce qui revient à dire que le PS, le SP.A, le CD&V, le CDH, le MR et l’Open-VLD pourraient rempiler au pouvoir sans qu’il s’agisse d’un hold-up électoral, d’une gifle à la démocratie ou d’un bras d’honneur adressé à une communauté ou à une autre. C’est que, contrairement à ce que Bart De Wever répète depuis des années, il n’y a pas « deux démocraties en Belgique ». Il y en au moins neuf :
– deux en Flandre : celle qui a voté pour la N-VA (un tiers des Flamands) et celle qui a renforcé les libéraux, les socialistes, les écologistes et les chrétiens-démocrates (deux tiers des Flamands) ;

– trois en Wallonie : celle qui a voté pour le PS (un tiers des Wallons), celle qui a choisi le modèle MR (presqu’un autre tiers) et celle qui a opté pour tous les autres (le troisième tiers) ;
– quatre à Bruxelles : celle qui a voté pour le PS (26 %), celle pour le MR (23 %), celle pour les autres partis francophones et celle, néerlandophone, qui a donné sa voix à des partis flamands.

Partant de là, et toujours en se basant sur le raisonnement du patron de la N-VA (« La Flandre vote à droite et la Wallonie vote à gauche »), on pourrait davantage encore démultiplier, jusqu’à l’infini, le nombre de démocraties belges. Avec le PTB à Liège, le centre-droit en Brabant wallon, le PS dans le Hainaut, le CDH à Namur, etc.

D’autant que ce scrutin révèle d’autres messages. Comme le relève et le démontre Frédéric Panier, économiste belge à Stanford, sur le site de Politique, l’électeur flamand a demandé plutôt davatange de… gauche. Et le Wallon plutôt davantage… de droite. Il observe qu’au Nord, si on réunit les voix données au SP.A, à Groen et à l’équivalent flamand du PTB, le « bloc de gauche » augmente de 2 % par rapport à 2010, le bloc de droite (N-VA + Open VLD + Belang + Liste De Decker) diminuant de 4 % et le centre (CD&V) remontant d’1 %. Et c’est l’inverse côté francophone : – 5 % pour l’ensemble PS + PTB + Ecolo et + 5 % du vote à droite (MR + FDF + PP + La Droite…), le centre (CDH) perdant 1 %.

Pas de quoi transformer ce 25 mai en tremblement de terre. Mais assez pour confirmer que ceux qui ont gagné l’étape de dimanche ne finiront peut-être même pas le Tour. Comment dit-on ça en latin ?

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