Gérald Papy

Il n’y a pas de fatalité aux inégalités

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Que les ultrariches continuent à s’enrichir au moment où les pauvres s’appauvrissent sous les conséquences d’une crise dont la responsabilité ne peut leur être imputée apparaît légitimement insupportable à la majorité.

La progression la plus forte des élections législatives de dimanche dernier en Grèce a été observée dans le parti des abstentionnistes. Deux électeurs sur cinq ne se sont pas rendus aux urnes dans un pays où le vote est censé être obligatoire. La lassitude exprimée s’explique par la multiplication des scrutins mais aussi par le sentiment diffus que la marge de manoeuvre du futur Premier ministre, quel qu’il soit, est désormais limitée par les exigences de ce « machin » que serait devenue l’Union européenne. La conversion du leader de la gauche radicale Alexis Tsipras à la social-démocratie après le « non » référendaire au plan d’austérité européen le 5 juillet, en serait la plus spectaculaire illustration, même si cela ne l’a pas empêché d’être reconduit à la tête du gouvernement.

Un volet du baromètre politique La Libre Belgique-RTBF-Dedicated publié il y a une semaine situe dans notre pays l’ampleur du désintérêt croissant du citoyen pour la politique. 77 % des sondés en Wallonie se révèlent incapables de citer les deux partis qui se partagent le pouvoir à Namur (60 % des personnes interrogées du côté flamand pour la majorité en Flandre).

Et pourtant. Par l’effet mobilisateur des réseaux sociaux, par la quête accrue de démocratie participative en dehors des rendez-vous électoraux, par cette tendance sociétale à davantage prendre son destin en main, des mouvements citoyens ont acquis récemment une dimension inégalée. Certains, mobilisés en faveur des réfugiés dans plusieurs pays, ont infléchi l’attitude de dirigeants européens. Un autre, à la pointe de la lutte contre la corruption au Guatemala, a obtenu le 2 septembre la démission du président Otto Perez Molina.

Ces deux constats – renoncement à la participation aux élections, particulièrement observable au sein de la jeunesse en France, et, en revanche, accroissement de l’engagement dans des combats concrets – inclineraient à conclure que s’il est lassé de la politique politicienne, le citoyen ne se détourne pas de la gestion de la chose publique mais recherche d’autres formes d’action.

L’impuissance des dirigeants politiques à remédier au creusement des inégalités apparaît légitimement insupportable à la majorité

Le creusement des inégalités dont Thomas Piketty a su expliquer les mécanismes dans Le Capital au XXIe siècle et que la crise de 2008 a encore confortées a aussi contribué ces dernières années au désenchantement à l’égard de la politique. Que les ultrariches continuent à s’enrichir au moment où les pauvres s’appauvrissent sous les conséquences d’une crise dont la responsabilité ne peut leur être imputée apparaît légitimement insupportable à la majorité. Au même titre que l’impuissance des dirigeants politiques à y remédier.

Or, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, dans son dernier ouvrage La grande fracture, oppose à ce constat quelques notes d’espoir. A côté des traditionnelles démocraties scandinaves, il cite en exemple deux pays qui ont su combiner au cours de ces dernières décennies développement économique et réduction des inégalités. Deux Etats auxquels on ne prédestinait pas pareil hommage. L’un est asiatique et de pouvoir plutôt autoritaire, c’est Singapour. L’autre est africain et décrit comme une « démocratie parfaite » dans le classement de l’Economist Intelligence Unit (société appartenant au groupe de presse The Economist), c’est l’île Maurice. Le message de Joseph Stiglitz est clair. Des politiques volontaristes peuvent endiguer ce mouvement contemporain d’accroissement des inégalités. Si pareil objectif était érigé en priorité des gouvernants en Grèce, en Belgique, en Europe et ailleurs, nul doute que leur action contribuerait à réconcilier les citoyens avec leurs leaders politiques.

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