© Debby Termonia pour le Vif L'Express

« Il faut rendre la Wallonie sexy »

Le Vif

Patron du groupe Sonaca, Bernard Delvaux a de grosses ambitions pour l’économie wallonne. Il en appelle à une vraie politique industrielle et à des réformes en profondeur. Ce qui suppose d’élever le débat et de faire sauter quelques tabous entre partenaires sociaux.

Quand il n’est pas quelque part dans le monde au nom de la Sonaca, l’équipementier aéronautique basé à Gosselies et dont les bords d’attaques équipent les ailes de nombreux avions, Bernard Delvaux décortique l’économie wallonne et consulte tous azimuts pour faire avancer un ambitieux projet de réindustralisation du pays. Celui qui se définit comme un transformateur d’entreprises éprouve « un fort sentiment d’urgence ».

Le Vif/L’Express : Que pensez-vous de l’état économique de la Wallonie ?

Bernard Delvaux : Toute une série d’initiatives très positives ont été prises ces dernières années par la Région wallonne. Je pense en particulier au plan Marshall et aux pôles de compétitivité. Je le vois dans mon secteur, l’aéronautique. Cette logique de pôles génère une dynamique indéniable en mettant ensemble les universités, les grandes entreprises et les plus petites, cela fixe des priorités avec des moyens pour la recherche et développement, des mécanismes intéressants comme les avances remboursables ou les réductions de charges pour les chercheurs, avec un vrai support de l’administration et du politique wallons. Donc il y a du bon, il faut le dire et il faut que cela continue.
Mais…

Mais il y a aussi des points inquiétants. Je suis préoccupé par l’évolution de l’industrie en Wallonie. C’est important parce que c’est l’industrie qui génère les exportations, c’est là que se situe la richesse d’un pays : un pays qui exporte plus qu’il n’importe s’enrichit, un pays qui importe plus qu’il n’exporte s’appauvrit. Or, en Wallonie comme en Belgique, l’industrie exportatrice prend de moins en moins de place dans notre économie, ce n’est pas bon. Pendant tout un temps, on a cru que les services allaient remplacer l’industrie. Aujourd’hui, on se rend compte que les services ne peuvent pas remplacer l’industrie dans son rôle central pour une économie, que ce soit en matière d’exportations mais aussi en termes d’impact social : là où elle est présente, l’industrie crée de la cohésion sociale par l’emploi qu’elle génère, notamment auprès des personnes peu qualifiées. Or, qu’observe-t-on chez nous ? Des industries réduisent la voilure, d’autres disparaissent ou délocalisent et très peu s’y installent.

Il faut inverser la vapeur ?

Regardez les Etats-Unis, ils redéployent massivement leur industrie et font tout ce qu’ils peuvent pour faire réimplanter un maximum d’entreprises manufacturières sur leur sol. Je ne compte plus les gouverneurs américains qui me contactent pour voir comment ils peuvent aider la Sonaca à s’implanter dans leur Etat, ils viennent avec toute une batterie d’aides possibles. Il faut faire la même chose chez nous : attirer les investisseurs industriels. Il faut rendre la Wallonie sexy. Je sais que c’est une façon un peu bizarre d’en parler mais je crois vraiment que c’est l’enjeu : comment faire de la Wallonie et de la Belgique un bon coup ? Il s’agit d’améliorer notre compétitivité industrielle et donc notre attractivité auprès des investisseurs industriels. C’est l’enjeu principal de la prochaine législature.

Et que préconisez-vous ?

D’abord, le coût du travail est un vrai problème. On dira : et voilà, il nous ressort l’éternel refrain patronal mais cela n’en est pas moins vrai. La réalité, c’est que la Belgique a un des coûts horaires les plus élevés d’Europe. Pendant tout un temps, cela a été compensé par une productivité plus élevée elle aussi mais, c’est de moins en moins vrai. La solution, ce n’est pas de ramener les salaires belges au niveau des salaires chinois, le salaire net ne doit pas baisser. Mais il faut parvenir à réduire les charges sociales de façon très significative, je propose 20%, non pas unilatéralement mais de façon ciblée sur les entreprises exportatrices et en concurrence avec l’international. Ce faisant, on se donne quelques années pour maintenir les emplois industriels existants et en attirer d’autres.

L’Etat peut-il se le permettre ?

Il faut compenser ce non-perçu par l’Etat, de l’ordre de 7 à 8 milliards d’euros par an, par toute une série d’actions dans d’autres domaines. Par exemple, on peut revoir les aides à l’emploi qui, quand on additionne les mesures fédérales et régionales, représentent 11 milliards d’euros par an. On peut aussi revoir l’impôt des sociétés. Par exemple, imaginer d’autres systèmes que les intérêts notionnels, et lier les exonérations à l’emploi créé, à l’investissement en infrastructures ou en recherche. Cela serait plus utile pour l’Etat et pour tout le monde.

Entretien Paul Gérard


Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, l’intégralité de l’interview. Avec :

– Faut-il aussi envisager une autre fiscalité sur le patrimoine ?
– Le compromis à la belge serait-il un problème ?
– La politique énergétique wallonne est à côté de la plaque?
– Bernard Delvaux aurait-il des ambitions politiques ?
– Pourquoi avoir décliné la direction de Belgacom ?
– Pourquoi en être parti lorsque Didier Bellens est arrivé ?
– « Je comprends Johnny Thijs »

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