Jonathan Holslag

« Il est grand temps de cesser de transformer nos filles en ‘petites traînées Primark' »

Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

Jonathan Holslag a lu le livre Graailand (que l’on pourrait traduire par Pays des Grappilleurs) de Peter Mertens (PTB) et lui donne raison sur de nombreux points, mais il soulève aussi une objection : « Ce n’est pas parce qu’il vise les gens fortunés et les politiques que le reste de la population ne doit rien faire. »

Récemment, j’ai accédé à la demande du PTB de débattre avec le président Peter Mertens au sujet de son livre Graailand (Pays de Grappilleurs). Celui-ci est bourré d’exemples parlants. Coïncidence, au même moment, le magazine français Paris Match visitait l’appartement de Raoul Hedebouw, le porte-parole du PTB. Le journaliste s’étonne de la sobriété de son intérieur. Je suis allé vérifier et effectivement : une étagère qui semble venir de chez Ikea, des carreaux en céramique probablement issus d’une usine asiatique… Quel dommage, je me suis dit. Votre salaire vous permet de booster votre économie et vous dépensez votre argent chez Ikea.

Comprenez-moi bien, moi aussi je trouve que la politique doit être une vocation et non un métier. Et c’est noble qu’Hedebouw laisse tomber une partie de son salaire et se contente de 1600 euros par mois. Cependant, cette sobriété n’est pas du tout la solution du malaise économique. Il y a d’autres façons de donner l’exemple et de redistribuer l’argent. Investissez en produits locaux et durables par exemple : une petite armoire fabriquée par un bon ébéniste ou des dalles du Hainaut. C’est solidaire et beaucoup plus beau. Il n’y a pas de mal à gagner de l’argent honnêtement, tant qu’on le dépense équitablement et qu’il contribuer à créer des opportunités pour un entrepreneuriat positif.

Cela me conduit à émettre une critique importante contre le livre de Peter Mertens. Il a raison sur de nombreux points, et ce qu’il écrit est captivant, mais il se focalise un peu trop sur la lutte contre l’élite. Il est évident que certains membres de l’establishment portent une responsabilité écrasante dans la crise bancaire, mais l’honnêteté m’oblige à dire que je connais beaucoup de banquiers, d’entrepreneurs et de personnes fortunées intègres. Ce n’est pas parce qu’il vise les gens fortunés et les politiques que le reste de la population ne doit rien faire. C’est également une critique importante contre le livre « Toekomst in eigen handen » (L’avenir dans nos propres mains) du président du Vlaams Belang Tom Van Grieken : on ne peut être à la fois patriote et nous décharger de la responsabilité de nos problèmes sur les migrants ou les institutions européennes, tout comme vous ne pouvez attendre de la solidarité de personnes qui vont dépenser leurs derniers sous dans les boutiques de dumping. Pour le prolétariat, aller chez Ikea n’est vraiment pas un acte héroïque.

Ce n’est pas toujours simple, mais il y a des alternatives. Comme professeur, je gagne plus que la moyenne des gens, et j’essaie systématiquement de dépenser mon argent en produits européens et de préférence locaux fabriqués de façon éthique. Oui, je fais mes courses au Colruyt, mais aussi dans la chaîne magnifique de produits locaux d’Ici. Et je voyage beaucoup, mais depuis la reprise allemande, j’essaie aussi de voler un maximum avec Brussels Airlines, ne serait-ce que parce que les hôtesses belges arborent un beaucoup plus beau sourire. Pour mon bureau à la VUB, j’ai mobilisé un ébéniste de mon village et j’ai acheté un fauteuil très confortable, le tout fabriqué dans de bonnes conditions en Belgique. Gagner de l’argent n’est vraiment pas un péché, mais nous devons réaliser que notre salaire dépend en partie des opportunités économiques que nous créons pour d’autres personnes dans la société.

Il est grand temps de cesser de transformer nos filles en u0022traînéesu0022 Primark

Je voudrais défier Peter Mertens, tout comme Tom Van Grieken et d’autres politiques, de refaire de notre marché un ciment. C’est possible uniquement en inculquant l’intérêt de la qualité aux gens. Celui qui ne veut pas être traité comme de la camelote sur le marché du travail ne peut pas dépenser son argent à de la camelote, et certainement pas à de la camelote d’une marque chère. En partie, cette conscientisation doit avoir lieu par le biais de l’enseignement et de l’éducation. Il est grand temps de cesser de transformer nos filles, comme les Néerlandais l’expriment assez durement, en « traînées » Primark. Pour cela, nous avons besoin de marques fortes. À quoi bon laissez détruire notre d’économie par le dumping et ensuite devoir supplier d’exporter quelques tonnes de poires subsidiées en Inde ? Le ton est peut-être un peu ferme, mais c’est de cela qu’il s’agit.

Je crois en la solidarité et en un marché honnête et généreux en opportunités pour tous les employeurs et entrepreneurs qui livrent de la qualité et estiment les talents de chacun à leur juste valeur. Un tel projet, chers Tom, Peter, Raoul et tous les as de la politique belge, peut cimenter les visions politiques : les libéraux, les socialistes, les patriotes, etc. La politique ne doit pas toujours être contre quelque chose. Plus est en nous!

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire