© Reuters/Jean-Paul Pelissier

Homosexuels : « Non à la dictature du tous dans le même moule »

L’électorat homo est-il en train de glisser vers la droite à cause de problématiques sécuritaires ? A-t-on vraiment fait évoluer les droits des homosexuels ? Pour Zoé Genot, députée fédérale Ecolo, et Jean-Jacques Flahaux,ex-député fédéral MR, même si des avancées ont vu le jour, il reste encore beaucoup à faire pour avoir le « droit à l’indifférence ». Résumé du chat de ce matin

Pourquoi la question de « virer à droite » se poserait-elle en Belgique ? Vu l’ouverture d’esprit de ce pays, parmi les pionniers en termes de droits homosexuels, peut-on réellement imaginer que, jusqu’ici, les homos belges étaient majoritairement de gauche ?
Zoé Genot : L’ouverture est quand même le fruit d’un travail quand on a commencé a bossé sur les droits égaux, les sondages étaient majoritairement hostiles à l’ouverture au mariage et à l’adoption, il y a moins de dix ans…
Jean-Jacques Flahaux: Il est important de dire que si les lois essentielles ont été votées, par contre il faut encore oeuvrer pour changer les comportements. Ce qui s’est passé récemment, le drame de liège le montre à suffisance. Mais les refus de louer à des gays ou les licenciements pour homosexualité se déroulent encore chez nous. J’ai pris un risque personnel en étant le premier bourgmestre et le premier député gay à me marier, mais je pense que cela a permis à beaucoup de jeunes gays de se dire qu’ils étaient différents, mais normaux

Est-ce que les gays/lesbiennes ont un jour massivement voté à gauche ? J-J F: Je pense que beaucoup de gays votaient déjà cdH ou MR mais à présent, ils sont davantage recentrés à droite ou au centre, car leurs préoccupations actuelles sont davantage prises en compte par le MR ou le cdH. Je pense aussi que les remises en question du statut de la femme ou des gays par certaines communautés religieuses catholiques ou musulmanes entraine une poussée à droite des gays

ZG: Un phénomène qu’on a pu observer, c’est une certaine solidarité entre minorités , entre militants… Les LGBT ont bien sûr aussi les mêmes préoccupations que le reste de la population : en fonction de leurs intérêts, ils et elles votent pour plus de justice sociale ou moins… Les interventions insupportables de Monseigneur Leonard pousseraient les gays à droite ? 😉 J’en doute…

J-J F: Je ne pense pas, mais longtemps la droite a été influencée par l’Eglise catholique et l’ouverture des libéraux aux catholiques dans les années 60 a ralenti l’ouverture des libéraux aux gays, mais là on est revenu à l’esprit des libéraux du 19ème siècle Quand Mgr Leonard alors évêque de Namur a fait ses premières conneries, je suis allé devant le palais épiscopal de Namur avec mon écharpe et j’ai eu droit à une interpellation hard de la chef de groupe cdH de ma commune à ce sujet

ZG : N’y a t’il pas aussi un certain suivisme de la majorité ? En Flandre, où les mentalités ont évolué plus vite, où le travail dans les écoles est beaucoup plus développé, le VLD a rejoint plus vite les combats pour les droits égaux
J-J F : Oui d’ailleurs Katia della Faille et Maggie Deblock travaillaient activement avec moi (et d’autres) sur les holebis, alors que les partis chrétiens ont toujours été très « réservés ». C’est un fait qui a montré que les lois sont importantes, mais changer les mentalités est plus fondamental encore. À cet égard, l’école est un vecteur important, car les enfants sont souvent très méchants entre eux. J’ai été enseignant et le non-respect des gays ou des « pédés » est encore très hard dans les écoles

Le premier meurtre apparemment homophobe, près de Nandrin, pourrait-il inciter la communauté gay de Belgique à se sentir davantage menacée qu’auparavant et donc, pour des raisons sécuritaires, être désormais plus tentée par un vote de droite que de gauche ?
ZG : Mais le travail sur la sécurité des personnes et particulièrement des gays a été lancé par nous ! Qui a dénoncé les agressions dans les parcs et les parkings, sans plaintes déposées ? L’attitude parfois intimidante de la police pour certains gays encore discrets ? La nécessité de former les policiers ? Et puis d’avoir un vrai suivi des courageux qui portent plainte ! La ministre de la justice m’annonce une priorité, mais après les priorités du Plan national de sécurité. L’année passée, nous avons organisé un débat avec la section policière de Liège, connue dans le milieu : une initiative à répandre. Les agressions homophobes, et le dernier meurtre montre, que malheureusement l’homophobie, en milieu populaire par exemple, reste répandue. Eh oui , le dialogue et la rencontre sont la meilleure réponse. Fontainas, Liège, les agresseurs étaient des « belgo-belges », ça n’enlève rien à la violence des faits. Stop à l’instrumentalisation du combat contre l’homophobie contre les musulmans. Oui au travail de dialogue, de rencontre pour faire avancer les mentalités… !

J-J F: C’est vrai que la Police est aussi un vecteur important et je trouve que nous devrions aussi inciter la ministre de l’Intérieur à promouvoir l’engagement de gays dans la police, comme cela se fait à Amsterdam pour que les policiers soient plus baignés dans cette réalité

Le gayfriendly en politique n’est-il pas un phénomène de mode ? ZG : Alors j’espère que cette mode durera ! Et quand on voit en sport, en foot, par exemple, être homo reste encore tabou… Y ‘a encore du boulot !
J-J F: Il y a de cela, mais tout le monde n’est pas encore gayfriendly mais le plus important est le grand soutien des femmes, car elles comprennent que leur combat est lié à celui des gays. Zoé a raison pour le sport: c’est encore difficile de s’affirmer gay. Mon échevin des sports est gay aussi, Maxime Daye et cela fait avancer les choses dans ce milieu

A-t-on vraiment fait évoluer sur les droits des homosexuels ? On autorise l’adoption pour les parents homos tout en sachant que c’est perdu d’avance. La majorité des associations d’adoption exigent que les parents soient hétéros et mariés, mais même les couples hétéros ont peu de chances de voir leur demande d’adoption aboutir. N’est-il pas temps dès lors d’accorder la gestation pour autrui ? Il y a en effet une inégalité flagrante entre un couple lesbien (l’une des deux peut porter un enfant en recourant à l’insémination) – ce n’est pas le cas pour un couple d’hommes.

ZG : Mon combat est un combat de liberté quand celle-ci n’empiète pas sur celle des autres… Musulmanes , athées , lesbiennes, chacune doit pouvoir faire ces choix de vie et les voir respecter. Si on donne des heures de piscine aux clubs lesbigay, l’égalité veut qu’on en donne aussi aux autres communautés, non ?

J-J F: Je suis pour la gestation pour autrui et il faudrait condamner les organismes d’adoption qui refusent les adoptions d’homosexuels

N’y-a-t- il pas une un problème de court-circuitage dans certains partis de gauche entre vote ethnique (séduction des populations d’origines allochtones aux valeurs souvent opposées aux gays) et lutte contre l’homophobie ? ZG : Certains prédicateurs polonais et évangélistes ont aussi encore du boulot à faire. Mais je pense vraiment que la seule façon de les faire au moins avancer vers un discours condamnant le rejet est de les rencontrer, de casser les fantasmes… Les combats pour les minoritaires sont les mêmes : non à la dictature du tous dans le même moule !

J-J F : Pour les combats à venir, il faut d’abord faire en sorte que tous les pays de l’Union européenne reconnaissent les mêmes droits et là il y a encore du boulot: il faut donc que le Gouvernement belge mette cela sur la table du Conseil européen. C’est clair que les évangélistes qui se développent très fort chez nous sont archi conservateurs aussi sur le plan des gays ou de la théorie de l’évolution et là il faut dialoguer certes, mais être intraitables sur le respect de nos lois. Je n’ai pas compris la dictature de tous dans le même moule: pour moi un gay d’Arabie saoudite doit avoir les mêmes droits qu’un gay belge

ZG : OK pour les combats au niveau européen indispensables. Mais ici aussi, il reste vraiment du boulot. Beaucoup de jeunes me disent qu’à l’école le sujet n’a jamais été évoqué, qu’ils se sentent encore terriblement isolés et perdus… Tous dans le même moule : non au fait de devoir être tous pareils : on a le droit d’être « folle », transgenre, voilée, punk, …

La Belgique est un des rares pays à autoriser le mariage entre personnes du même sexe. Un retour en arrière est-il envisageable ?

ZG : NON ! Pas de retour en arrière possible et l’acceptation augmente chaque année… Et il reste des combats : un vrai débat sur la possibilité de donner son sang, une nouvelle loi sur la transsexualité, des budgets pour les animations des plannings, ….
J-J F : Il est hors de question de revenir en arrière et je salue les déclarations courageuses de Obama. Au Parlement je n’ai pas arrêté de titiller Laurette Onkelinks sur le don de sang, car là même le gouvernement de droite suédois est plus en avance que la Belgique

Monsieur Flahaux, si ces lois sont essentielles pourquoi votre parti ne les a pas soutenues ?
J-J F: On ne peut pas dire que le MR n’a pas soutenu, mais il y avait la liberté de vote et pas mal de personnalités ont voté pour comme Olivier Chastel, actuel ministre du Budget. Mais comme je l’ai dit l’ouverture des libéraux aux catholiques dans les années 60 a fait en sorte que des parlementaires libéraux catholiques ont donné le ton, comme de Donnéa. Mais bon aujourd’hui c’est le passé et notre parti est largement ouvert : le fait que je sois bourgmestre MR ouvertement gay et que ce soit le cas pour plein d’autres communes est intéressant

Que peuvent encore promettre les politiques comme avancées pour les Holebys ? J-J F : Il faut casser toutes les situations d’injustice et faire condamner durement les actes homophobes en les requalifiant plus durement. Il faut aussi faire en sorte que les écoles fassent leur devoir: les profs doivent pouvoir ouvertement être gay sans que ce soit considéré comme du prosélytisme. Et il faut simplifier les formalités pour le changement de sexe, ce n’est pas à proprement parler le problème des gays, mais c’est un problème important …l’ouverture de la société aux transsexuels participe de la question gay. Il reste encore des avancées à obtenir : don de sang pour les gays, faire évoluer les choses pour les transgenres, programmes d’EAS à l’école, dans toutes les écoles! Lutter contre un certain machisme gay par rapport aux lesbiennes, lutte contre l’homophobie, contre le racisme au sein de la communauté LGBT etc. Globalement, la société belge évolue très positivement : il suffit de voir la France ou l’Italie sans même parler de la Hongrie ou de la Pologne ou de la Russie, mais plein de choses restent à faire…

Le fait d’avoir un Premier ministre homosexuel peut-il faire changer les mentalités ?
J-J F : Je pense que cela y participe, tout comme le fait d’avoir des parlementaires, bourgmestres ou échevins gay et bons gestionnaires. En fait, il faut banaliser l’homosexualité. De plus, pour les autres pays européens, cela montre l’exemple d’avoir un premier ministre ouvertement gay; il y en a déjà eu dans l’histoire : d’Israël au 19e siècle en Angleterre ou le marquis de Pombal au Portugal au 18è mais c’était le non dit à l’époque. Le fond de l’affaire, c’est le combat pour le droit à l’indifférence

Et où en est-on actuellement dans la mise en place de vraies campagnes de préventions et d’éducation à la tolérance dans les écoles?
La Ministre de l’Enseignement Simonet est très conservatrice dans ces domaines, mais sans doute dû à son appartenance politique. Il faut condamner durement tous TOUS les actes homophobes et surtout éduquer et montrer des exemples positifs: et faire des campagnes pour dire : oui on peut être camionneur ou sportif et gay, par exemple. Il faut qu’à l’école, au cours de bio, de français, de morale ou religion, on parle de cela et aussi au cours d’histoire dans le chapitre de Hitler qui a ouvert des camps pour les gays.

LeVif.be

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