L'UB-20 au passage d' une écluse : il finit pulvérisé par une mine en juillet 1917, avec huit femmes à bord. © TOMAS TERMOTE

Histoires d’épaves: Un U-Boot n’est pas rentré ce soir

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Troisième volet de notre série sur les trésors engloutis en mer du Nord. Les sous-marins allemands de la Grande Guerre ont fait des ravages depuis la côte flamande. Une douzaine de ces loups solitaires reposent dans les eaux belges.

Le 26 novembre 1914,  » joyeuse entrée  » d’un engin de mort à la base navale de Zeebruges. L’U-11 est le premier sous-marin à prendre ses quartiers dans cette Flandre maritime désormais sous pavillon allemand. La Kaiserliche Marine a fait main basse sur le triangle Ostende-Zeebruges-Bruges : elle en fera l’infernale rampe de lancement de torpilleurs et de sous-marins, dans la chasse sans merci aux navires alliés qui s’aventureront en Manche.

Depuis sa sortie des chantiers de Dantzig en 1911, l’U-11 a quelques brèves patrouilles côtières pour seuls faits d’arme. Son Kapitänleutnant, Ferdinand von Suchodoletz, n’attend qu’une météo clémente pour faire ses preuves en mer. Le 9 décembre 1914, il entame un aller simple pour les côtes d’Angleterre : l’U-Boot, ses trois officiers et ses 22 hommes d’équipage, ne donneront plus signe de vie. La presse britannique rapporte qu’un sous-marin a été envoyé par le fond devant le port de Douvres, sans autre précision.  » L’amirauté allemande pensait que l’U-11 avait été victime d’un accident survenu à bord « , relate Tomas Termote, archéologue maritime. Handicapé dans ses manoeuvres par son poids, l’engin s’est enferré dans un champ de mines que les Anglais venaient de déposer près de l’Oostendebank.

Cruel visage d’une guerre sournoise. Celle que mènent des loups solitaires dressés pour rôder sous la surface, en quête de proies à envoyer par le fond. Repus, ils s’empressent de rejoindre la meute. Tous, loin de là, n’ont pas le loisir de regagner la tanière.  » Les épaves de 1914-1918 localisées dans les eaux belges comptent une douzaine de sous-marins allemands. Toutes ces unités, exceptée une, ont été coulées en vue de la côte. La plupart effectuaient des attaques éclair sur les unités françaises et anglaises en restant autant que possible sous le feu protecteur des batteries côtières.  »

La Unterseebootsflottille Flandern fait des ravages. Jusqu’à s’attribuer un quart des navires britanniques coulés durant tout le conflit : 2 554 bateaux torpillés depuis la côte flamande ! Les Alliés savent rendre coup pour coup. Champs de mines et bombardements aériens infligent de terribles pertes aux sous-marins allemands, quand ce n’est pas une défaillance technique ou un sabordage délibéré qui a raison d’eux. 80 % des 93 U-Boot partis des côtes belges ne reviendront pas de mission.

Un U-Boot de type UB III, englouti à hauteur du Fairy bank, à la frontière maritime belgo-française.
Un U-Boot de type UB III, englouti à hauteur du Fairy bank, à la frontière maritime belgo-française.© ONROEREND ERFGOED – PHOTO : DIETER DECROOS

Deux bavures et une fin tragique dans un champ de mines

Les cercueils d’acier s’accumulent sous les flots. C’est le sort qui attend l’U-13, petit sous-marin de patrouille acheminé d’Allemagne par voie ferrée en pièces détachées, assemblé en Flandre et mis à flot en 1915. La poisse ne quitte pas l’engin, accablé de pépins techniques. Lorsqu’il prend la mer, c’est pour s’illustrer tristement en envoyant par le fond un navire neutre battant pavillon hollandais, qu’il a pris pour un croiseur anglais. Le sauvetage de tous les passagers n’évite pas le tollé international, qui oblige l’amirauté allemande à remonter les bretelles du commandant de bord maladroit. Le sous-lieutenant Metz récidive pourtant en avril 1916, en torpillant un autre navire neutre, danois celui-là. L’Allemagne en est quitte pour payer la facture de la nouvelle bavure.

Mais la roue tourne. Le 23 avril, l’U-13 quitte Zeebruges pour sa 36e et dernière patrouille. Il se fourvoie dans un vaste champ de mines déployé à trente kilomètres des côtes belges, s’empêtre dans un câble, heurte une charge explosive en tentant de se dégager. L’engin, ses 15 sous-mariniers et son officier gaffeur reposent par 33 mètres de fond.

Brutale fin de partie aussi pour l’UB-20. Depuis qu’il a rallié la côte flamande en 1916, neuf bateaux alliés ont subi sa loi en quatre missions. Jusqu’à ce qu’un bombardement aérien de la base de Bruges le condamne à cinq semaines d’immobilisation. Une sortie en mer s’impose pour tester la résistance des réparations. Elle lui est fatale, le 28 juillet 1917. Une double explosion en plein champ de mines, non loin d’Ostende, pulvérise l’UB-20, ses neuf marins et ingénieurs, ainsi que huit  » touristes  » féminines embarquées pour l’occasion.

L’UC-62 ne passera pas l’hiver 1917. Affecté à Zeebruges, ce sous-marin poseur de mines fait du chiffre : il torpille dix navires alliés en six sorties, non sans s’être payé une jolie frayeur en entrant un jour en collision avec un… sous-marin anglais. Le 11 octobre, l’UC-62 se sent d’attaque pour aller semer un chapelet de charges explosives au large de la côte sud-ouest de l’Angleterre : de retour de mission, à hauteur du Thorntonbank, il remonte à la surface, le temps d’achever au canon un bateau marchand qui a le malheur de croiser sa route. Absorbé par sa sinistre besogne, il n’imagine pas se retrouver dans le collimateur d’un sous-marin anglais qui lui décoche deux torpilles. Touché, coulé. Infernal combat naval.

Raid 14-18 : Croiseurs-suicides sur Ostende

Enough is enough. L’amirauté britannique entend mettre hors d’état de nuire ces bases de Zeebruges et d’Ostende d’où sévissent les sous-marins allemands. Quoi de plus efficace, pour les clouer dans leurs ports d’attache, que d’aller saborder à leurs entrées quelques rafiots de guerre dont on ne regrettera pas trop la perte.

Le Brilliant et le Sirius sont désignés volontaires pour la mission-suicide devant Ostende. Avec trente ans de navigation au compteur, ces deux gros croiseurs ont leur carrière derrière eux. « Jugés trop peu navigables, ils ont été reconvertis en navires de dépôt », précise Tomas Termote. On les envoie à une mort certaine mais en leur offrant une fin glorieuse.

Le D-Day est planifié dans la nuit du 23 au 24 avril 1918. Alors que le raid lancé sur Zeebruges avec trois vieux bâtiments se déroule avec un bonheur relatif, l’affaire s’emmanche mal face à Ostende. Les deux navires étaient censés progresser à l’abri d’un écran de fumée artificiel. Mais un vent capricieux dissipe le rideau protecteur et expose les croiseurs au pilonnage des batteries côtières allemandes. L’assaut vire au fiasco : sérieusement endommagés, piégés par les hauts-fonds, les vieux monstres d’acier errent comme des âmes en peine avant de se télescoper dans le bruit et la fureur. Ordre est donné d’évacuer les équipages avant le sabordage opéré à l’extérieur du port. Partie vainement remise trois semaines plus tard, lorsque le croiseur Vindictive échouera à son tour dans sa mission de blocage.

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