Le Wakeful, engagé dans l'évacuation des plages de Dunkerque en mai 1940. © Johan Samyn

Histoire d’épaves: en 15 secondes, 700 soldats et marins du « Wakeful » se noient en mer du Nord

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Dernier volet de notre série sur les trésors engloutis en mer du Nord. Torpillé sur la route d’évacuation des plages de Dunkerque en mai 1940, le destroyer anglais Wakeful coule à pic. A bord, c’est la noyade, d’une brutalité inouïe.

Il pensait bien ne plus avoir à monter en première ligne. Il entrevoyait une paisible fin de carrière au sein de la réserve, là où la Royal Navy avait jugé bon de le verser après vingt-cinq ans de bons et loyaux services. Et voilà que l’Amirauté britannique le sort brutalement de sa préretraite et le désigne pour un nouveau casse-pipe : l’enfer des plages de Dunkerque et de La Panne où, en ce mois de mai 1940, plus de 300 000 soldats anglais et français, pris dans l’étau d’une Wehrmacht triomphante, n’ont plus que la mer pour planche de salut.

Branle-bas de combat,  » Opération Dynamo « . Du 26 mai au 4 juin, tout ce qui est capable de flotter et de transporter est enrôlé sur les côtes d’Angleterre pour évacuer les troupes en perdition. Le destroyer Wakeful, cent mètres de longueur et dix de largeur, 134 marins à bord, ne fera, lui aussi, que son devoir. Il enchaîne les navettes à toute vapeur, entre la côte française et Douvres. Le 28 mai encore, il est parvenu à embarquer 631 soldats, non sans subir une attaque aérienne qui l’a endommagé sans trop de gravité. Le lendemain, le voilà de nouveau à pied d’oeuvre, qui vient d’extraire 650 hommes de la plage de Bray-Dunes. Son commandant est inquiet. Ordre est donné au capitaine Ralph Fischer d’emprunter la route maritime Y, celle qui traverse les eaux belges. C’est la plus longue des trois voies d’évacuation établies par la Royal Navy. Ce n’est pas la moins périlleuse, avec ses champs de mines déposés par les Alliés. Avec ses U-Boote et vedettes lance-torpilles battant pavillon allemand, dont la ronde infernale lui est signalée.

A la grâce de Dieu, le Wakeful gagne la haute mer à une vitesse de 12 noeuds, plein jusqu’aux écoutilles. Equipage compris, plus de 800 hommes se sont entassés à couvert dans les entrailles du navire, dans le plus grand silence.  » Les soldats se trouvaient dans tous les endroits possibles et imaginables : cabines, chambre des machines, soutes à ravitaillement, cuisines, salles des chaudières « , raconte l’archéologue maritime Tomas Termote. Tension maximale sur le pont, où l’équipage scrute toute menace qui pourrait surgir des flots plongés dans l’obscurité.

Les débris engloutis du Wakeful furent découverts en 1987. Depuis 2016, ils sont préservés par arrêté royal.
Les débris engloutis du Wakeful furent découverts en 1987. Depuis 2016, ils sont préservés par arrêté royal.© ONROEREND ERFGOED – RV SIMON STEVIN

Tombe de guerre classée

Il est minuit et demi, le navire se trouve à hauteur du Kwintebank, à une vingtaine de miles d’Ostende, lorsque deux sillages phosphorescents émergent à la surface : torpilles ! La première est évitée de justesse, la seconde cisaille le navire à hauteur de la deuxième salle des chaudières. Blessé à mort, le vieux monstre d’acier se cabre,  » déchiré, la proue et la poupe dressées à vingt mètres au-dessus des flots, comme les pointes d’un gratte-ciel « .

La canonnière allemande S-30, son forfait accompli, s’évanouit dans la nuit, insensible au drame qui se joue en quinze secondes. Le coup porté ne laisse aucune chance à l’immense majorité des soldats à moitié endormis, pris comme des rats dans le noir le plus complet, piégés par l’eau qui s’engouffre à gros bouillons, ou englués au milieu d’une mer d’huile qui les entraîne inexorablement vers le fond. Quarante hommes, la plupart parce qu’ils se trouvaient sur le pont, sont sortis vivants de l’enfer, secourus par plusieurs navires accourus sur les lieux du carnage.

Le destroyer Grafton est l’un d’entre eux. Lui aussi faisait route vers l’Angleterre, avec près de 800 soldats évacués à bord, lorsqu’il se déroute, à la rescousse des naufragés du Wakeful. C’est pour être pris pour cible par un sous-marin : les deux torpilles que lui décoche l’U-69 pulvérisent la poupe. Panique à bord, scènes de sauve-qui-peut. Le navire mortellement touché se maintient à flot assez longtemps pour que la grande majorité des hommes embarqués puissent être sauvés.

RIP Wakeful. Ses débris engloutis disparaissent des radars pendant près d’un demi-siècle, jusqu’à leur découverte en 1987. Son repos éternel est ensuite troublé, au début des années 2000, par un projet de réaménagement du site, jugé indispensable sur cet itinéraire maritime très fréquenté. De premiers travaux de nivellement entrepris sur l’épave ont pour effet de libérer quantités de restes humains. Stoppez les machines ! L’affaire menace de tourner à la violation de sépulture. Elle horrifie les autorités britanniques, intraitables sur la préservation de cette tombe de guerre classée par arrêté royal en septembre 2016.

Deux bombardiers alliés abattus à identifier

Mi-mars 2014. Remué par des travaux de dragage à hauteur de Wenduine, le fond marin recrache à l’air libre un élément de train d’atterrissage, un bout d’hélice tordue, une pièce de mitrailleuse. « Faire parler » ces quelques restes d’avion s’annonce terriblement ardu. C’est la dure loi du genre.

« La plupart des appareils abattus en mer se sont totalement désintégrés au contact de l’eau », observe Tomas Termote. La mer du Nord, dans sa portion belge, est d’ailleurs chiche en épaves d’avions. « Neuf sites seulement y sont recensés. Tous datent de la Seconde Guerre mondiale », expliquent Sven Van Haelst, archéologue maritime, et Marnix Pieters, responsable du patrimoine maritime et subaquatique au sein de l’administration flamande, convaincus que cette vérité statistique sous-estime nettement la réalité. Car on s’est beaucoup battu dans les airs, au-dessus de la mer. « Les carnets journaliers de la Hafenkommandantur d’Ostende signalent, pour la seule année 1942, neuf appareils alliés abattus en mer dans le secteur », précise Tomas Termote.

L’examen des maigres pièces découvertes à Wenduine réserve une vraie surprise : elles ne proviennent pas du même appareil. La conclusion s’impose : sur un seul site, deux crashs aériens sont survenus à deux moments de la guerre 1940-1945. Deux avions alliés en ont été les victimes.

L’un est un Bristol Blenheim, bombardier léger anglais, abattu en 1942. Son hélice et le numéro de série retrouvé sur sa mitrailleuse laissent la porte ouverte à une quinzaine de candidats possibles, disparus au-dessus de la mer du Nord. L’autre, à qui appartient le train d’atterrissage, est un North American B-25 Mitchell, bombardier bimoteur utilisé par les aviations anglaise et américaine, et qui n’est plus très loin de pouvoir être identifié. « Mais il est trop tôt pour avancer aucune certitude à ce sujet. Notamment par respect pour les disparus et leurs proches », insiste Sven Van Haelst, qui poursuit l’enquête.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire