Le projet vise au moins 200 000 visiteurs par an, pour 60 000 actuellement. © DROH!ME INVEST

Hippodrome de Boitsfort : dernier galop avant le grand virage

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le projet de réhabilitation de l’hippodrome de Watermael-Boitsfort en parc de loisirs inquiète les communes concernées, riverains et défenseurs de l’environnement. La Région bruxelloise se félicite de la renaissance du site. Mais les conditions d’octroi des permis d’environnement et d’urbanisme vont être âprement discutées.

Sur l’arbre, scié, un papier agrafé : malade, il a dû être abattu sur l’avis d’experts, peut-on y lire en substance. Les rapports qui en attestent sont consultables au secrétariat. Tous les troncs qui gisent sur les pourtours de l’anneau de l’ancien hippodrome de Watermael-Boitsfort portent le même avis. Le nouveau gestionnaire des lieux, VO Group, est actif dans la communication et sait y faire. Mais faut-il qu’il se sente sous la pression des riverains, de certains élus locaux et des défenseurs de l’environnement pour agir de la sorte ! C’est que, entre ces différents acteurs, les administrations régionales bruxelloises impliquées et Droh!me Invest, la filiale de VO Group chargée de la gestion du site, la tension est palpable. La procédure d’obtention des permis d’environnement et d’urbanisme va s’ouvrir ces jours-ci et chacun est aux aguets : en fonction des modifications éventuelles que ce long parcours d’enquête imposera, le projet fera, ou non, le bonheur des uns et des autres.

Le site de l’ancien hippodrome de Watermael-Boitsfort, paradoxalement situé pour l’essentiel sur le territoire de la commune d’Uccle, est pourtant taillé pour le bonheur : ce parc de 32 hectares, qui débouche sur la forêt de Soignes, a fait les beaux jours des Bruxellois depuis 1880. Longtemps, des chevaux s’y sont élancés, sous les yeux ravis ou éplorés de parieurs et de promeneurs. Les hennissements mêlés aux cris de la foule ne sont plus que des souvenirs. Désormais, c’est le claquement des balles que des golfeurs frappent sans relâche, au centre de la piste, qui assure l’animation sonore du lieu.

Le temps a passé, sans pitié pour un site laissé en jachère depuis les années 1970. L’hippodrome, qui aurait dû tomber dans l’escarcelle de la Région de Bruxelles dès 1989, n’y est arrivé qu’en 2002, à l’issue d’années de procédures judiciaires et administratives. Dans l’intervalle, les bâtiments, classés, avaient été tagués et squattés. Estimant qu’il n’était pas dans son rôle d’assurer l’organisation, l’animation et l’entretien d’un parc de loisirs un tant soit peu ambitieux, le gouvernement bruxellois a entrepris de trouver un gestionnaire pour les lieux. Formellement, le site appartient à la Région, qui l’a cédé par bail emphytéotique à la SAF (Société d’acquisition foncière), entre-temps rebaptisée SAU (Société d’aménagement urbain). C’est la SAF qui a organisé l’appel d’offres. « On est vite arrivé à la conclusion qu’il fallait travailler avec un seul opérateur privé, explique Gilles Delforge, directeur de la SAU, pour garder une cohérence au projet global. »

Après l’échec d’un appel d’offres, en 2006, un autre, européen, est lancé en 2012. Vingt promoteurs demandent des informations, 13 visitent le parc et 7 se déclarent candidats. Trois sont retenus. La société VO Group, spécialisée dans l’organisation d’événements, remporte le marché, pour une durée de quinze ans. Conformément aux exigences du cahier des charges, Droh!me Invest établit un projet en cinq volets : sports, nature, éducation, détente et culture. Pour ce faire, elle investira au total 7 millions d’euros. Cinq investisseurs privés injecteront 600 000 euros.

La Région de Bruxelles-Capitale, elle, prend en charge, à hauteur de 7 millions d’euros, la rénovation à l’identique des grande et petite tribunes, ainsi que de la tour du pesage. Droh!me Invest a par ailleurs obtenu une aide supplémentaire de 4,2 millions dans le cadre des fonds européens Feder. « Le plan financier tenait la route sans cette aide, précise Gilles Delforge. Mais il permettra d’améliorer le projet. » Droh!me Invest devra prouver qu’elle ne réalise pas de bénéfices supplémentaires du fait de ce subside, sans quoi elle sera tenue de le rembourser puisqu’il serait alors assimilé à une aide d’Etat.

Droh!me Invest versera une redevance à la SAU, de l’ordre de 7 000 euros par mois à partir de la 6e année d’exploitation. Montant qui pourrait être revu à la hausse en fonction des bénéfices avant impôts enregistrés. La somme peut paraître dérisoire pour un tel espace, aux portes de Bruxelles. La Région argue que son objectif n’était pas d’engranger un maximum d’argent mais de restaurer le site. L’un des candidats avait même remis une offre financière sensiblement plus élevée. « On demande un investissement très lourd à un partenaire privé qui prend un risque et doit le rentabiliser en quinze ans. Nous n’avons pas bradé le site, assène Gilles Delforge. Si nous avions demandé plus, vu nos autres exigences, personne n’aurait remis offre. » La hauteur de la redevance ne constituait d’ailleurs que l’un des critères pris en compte pour l’attribution du marché. « Nous prenons de sacrés risques, estime Donatienne Wahl, coordinatrice du projet et, par ailleurs, ancienne cheffe de cabinet de la ministre bruxelloise Ecolo Evelyne Huytebroeck. Nous espérons atteindre rapidement la rentabilité, mais ce n’est pas sûr. »

Au terme de cette période de quinze ans, la Région prolongera ou non la concession. Si tel n’est pas le cas, le gestionnaire suivant devra prendre en charge les investissements non amortis, soit, à la grosse louche, 1,5 million d’euros.

124 événements par an

Concrètement, le parc devrait abriter, d’ici à 2018, une Maison de la forêt, un belvédère des cimes, un parcours accro-branches, un espace multisports (patinoire synthétique de 150 m2, mur d’escalade, terrains de sports de ballon, mini-golf, parcours vélo…), une vaste plaine de jeux, partiellement financée par le cabinet Fremault, et le parcours de golf à 9 trous qui existe déjà. « Tout est prévu pour que ce ne soit pas un parc d’attractions », signale Gilles Delforge. Le parc comportera des lieux de restauration où seront localisés une partie des 30 à 50 emplois annoncés.

Depuis sa première mouture, le projet, baptisé Melting Park, a déjà sensiblement évolué. « Il est pas mal rentré dans les rangs », glisse l’un des experts qui l’a suivi. La plaine de jeux, de petite taille à l’origine, a pris de l’ampleur à la demande du cabinet Fremault. La Maison de la forêt a changé de localisation. D’autres idées ont été abandonnées. Mais pas assez, semble-t-il, pour apaiser ceux qui voient dans ce projet un véritable « Disneyland ». « On ne peut pas reprocher à VO Group de s’être porté candidat. Mais il y a une distorsion entre le fantasme de la Région et ce projet-ci, axé sur l’événementiel de masse », lâche Yvan Hubert, au nom des riverains de Watermael-Boitsfort.

Le plan d’affaires de Droh!me Invest prévoit, de fait, de louer une partie du site pour y organiser, par an, 72 événements à l’intérieur et 52 événements à l’extérieur. Soit une moyenne d’un tous les trois jours. Droh!me Invest assure que les spectacles donnés au pied de la grande tribune de 700 places, uniquement à la belle saison, ne généreront pas de nuisances sonores. « Il s’agira de pièces de théâtre, de projections de films ou de spectacles équestres, pas de concerts hard rock ! affirme Michel Culot, le patron de l’entreprise. En outre, les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de contenir les sons et lumières au maximum, afin de ne gêner ni les voisins ni la faune. »

Le cahier des charges est très clair : « Des activités entraînant des nuisances (sonores, visuelles, olfactives, etc.) incompatibles avec la philosophie des objectifs régionaux de destination des lieux et de ses abords ne seront pas admises sur le site. » Les groupes de riverains et les associations environnementales ne sont pas rassurés pour autant : ils redoutent le bruit et les vibrations. D’autant que le site est classé en zone Natura 2000, un label de zone naturelle protégée. « Nous tenons beaucoup à conserver le caractère écologique du lieu, insiste Armand De Decker, bourgmestre MR de Uccle. Nous sommes assez méfiants sur d’autres dimensions que pourrait prendre le projet. J’ai peur du calcul de rentabilité du gestionnaire, qui intègre des activités de natures multiples. »

Les citoyens opposés au projet exigent des horaires d’exploitation précis et réduits, ainsi que l’interdiction du son amplifié sur le site en extérieur. « Ces événements seront de petite taille et compatibles avec le classement du site, les contraintes de Natura 2000 et la tranquillité des riverains », martèle Gilles Delporte. Le cabinet Fremault confirme qu’aucune exception ne sera tolérée sur les règles en vigueur, comme sur le bruit. Mais les opposants craignent aussi que l’opération ne masque une manoeuvre de « privatisation » d’une entrée de la forêt de Soignes. Même si l’accès au site et une partie des activités proposées (espace vélo, terrains multisports, mur d’escalade, plaine de jeux, accès à la maison de la forêt) seront gratuits pour les promeneurs. D’autres seront payantes mais à faible coût. « Des activités à 1 ou 2 euros répondraient à l’esprit du cahier des charges », souligne Tom Sanders, en charge de l’aménagement du territoire au cabinet du ministre-président bruxellois, Rudi Vervoort (PS). Celui-ci indique que « les activités commerciales du concessionnaire devront être de taille faible et constituer le complément usuel et l’accessoire du projet ». Le concessionnaire est aussi tenu d’organiser « un large éventail d’activités librement ou quasi librement accessibles au plus large public possible ».

Les communes en front commun

La mobilité est le point qui focalise le plus les craintes. Droh!me Invest table sur 200 000 à 300 000 visiteurs par an (pour 60 000 aujourd’hui), variablement répartis selon les saisons et les événements. La course des 10 km d’Uccle, organisée sur le site, draine 5 000 personnes. « La chaussée de La Hulpe est déjà embouteillée tous les week-ends, gronde Alain Courtois, échevin MR à Bruxelles. Avec 200 000 visiteurs, qu’est-ce que ça va être ! Or c’est Bruxelles-Ville qui va subir ces désagréments en termes de mobilité. Le lieu est paisible. Cela n’a pas de sens d’y attirer plus de monde. » Même inquiétude chez les autorités communales de Uccle et de Watermael-Boitsfort. « J’ai l’impression que ce projet est un peu trop ambitieux », résume Tristan Roberti, échevin à Watermael-Boitsfort.

Tenu de résoudre cette équation s’il veut attirer des visiteurs, le nouveau concessionnaire a commencé à négocier avec la Stib pour voir si des aménagements sont possibles. Droh!me Invest a aussi conclu des accords avec des sociétés environnantes, à maximum dix minutes à pied du site, et prêtes à partager leurs parkings vides le week-end ou en soirée la semaine ; 2 000 places supplémentaires seraient ainsi disponibles. Autres pistes examinées : le renforcement de l’offre Villo, des espaces pour voitures électriques, la vente de billets réduits aux visiteurs optant pour une formule train/vélo et la mise en place de chemins pédestres au départ des gares de Groenendaal et de Watermael-Boitsfort. Le site héberge déjà un parking (payant) de 208 places, que Droh!me Invest souhaite porter à 400 places, toujours payantes. « Sans ça, l’activité sera mise en péril sur le site », estime Michel Culot. Les riverains demandent au contraire sa suppression pure et simple, estimant qu’il faut encourager la mobilité douce.

C’est sur ces points que devront porter le permis d’environnement et le permis d’urbanisme. Une fois ces dossiers considérés complets par les administrations concernées, une instruction de 450 jours sera menée. Un comité d’accompagnement sera créé, composé de représentants de Bruxelles-Environnement, Bruxelles Urbanisme, Bruxelles Mobilité, de la Commission des Monuments et Sites… « Après cinq à six mois d’études sur les impacts du projet, en termes environnemental et urbain, une recommandation sera émise, ou un refus ou un accord partiel, détaille Philippe Bolland, de Bruxelles-Environnement. » L’enquête publique permettra à chacun de s’exprimer.

Le permis d’environnement pourrait ainsi définir, par exemple, les heures d’ouverture des activités du site selon les périodes de l’année. De la même manière, en matière de mobilité, il faudra que le projet ne provoque pas de troubles majeurs ni réguliers, dit-on chez Bruxelles-Environnement. Autrement dit, il est fort probable que les permis accordés génèrent encore des changements. « Nous sommes confrontés à de multiples contraintes, mais c’est la loi, commente Michel Culot, qui multiplie les réunions avec les communes et acteurs locaux concernées. On n’imaginait pas, au départ, à quel point il serait nécessaire de dialoguer : nous sommes partis la fleur au fusil. »

Certains fourbissent leurs armes, envisageant au besoin de déposer un recours au Conseil d’Etat. Une poignée de riverains a d’ores et déjà attaqué le permis provisoire de trois mois accordé par le Collège d’Environnement pour le parking et le vaste chapiteau installé sur le site. Une plate-forme citoyenne d’opposition au projet, baptisée Les amis de l’Hippodrome, s’est déjà constituée. « On a toutes les raisons de ne pas être naïfs », commente Yvan Hubert, au nom des riverains. Les communes concernées, elles, pourraient rapidement arriver à une position commune sur la question de la mobilité. « Elles mettront leur veto dans le cadre de l’étude d’incidences », annonce déjà Alain Courtois. Ambiance.

Par Laurence van Ruymbeke

Une réunion publique d’information aura lieu sur le site, ce 21 mars à 18h30, dans le Droh!me Pop Up Village (entrée via le grand parking, 51, Chaussée de la Hulpe, à 1180 Bruxelles).

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