intoPIX à Las Vegas © Michi-Hiro Tamaï

High-tech : les Wallons à la pointe à Las Vegas

Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Du 11 au 16 avril, le NAB Show, salon du broadcast et de l’audiovisuel de Las Vegas, a hébergé plus de quinze acteurs wallons notamment spécialisés dans les technologies de ralentis et de compression vidéo. Cette grand-messe a enterré la télévision de papa et récompensé les néolouvanistes d’intoPIX. Reportage.

Décadence, néons et décibels. Les sourires ne se dessinent pas que sur les visages des badauds en goguette arpentant le célèbre Strip à Las Vegas. Attablé dans un burger « gastro », enterré au pied de la tour Eiffel en toc de la capitale du jeu de hasard, Gaël Rouvroy affiche lui aussi une mine radieuse. Pas de jackpot. Mais le patron d’intoPIX et son équipe viennent de remporter le prix du game changer au NAB Show, le salon des professionnels du secteur du broadcast. Derrière cette récompense, TICO, une technologie de compression de vidéos permettant de transmettre de la 4K/UHD (pour « ultra haute définition », soit une résolution d’image quatre fois supérieure à l’actuelle Full HD.), sans perte de qualité, sur des câbles qui ne supportent que la HD.

« Trois millions d’euros ont été investis sur ce projet qui nous a demandé trois ans de développement et de nombreuses rencontres avec des acteurs du milieu. Car il s’agit d’un standard que nous aimerions pousser, détaille Gaël Rouvroy. Dans l’immédiat, cette récompense n’a pas d’effet commercial. Mais nous sommes fiers de ce prix car nous étions face à Grass Valley, le géant canadien de l’industrie du broadcast qui emploie 2 500 personnes ». Portée par quinze salariés épaulés par autant d’indépendants, la technologie développée à Mont-Saint-Guibert devrait, en pratique, permettre de sérieuses économies de câblage entre des caméras 4K filmant, par exemple, un événement en direct, et un car régie digérant leurs images, voraces en bande passante.

Conséquence à court terme de ce prix qu’intoPIX recevait peu après un Emmy Award technique (en janvier dernier) : une aura accrue très utile pour sa visibilité parmi les 1 726 exposants dont les Liégeois de Flying-Cam (oscarisés pour leur caméra drone) ne faisaient étrangement pas partie. La clé de ce labyrinthe dantesque, fréquenté par la plupart des acteurs de la production audiovisuelle, passait d’ailleurs par la 4K, une des tendances majeures de l’événement. Certes, cette « super » résolution tarde à entrer dans les foyers. Mais, derrière les caméras professionnelles, elle se montre déjà efficace pour effectuer des recadrages et des travellings. Une technique nettement plus prometteuse que la 3D, de l’avis de tous les participants au salon.

Côté caméras, Sony, JVC ou Hitachi diminuaient donc drastiquement les prix et les tailles de leurs modèles capables d' »UHD ». Réflecteurs de lumière, perches savantes, Segway pour travellings et autres drones géants pouvant embarquer des appareils photo haut de gamme jouaient également des coudes. « Il y a des géants qui sont actifs dans le broadcast, mais jusqu’ici aucun n’occupe une position dominante, détaille Thierry Watteyne, CEO de Barco Silex, concurrent belge direct d’IntoPIX qui emploie 45 salariés à Louvain-la-Neuve. Ce morcèlement est d’ailleurs un des problèmes du marché, car il y a eu beaucoup de changements depuis deux ans. Enormément de rachats, d’acquisitions et de fusions. »

Conviviale poursuite

Fabricant de câbles, le groupe américain Belden rachetait ainsi Miranda en 2012 puis Grass Valley l’année dernière pour 100 millions de dollars. Des caméras de plateau aux serveurs, en passant par les logiciels de montage, l’idée est (par exemple) de proposer à une chaîne de télévision des environnements de production clés en main. De quoi répondre à un besoin urgent de simplification et de standardisation des moyens de production audiovisuels qui se morcèlent souvent comme des puzzles insolubles, même pour les initiés du secteur.

Spécialisés dans la création et la construction de serveurs vidéo capables de gérer instantanément un ralenti en plein match (de foot, par exemple), les Liégeois d’EVS marquaient, de leur côté, le début de cette année via l’acquisition de l’Allemand Scalable Video System et du Français OpenCube. Soit deux sociétés créant respectivement des équipements de montage vidéo spécialisés et des logiciels à même d’améliorer leur technologie dont les parts de marché s’élèvent à plus de 90 %.

Englobant un marché de la production télévisuelle qui tourne au ralenti face à des acteurs OTT (la télévision sur Internet, comme Netflix) qui ont le vent en poupe, le secteur du broadcast devrait peser 44,3 milliards de dollars en 2017, contre 39 milliards de dollars en 2012. Un terrain sur lequel la Wallonie se distingue discrètement mais efficacement depuis de nombreuses années. Au-delà d’EVS et Deltacast qui occupaient des stands imposants dans le hall principal du NAB, l’Agence wallonne pour l’exportation (AWEX) prenait ainsi ses quartiers au NAB pour la dixième année consécutive. Treize entreprises et start-up étaient ainsi hébergées sur son stand de 170 mètres carrés. Dont Image Matters, société liégeoise spécialisée dans la fabrication de cartes de compression de vidéos dédiées à la 4K. « Si on regarde la carte de l’Europe, une grande partie des acteurs du broadcast se concentre chez nous et autour de nos frontières. Soit un petit peu aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et pas mal en Bavière, mais aussi en France, notamment sur Paris et Rennes », note son patron Jean-François Nivart.

La jeune entreprise n’était pas la seule à hisser cette résolution haut de gamme au centre des débats. IntoPIX et Barco Silex se bousculaient pour montrer leur savoir-faire en matière de compression de flux vidéo UHD. Sur un autre terrain et avec succès, i-Movix mettait en avant des technologies de ralentis vidéo, indispensables pour des retransmissions sportives en direct. « La Wallonie s’est fait un nom en matière de broadcast car nous tenons nos promesses d’ingénierie. Avec les Allemands, on est connu pour savoir dire non si un projet est impossible, ce qui est très apprécié dans le milieu », précise Laurent Renard, ex-gendarme de la police montée belge qui plaquait tout, il y a dix ans, pour créer cette société montoise comptant 19 employés. Arme secrète d’i-Movix ? Un boîtier qui se branche sur une caméra dont il tire des ralentis allant jusqu’à 1 000 images par seconde en 4K et 2 000 images en HD. En démonstration, la technique qui existe également chez d’autres concurrents brille. Mais sa facilité d’usage est avant tout plébiscitée par des clients comme TV Globo (le principal réseau télé au Brésil) ou par le réseau de télé thématique orienté sport ESPN (Etats-Unis).

Business as usual

Sur le NAB Show, de nombreuses rencontres décisives se font de manière informelle. Constellé d’une myriade de petites et moyennes entreprises, le secteur du broadcast tourne ainsi souvent autour du bouche-à-oreille. Peu de contrats et de réunions à huis clos ici. Juste des accords verbaux, des préliminaires aux documents. Tout sourire, Laurent Renard s’étonne de la rencontre inattendue et simultanée des responsables de la diffusion du Grand Prix de Monaco de Canal+ et de l’UEFA, pour un test de sa technologie que cette dernière devrait concrétiser lors d’une future retransmission en Allemagne. « Tout le monde se connaît et s’appelle par son prénom ici, c’est une manière de faire business a priori conviviale, reconnaît Laurent Renard. Mais le vent peut vite tourner. Dès qu’un acteur faute, ça se sait très rapidement. Il ne faut pas se leurrer, certains sourires cachent parfois des couteaux dans le dos. »

Cette pression ne devrait qu’augmenter à l’avenir puisque le secteur du broadcast voit ses circuits de production muter en profondeur et passer graduellement au tout numérique (ou IP) en amont. En bout de chaîne, la télévision linéaire de papa est, elle, déclarée quasi morte, au profit du streaming sur le Web, qui a vu le nombre de créations originales exploser ces deux dernières années. Cristallisée par Amazon, Hulu et surtout Netflix qui produisait les séries House of Cards, mais aussi Unbreakable Kimmy Schmidt et Bloodline, cette tendance regroupée sous l’appellation « OTT » met les chaînes télévisées sous pression.

« Les événements sportifs en live fédèrent encore les gens devant le poste, mais c’est le seul contenu, avoue Sergio Napolitano, responsable marketing chez EVS Broadcast Equipement. Si bien que nous aidons des chaînes de télé à développer des technologies multi-écrans qui permettent de garder le spectateur, même lors d’une pub à la mi-temps d’un match de football. Nos solutions qui équipent également cinquante stades aux Etats-Unis proposent, par exemple, de regarder sur sa tablette des ralentis d’action en changeant d’angle de caméras sur le terrain ». Dernière chasse gardée de la télé traditionnelle, le live n’empêche toutefois pas un glissement progressif des budgets publicitaires de la télévision vers la vidéo Web.

Un manque à gagner qui n’aidera pas à la généralisation de programmes télé diffusés en 4K. D’autant que la plupart des chaînes passent à peine à la HD. « On a investi 6,5 millions d’euros pour passer en HD. Pour la 4K, ce sera beaucoup plus. Lorsqu’on veut faire de la 4K en production dans une station télé, il faut changer toute l’infrastructure, et donc passer par de l’IP, une technologie qui doit encore arriver à maturité, déclare Thierry Piette, directeur technique et informatique à RTL Belgique. Il faudra donc au moins cinq ans, en Belgique, avant que la 4K débarque chez Monsieur et Madame Tout le monde sur des chaînes généralistes ». Des paroles à méditer pour qui voudrait acheter un nouveau téléviseur labélisé 4K …

Par Michi-Hiro Tamaï à Las Vegas

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