Herman Van Rompuy © Hatim Kaghat

Herman Van Rompuy: « C’est la N-VA qui a ressuscité le Vlaams Belang »

Herman Van Rompuy préfère ne plus parler de politique nationale. Mais ces derniers jours, l’ancien Premier ministre et président de l’Union européenne peut difficilement faire autrement. « Le discours de la N-VA est totalement invraisemblable. » Entretien avec nos confrères de Knack.

De la même manière réfléchie et parcimonieuse qu’il écrit ses haïkus, Herman Van Rompuy (CD&V) a consigné ses Anti-mémoires. Là non plus, il n’y a pas un mot ou un nom de trop. Au contraire, l’ancien président du Conseil européen ne cite presque jamais les noms des hommes politiques qu’il évoque. Il dit qu’il n’a pas besoin de régler de comptes, et qu’il ne croit pas que les historiens profiteraient beaucoup de sa version des faits. Il ne veut pas non plus trop parler de l’actualité politique actuelle, ne serait-ce que parce qu’il ne veut pas mettre de bâton dans les roues de son fils Peter et son frère Eric, qui siègent respectivement au Parlement flamand et à la Chambre. Mais à l’heure où la crise de Marrakech bat son plein et où l’Union européenne gémit sous les cabrioles du Brexit, il est difficile de faire autrement. « Aujourd’hui, nous prenons sérieusement en compte des scénarios qui semblaient absurdes il y a six mois », déclare Van Rompuy lorsque nous le rencontrons dans son bureau de Bruxelles, dans le bâtiment qui abrite aussi le Centre Wilfried Martens pour les études européennes. « Cela promet pour l’avenir. ».

Est-il possible que les Britanniques puissent quitter l’Union européenne de manière ordonnée d’ici fin mars l’année prochaine ?

Herman Van Rompuy : De plus en plus de députés semblent en faveur du modèle dit norvégien, selon lequel le Royaume-Uni quitte l’UE mais reste dans le marché intérieur. Les Brexiteers, qui commencent à craindre qu’il n’y aura pas de Brexit, pensent que ce scénario est mieux que rien et pour les pro-Européens c’est la voie du moindre mal. Pour l’instant, donc, différents motifs vont dans la même direction. Le choix du modèle norvégien est également le seul scénario dans lequel l’échéance du 29 mars peut encore être respectée. Cela ne signifie pas pour autant qu’il existe déjà un consensus à ce sujet. Il y a encore des politiciens qui préféreraient un deuxième référendum sur le Brexit.

Vous n’y êtes pas favorable?

Si. Je suis même favorable à un nouveau référendum. Mais ce scénario prendrait beaucoup de temps. Tout d’abord, un tel référendum ne peut être organisé qu’après de nouvelles élections législatives. Certains prétendent qu’alors nous perdrions au moins un an: d’abord des élections sont organisées, ensuite un gouvernement doit être formé, et ensuite il faut du temps pour régler la question du référendum et pour faire campagne.

En Belgique aussi, le gouvernement belge traverse une crise. Êtes-vous étonné qu’une convention non contraignante de l’ONU sur la migration ait fait sauter la coalition suédoise ?

Je n’ai pas lu ce traité – heureusement, j’ai encore mieux à faire. Cependant, j’ai constaté que les critiques sont arrivées remarquablement tard. Il est impossible que cette protestation ne soit pas davantage liée à des considérations politiques partisanes qu’au texte lui-même. Le CD&V et l’Open VLD ont raison de dire que le traité a été approuvé pour l’essentiel dès septembre, lorsque le Premier ministre Charles Michel (MR) a déclaré à New York au nom du gouvernement belge qu’il le signerait. Le monde entier a entendu cette déclaration, et aucun membre de la N-VA n’a protesté. Il y avait bel et bien un accord tacite. Ce n’est que six semaines plus tard, après les élections municipales, que la N-VA a soudain constaté un problème. Ce n’est pas un hasard si l’Autriche a été le premier pays à annoncer qu’il ne signerait pas le texte. Cela rend le discours de la N-VA totalement invraisemblable.

Si un traité aussi peu contraignant suscite déjà tant de résistance, la Déclaration universelle des droits de l’homme pourrait-elle encore être adoptée?

En tout cas, pas de la même manière qu’en 1948, car entre-temps le monde a changé. Quand les droits de l’homme ont été établis, la Seconde Guerre mondiale et les horreurs du nazisme étaient encore très présentes dans les mémoires. Mais cette déclaration est, évidemment, fondamentale. Il y a d’autres traités dont je me demande s’ils seraient approuvés. Le traité de Maastricht sur la monnaie unique européenne, par exemple. Ce n’est pas un hasard si ces accords ont été conclus immédiatement après la chute du mur de Berlin. Ils voulaient intégrer l’Allemagne unifiée dans une Europe encore plus unie. Je trouve déprimant que de telles décisions soient aujourd’hui critiquées sur base de petits intérêts plutôt que de grands principes.

Est-ce un tel désastre que le gouvernement Michel ait trébuché ? Il ne restait plus grand-chose du mariage suédois.

La fin précoce du gouvernement Michel n’a aucun côté positif. Un gouvernement minoritaire – s’il obtient la confiance de l’Assemblée – qui est de fait en affaires courantes, n’est pas exactement une perspective réjouissante. Mais de nouvelles élections ne sont pas non plus une option encourageante. Certainement parce qu’elles auraient lieu en janvier ou en février. Le nouveau gouvernement fédéral devrait alors être formé en pleine campagne pour les élections flamandes et européennes du 26 mai.

N’oubliez pas non plus qu’à Anvers ils rament toujours pour obtenir une majorité. Dans la campagne électorale fédérale, le président du PS John Crombez devrait tempêter contre la N-VA, tandis que les socialistes de la plus grande ville de Flandre devraient essayer de coopérer avec le président du parti « ennemi ». Essayez d’expliquer cela à vos électeurs.

Ce n’est pas facile pour votre parti non plus : la N-VA a-t-elle finalement repris le rôle du grand parti populaire du CD&V ?

L’époque où nous étions déçus lorsque nos résultats électoraux tombaient sous la barre des 30% est révolue. Mais nous avons obtenu de tels résultats pendant un siècle, et je voudrais bien voir la N-VA en faire de même. Comme elle est devenue très rapidement un parti de pouvoir, la N-VA doit constamment essayer de maintenir l’équilibre. La question est de savoir combien de temps elle va tenir le coup.

Ces six dernières années, la N-VA a mené à Anvers une politique de centre droit, mais pour le prochain mandat, elle semble vouloir rejoindre le centre gauche dans une coalition avec la SP.A. Je connais le schéma – c’est ce que nous faisions avant. (sourire) La grande différence, c’est que cette flexibilité contredit l’image que les N-VA aiment véhiculer. L’équilibre est un concept qui résume bien ma conviction et celle de mon parti, mais je doute qu’il soit aussi dans les gènes de nombreux membres de la N-VA. Ils se tortillent et s’attendent à ce que leurs électeurs les suivent aveuglément. D’abord, ils abandonnent le programme communautaire et puis ils font subir le même sort au volet socio-économique la ville de leur président.

Pour l’instant, ils semblent s’en tirer.

J’ai de plus en plus de doutes à propos des prétendues tactiques suprêmes de ce parti. Le plus grand mérite de la N-VA est d’avoir rayé l’extrême droite de la carte – je l’admets volontiers. Pendant un certain temps, le Vlaams Belang était raide mort. Cependant, la N-VA a commis erreur cruciale en faisant de la migration le thème dominant de ces deux dernières années. Si vous attirez constamment l’attention sur les problèmes que pose la migration, vos électeurs finiront par se demander ce que vous avez fait pour les résoudre. Tous ceux qui ont prétendu ces dernières années qu’en fin de compte les gens préfèrent l’original à la copie ont raison : seul le Vlaams Belang tire profit de toutes ces discussions sur la migration. Filip Dewinter était devenu une figure politique marginale, mais sa rhétorique familière fonctionne à nouveau. C’est la N-VA qui a ressuscité le Vlaams Belang

Il y a dix ans, Jean-Luc Dehaene (CD&V) disait dans Knack qu’il se sentait un homme politique du siècle dernier. Dans Anti-mémoires, vous donnez vous-même cette impression.

À l’époque, j’ai contesté la déclaration de Jean-Luc, mais maintenant j’ai tendance à dire la même chose à propos de moi. Beaucoup de choses ont changé depuis que lui et moi avons quitté la politique nationale. C’est dû en partie à l’impact croissant des réseaux sociaux. Aujourd’hui, on a des politiciens qui n’auraient jamais été populaires sans Twitter.

Cela a-t-il fondamentalement changé la façon de faire de la politique?

Dans un gouvernement de coalition, il n’y a évidemment pas 101 façons de parvenir à un compromis. L’approche de Charles Michel à cet égard n’est pas si différente de celle de ses prédécesseurs. Cependant, les circonstances sont devenues plus difficiles. Lorsque Jean-Luc négociait un nouveau gouvernement à l’époque, le seul endroit où nous pouvions appeler était une cabine téléphonique bien visible à Val Duchesse. Si le lendemain il y avait une fuite dans le journal, tout le monde savait qui avait appelé la presse. Dix ans plus tard, lorsque Yves Leterme (CD&V) tentait de former un gouvernement, tous les négociateurs de Val Duchesse étaient à la table avec leur GSM. Cela leur permettait de tenir leur journaliste personnel, qui attendait à l’extérieur, informé en direct des événements. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer.

Dans vos Anti-mémoires, vous critiquez les politiciens de la génération actuelle. Mais comme vous ne mentionnez pas de noms, vous semblez tous les condamner.

Je suis sûr que celui qui comprend bien sait très bien de qui je parle.

Qui sont ces « néopoliticiens » qui n’écoutent que les bas instincts de la société?

À bon entendeur, salut. (ricanements)

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