Herman De Croo © Filip Naudts

Herman De Croo : « Le nouveau De Wever sera peut-être d’origine étrangère. Où est le mal? »

En 2018, il y aura cinquante ans qu’Herman De Croo est député et le 12 août prochain, il fêtera son 80ème anniversaire. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en un demi-siècle le libéral flamand a vu changer le pays.

Au début de sa carrière, les premiers travailleurs turcs et marocains débarquaient en Belgique, suivis, dès les années quatre-vingt, par les réfugiés et les demandeurs d’asile. Et à présent nous tentons d’urgence de convertir les nouveaux venus aux valeurs occidentales. Si De Croo est un libéral convaincu, il n’est guère favorable aux conversions forcées. « Il ne faut jamais essayer d’accélérer l’histoire. En Turquie, Kemal Atatürk a brusquement fait basculer le pays de l’ancien au moderne – ceux qui portaient le fez étaient même menacés de la peine de mort. Aujourd’hui, le président Erdogan fait marche arrière : ça n’a pas fonctionné. »

Herman De Croo: Pourquoi ne tirons-nous pas d’enseignements de nos croisades au Moyen-Orient? Nous ne pouvons pas imposer notre civilisation, nous ne disposons pas des bonnes techniques. Et aujourd’hui, la religion n’est plus l’opium du peuple, comme le disait Marx. Je ne sais pas quelle sera la prochaine drogue. Peut-être le nationalisme de la N-VA, le petit opium du peuple ?

Ne tirons-nous pas d’enseignements de notre histoire?

Peu, et nous en payons le prix. En Chine, nous avons tué la vieille civilisation, au Congo nous avons fait sauter environ trois cents royaumes. Nous avons exterminé les Incas et les Indiens américains. Et pourtant, nous trouvons que nous pouvons faire la leçon au monde entier parce que nous sommes parfaits. Je me fâche rarement, mais quand le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken a déclaré au Parlement flamand qu’il ne voulait pas faire amende pour le passé, j’ai pris la parole : « Monsieur Van Grieken, encore après ma naissance, des Européens qui aimaient Mozart et Beethoven, capables de citer Schiller et Goethe, ont assassiné systémiquement et à l’échelle industrielle six millions de juifs, au coût le plus bas et au rendement le plus élevé. » Nous sommes parfois trop prétentieux, et nous ne connaissons pas suffisamment notre histoire.

Nous ne devons pas nous imaginer que notre comportement est supérieur. En 1980, je dînais avec le ministre de la Défense nationale Charles Poswick chez le président Mobotu à Kinshasa. Poswick voulait faire la leçon à Mobotu à propos de la corruption dans son pays, mais il n’osait pas vraiment. Finalement, il a dit : « Monsieur le président, il parait qu’il y a beaucoup de corruption au Zaïre. » Mobotu était rusé, un mélange entre Willy De Clercq et Paul Vanden Boeynants. « Bien sûr », a-t-il répondu de sa voix grave, « il y a beaucoup de corruption parmi les Zaïrois. Mais dites-moi, qui la leur a enseignée ? »

Votre présidente de parti, Gwendolyn Rutten, a tout de même dit que « notre modèle » est supérieur ?

Évidemment, Gwendolyn a tout à fait raison: nous n’avons jamais vécu dans un monde meilleur qu’aujourd’hui sur le plan de l’émancipation et de la liberté, mais nous patinons sur un étang gelé. Vous savez, sous la surface il commence à fondre et nous ne savons pas à quelle distance nous de la rive. Je suis persuadé que ce bout d’Europe, auquel nous tenons tant, risque de disparaître. Et ce n’est pas grave. Après tout, les dinosaures ont aussi disparu, après des millions d’années. Pourquoi pensons-nous que notre mode de vie sera éternel ? Nous sommes comme les maisons isolées de la Flandre médiévale. Là où les envahisseurs plaçaient des bougies sous les pieds des propriétaires : « Paysan, où est ton argent ? »

On dirait presque la thèse défendue dans Soumission de Michel Houellebecq : tôt ou tard nous allons inévitablement devoir nous « soumettre ».

Pas si nous faisons ce que les Romains ont fait avec les Germains. Un grand nombre des derniers empereurs étaient germains ou même nord-africains. La logique romaine était : if you can’t beat them, let them join you. Aujourd’hui, 70% des enfants de maternelle à Anvers sont issus de l’immigration. Dans 25 ans, les trois quarts des Anversois seront donc d’origine étrangère. Le nouveau De Wever s’appellera Ibn Saïd ou quelque chose de ce genre. Où est le mal, à partir du moment où on le laisse nous « rejoindre » à temps ? Pourquoi ne pas assurer une « perversion » agréable de nos entrants ?

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