Ettore Rizza

Haro sur la Belgique, ses frites et son surréalisme

Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Un Cyrano se cacherait-il en chaque Belge ? Critiquer son pays constitue pour lui un sport national, mais strictement réservé aux autochtones. Gare ou gloire aux journalistes étrangers qui s’y hasardent.

 » La Belgique flinguée à l’étranger, pourquoi tant de haine ? « , s’interrogeait ce matin l’émission Connexions, sur la Première RTBF. C’est vrai quoi, quelle mouche les pique, ces étrangers ? Après le journaliste de Libération Jean Quatremer, et son désormais légendaire  » Bruxelles, pas belle « , voilà qu’une correspondante du Wall Street Journal s’y met aussi. Pardon : du  » très sérieux Wall Street Journal « , comme l’exige la formule consacrée. Et elle n’y va pas de main morte, la journaliste Frances Robinson : milliards d’euros gaspillés à cause des embouteillages, dette faramineuse, mauvais positionnement de nos entreprises, impôts parmi les plus élevés au monde, taux de chômage record chez les immigrés, lasagne institutionnelle incompréhensible… N’en jetez plus !

Une telle coordination dans la critique a quelque chose de suspect. Le hasard n’existe pas. Assurément, un lobby internationalo-médiatique doit se cacher derrière. Son mot d’ordre : haro sur la Belgique, ses frites et son surréalisme !

Et si on arrêtait de délirer deux secondes ? Il y aurait beaucoup à dire sur certaines affirmations péremptoires de Jean Quatremer, et Le Vif/L’Express ne s’en est pas privé. Mais dans l’ensemble, son article à destination d’un public français constitue une simple énumération de maux ancestraux dont souffre la Capitale européenne. Quiconque y a déjà mis un pied, au bout de 2 h 30 de file sur l’autoroute, connaît chacun d’eux sur le bout de ses semelles crottées. Quant au billet du WSJ, il se contente de reprendre des paragraphes entiers d’un rapport de la Commission européenne sur la Belgique, chaque fois assortis d’une traduction en langage moins technocratique. Quiconque sait déchiffrer un brin d’anglais l’avait compris. Pourtant, l’emballement fut tel que Frances Robinson a dû se fendre d’une réponse aux  » Belges en colère « .

En attendant, une partie de la presse et les réseaux sociaux en ont fait leurs choux gras. Clics par milliers, commentaires en rafale, analyses, reportages… Les journalistes belges auraient de quoi la trouver saumâtre. Alors que tant de leurs enquêtes fouillées passent totalement inaperçues, trois lignes un brin critiques suffisent à un correspondant étranger pour s’assurer d’un  » buzz  » du diable. A croire qu’un Cyrano se cache en chaque Belge :  » Je me les sers moi-même, avec assez de verve, mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.  » A moins que chez nous, les évidences ne puissent être admises que lorsqu’elles émanent d’un regard étranger.

Puisque c’est comme ça, il est temps de l’avouer : l’auteur de ces lignes, bien que né dans le pays, est de nationalité italienne. Si.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire