© Belga

Habran : itinéraire d’un mauvais garnement

Le Vif

Habran, « fiché » comme l’un des plus grands truands belges, vient de sortir de prison à l’âge de 82 ans. Retour sur ce caïd de la « vieille école » malin et rusé qui fit trembler la cour d’Assises.

En 2008, alors âgé de 75 ans, ce gros calibre du grand banditisme liégeois devait encore rendre des comptes devant les assises. La justice le soupçonne alors d’avoir gardé de beaux restes. Et d’avoir encore tâté du braquage de fourgons à l’âge où d’autres profitent de leur retraite.

L’homme a beau soutenir mordicus qu’il a rangé ses flingues et renoncé à ses « mauvais coups », il conserve la gueule de l’emploi. Du moins aux yeux de la justice qui est persuadée d’avoir coincé le redoutable braqueur de fourgons. Marcel Habran devait donc reprendre sa place sur le banc des accusés, au palais de justice de Liège en 2008. Il n’est alors pas en terrain inconnu : un procès en assises, il connaît. Il en a déjà subi les foudres, voici plus de quarante ans. C’était à Bruxelles : Habran avait été condamné à dix-huit ans de travaux forcés, en 1974, pour un hold-up avec mort d’homme, commis à Schaerbeek. La plus lourde condamnation pour ce truand au casier plutôt fourni. Car l’homme a trempé dans bien des coups fourrés. En fait, on pourrait presque affirmer qu’il est tombé dans la marmite de la délinquance quand il était gamin.

Marcel Habran, c’est l’itinéraire d’un mauvais garnement. D’abord cancre à l’école, puis jamais très réglo au boulot. Sa carrière de manoeuvre chez le producteur de motos Sarolea-Gillet, puis d’ajusteur à la FN de Herstal, tourne court. Le jeune homme, aimant la bagarre, cède tôt à la tentation. Celle du luxe, de tout ce qui brille. Premières embrouilles dans le commerce lucratif des non-ferreux, premières fréquentations douteuses et premiers ennuis avec la justice pour un vol de quatre tonnes de vieux métaux. Puis c’est l’escalade, rapide, dans le « milieu » de la Cité ardente. Ce grand costaud, que ses comparses disent émotif, passe pour un caïd plutôt futé, tantôt proxénète, tantôt garagiste traficoteur.

Sorti de prison au début des années 1980, Marcel Habran a déjà sa réputation toute faite. Elle va lui coller à la peau : on lui met volontiers sur le dos l’un ou l’autre braquage de fourgons retentissant, mais sans éléments probants. Son ombre plane aussi sur de nombreux procès impliquant des voyous qui lui sont plus ou moins proches. En 1991, Marcel et sa bande retombent dans les filets de la justice. En juillet 1992, c’est le « retour à la case prison », après une condamnation à six ans d’enfermement pour association de malfaiteurs. Libéré, on imagine que le sexagénaire s’est enfin rangé : il vit confortablement dans un manoir de Matton, acheté au nom de sa femme, à cheval sur la frontière franco-belge. Car l’homme aurait de la galette. Sa fortune, dit-on, friserait alors le milliard de francs belges. Les gens du village pensent que « l’élégant », comme ils surnomment ce grand amateur de belles berlines, est un garagiste qui savoure une retraite bien méritée.

Brutalement tiré de sa paisible retraite, en 2001

La justice n’est pas aussi naïve. Le truand blanchi sous le harnais est brutalement tiré de sa paisible retraite, en 2001. Les magistrats belges et luxembourgeois l’impliquent – lui et la mouvance criminelle qu’il dirigerait encore – dans des faits sanglants. Ils ont repéré sa griffe dans l’audacieuse attaque d’un transport d’or commise en 2000 sur l’aéroport du Findel, au Grand-Duché. Quatre blessés avaient été laissés sur le tarmac. Les magistrats voient aussi sa patte dans le braquage meurtrier, d’une violence inouïe, d’un fourgon de la Brink’s Ziegler sur l’autoroute E 40, à hauteur de Waremme, le 12 janvier 1998 : deux convoyeurs y avaient trouvé la mort, pour un butin abandonné sur place. Mais le carnage ne s’arrête pas là. Cette attaque ratée aurait déclenché dans le « milieu » liégeois une vague de règlements de comptes, dans la plus pure tradition de la criminalité organisée : entre 2001 et 2004, une dizaine d’assassinats vont décimer l’entourage du caïd, qui se trouve lui-même dans le collimateur. Un contrat est passé sur la tête du « parrain », jugé trop vieux pour rester aux commandes.

Habran reste « fiché » comme l’un des plus grands truands belges

C’est cette saga du grand banditisme liégeois, enrichie d’autres « hauts faits », qui s’invitera en 2008 à la cour d’assises de Liège pour quatre-vingts jours d’audience lors de ce qu’on appellera le procès Habran. Ce n’est pourtant pas sur le doyen que pèsent les charges les plus importantes. Mais ce procès sera d’abord le sien, à son corps défendant. On ne se refait pas : Habran reste « fiché » comme l’un des plus grands truands belges. Il prétend qu’il se passerait volontiers de ce titre de gloire.

Encore que l’homme joue habilement de ce registre devant des médias qu’il ne dédaigne pas. Il avoue sans pudeur un passé de mauvais garçon pour mieux clamer son innocence dans les braquages qu’on n’a cessé de lui imputer.

Et ce même si l’octogénaire a toujours mis un point d’honneur à ne jamais se soustraire à la justice, se constituant prisonnier en vue du procès. Papy-truand, entouré d’une descendance nombreuse, connaît la chanson pour tenter d’échapper à la prison.

L’affaire Habran va ébranler l’image de la justice

L’affaire « Habran » avait déjà produit en 2009, la plus longue session d’assises et l’une des plus chères de l’histoire judiciaire belge. Elle est à comparer avec les procès de la « bande Haemers » (4 mois et demi en 1993-1994) ou des affaires « Cools » (presque 3 mois en 2003-2004) et « Dutroux » (presque 4 mois en 2004). Six mois pleins devant le jury populaire de Liège, entre les 3 septembre 2008 et 3 mars 2009, pour juger le vieux truand Marcel Habran (77 ans) et ses dix coaccusés (dont un en fuite). Un record. Mais ce ne fut pas le seul en ce dossier.

Tout avait commencé avec une enquête elle-même hors normes : dix ans de recherches, d’écoutes et de filatures ; 250 auditions et confrontations de témoins ; 375 déclarations de suspects ; 75 commissions rogatoires à l’étranger et quelque 250 perquisitions dans notre pays ! Mais ce procès compte aussi parmi les plus coûteux (près de 5 millions d’euros) et, nouveauté en droit cette fois, c’était le premier fondé sur les affirmations de « témoins protégés » (presque des repentis à l’italienne), quasi sans preuves matérielles.

Un voyage étonnant avec, au menu, 13 faits de grand banditisme et 8 assassinats, tueur à gages compris. Avec rien moins que 500 témoins, entendus dans une salle complètement réaménagée pour cette seule occasion.

Finalement, en fournissant des réponses – non motivées – aux 415 questions posées, le jury clôturait l’oeuvre herculéenne… avec un caillou dans la chaussure. C’est que, pendant les débats, la Cour européenne des droits de l’homme avait rendu, le 13 janvier 2009 à Strasbourg, un arrêt dit Taxquet où la Belgique était condamnée.

En cause : le non-respect de l’obligation de motiver les jugements d’assises. Ce qui avait en l’occurrence rendu « inéquitable » le procès de Richard Taxquet (condamné dans l' »affaire Cools »).

Bref, pour l’affaire Habran, le château de cartes s’écroulait le 30 septembre 2009 : la Cour de cassation, changeante en la matière, anéantissait le procès pour les quatre condamnés ayant introduit un recours sur cette base, soit Marcel Habran (qui avait écopé de 15 ans de réclusion criminelle), Thierry Dalem (30 ans), Anouar Bennane et Pepe Rosato (chacun la perpétuité).

C’est pourquoi l’affaire fut ensuite traitée à Nivelles en 2010, sous la présidence de Luc Maes. Avec l’acquittement de Bennane (qui, à Liège, avait écopé de la perpétuité). Et, coup de théâtre, avec l’annonce d’un troisième procès pour « Pepe » Rosato, accusé de quatre meurtres ou assassinats.

La cour avait en effet estimé que le jury avait commis une erreur en traitant l’un des éléments qui l’accusaient. Elle a en conséquence invalidé cette partie du verdict. Giuseppe Rosato sera donc jugé à trois reprises. Une fois à Liège et deux fois à Nivelles après diverses procédures en cassation. Finalement, il sera condamné en 2012 à une peine de 24 ans d’emprisonnement pour sa culpabilité dans trois assassinats.

Cet article est paru dans sa version originale en 2008 et 2010 por l’encadré.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire