© Belga

Habran et la « loterie » des assises

Le nouveau procès du truand liégeois débute vraiment ce lundi. Pour le principal intéressé, cependant, comparaître devant le jury populaire, c’est se soumettre au hasard. Vrai?

Le premier (méga-)procès d’assises relatif au truand liégeois Marcel Habran et à de présumés complices avait sombré, en partie tout au moins, parce que le verdict du jury populaire de Liège n’avait pas été motivé. Il aurait dû l’être, avait estimé la Cour de cassation après le procès (alors que, parfaitement informée pendant les débats, elle avait pourtant laissé faire dans le sens qu’elle allait condamner). Résultat: quatre des accusés avaient obtenu une seconde chance à saisir au cours de nouvelles assises.

Mais, lorsqu’il avait été remis en liberté, au mois de décembre 2009 après que sa condamnation a été anéantie, Marcel Habran avait lancé à la presse: « De toute façon, les assises, c’est une loterie! ». Simple boutade d’un vieux de la veille (Marcel Habran est âgé de 77 ans et a passé près d’un quart de sa vie en prison)? Ou réalité judiciaire?

D’une manière générale, les verdicts populaires sont appréciés par les professionnels du droit: les procès les plus en vue de ces dernières années (Cools, Dutroux, Ait Oud) ont, par exemple, abouti à des décisions ayant paru équilibrées, logiques et en accord avec ce qui avait été dit lors des débats. Et si, de façon bien plus générale, on constate que les acquittements sont plus rares (quelques pour cent) que les condamnations, « c’est logique », commente un magistrat ayant souvent présidé les assises, « parce que le ministère public n’arrive pas les mains vides, parce qu’un juge d’instruction a fait un long travail avant lui et parce que les instances d’instruction ont fait un tri. En théorie, il ne peut y avoir de dossier léger au rôle des assises ».

D’autres soulignent cependant qu’un défenseur n’est pas l’autre; comme en tout domaine humain, il y en a de meilleurs et de moins bons. « On néglige cependant souvent une autre donnée: la montée en puissance des parties civiles dans les procès. Plutôt que de simplement se montrer attentifs aux intérêts de leurs clients, comme dans un passé qui s’éloigne, leurs avocats explorent désormais plus volontiers les dossiers en recherchant les éléments à charge des accusés ».

Bref, les assises semblent de bonne tenue. « D’autant plus », admet de son côté un avocat pénaliste, « que le verdict doit désormais être motivé. L’aspect « loterie » pouvait jouer davantage quand les jurés ne devaient pas justifier leur intime conviction ».

Culpabilité plus que discutable

Mais tout accusé peut tomber sur un jury maladroit. Exemple le 29 janvier 2001 à la cour d’assises de Bruxelles-Capitale, présidée par Luc Maes (coïncidence: ce magistrat expérimenté préside les « assises bis » de Habran et consorts). Ce lundi-là, les jurés avaient estimé qu’Ara Hayrapetian et son frère Garik étaient tous deux coupables de l’assassinat d’un compatriote arménien, Karen Orbelian, abattu à Anderlecht en octobre 1998. Or le président et ses deux assesseurs pensaient que la culpabilité de Garik était plus que discutable. Mettant en oeuvre, fait extrêmement rare, une prérogative particulière née de l’article article 352 du Code d’instruction criminelle, ils avaient retiré au jury le bénéfice de son verdict pour erreur manifeste. Ils craignaient la bavure judiciaire. Rejugé (cette fois en son absence), Garik Hayrapetian avait été purement et simplement acquitté, le 13 juin 2001.

Trop technique?

Toujours est-il que certains, comme Adrien Masset, avocat et professeur de droit pénal à l’ULg, avaient estimé lors de cet épisode que « c’est une disposition bizarroïde dont les magistrats se gardent bien de faire souvent usage, mais l’utilisation de cet article 352 plaide en faveur de la suppression de la cour d’assises telle qu’on la connaît, puisqu’elle revient à dire que trois magistrats savent mieux où est la vérité que douze jurés populaires ».

Il retenait aussi que « le droit pénal moderne est sans doute devenu trop technique et trop particulier pour être laissé à tout un chacun, même si les jurés se consacrent avec la meilleure bonne foi au procès ». Ce qui posait déjà la question toujours d’actualité de la pertinence des assises. Mais c’est (presque) une autre histoire.

D’autres avaient retenu en tout cas de l’épisode qu’acquittements surprenants ou peines très hautes pouvaient découler de « modes » voyant des crimes retenir davantage l’attention du public, et donc du jury. Peut-être. Ce qui est certain, c’est que l’évolution de la société induit des comportements différents chez les jurés (et pourquoi en serait-il autrement?).

Ainsi, il y a peu, ceux qui jugeaient Jessica Billy à la cour d’assises du Hainaut, pour avoir mis fin aux jours de son nouveau-né, avaient parfaitement intégré un récent progrès scientifique, grâce aux débats menés par le président Jean-François Jonckheere. Ce progrès avait permis d’expliquer le « déni de grossesse » qui avait conduit cette mère à répéter ce comportement même en prison. Le 17 mars dernier, elle avait été acquittée. Alors que les autres mères victimes avec leur enfant du même syndrome dans le passé ont été condamnées pour infanticide.

Quant à Marcel Habran, il table encore sur l’acquittement pur et simple. Ses défenseurs, Maîtres Marc Uyttendaele et Laurent Kennes, espèrent que le doute jouera cette fois en sa faveur. A suivre pour trois mois, à Nivelles…

Roland Planchar

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire