Christine Laurent

Gueule de bois

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

On le craignait, mais sans y croire tout à fait. Oui, Bart De Wever est fort, très fort mais allait-il vraiment l’emporter à Anvers face à un bourgmestre socialiste qui n’avait pas démérité ?

Jusqu’au bout, on voulait croire que la ville portuaire lui claquerait la porte au nez ; bref, on se racontait des histoires. Aujourd’hui c’est tout vu, on se réveille avec la gueule de bois, c’est bien un raz de marée populaire qui a porté le leader indépendantiste au pouvoir. Pour six ans. A Anvers et dans de nombreuses communes flamandes d’ailleurs, laissant tous les partis traditionnels groggys. Certes, De Wever est un stratège remarquable. Mais ne nous y trompons pas. Il a surtout exploité l’immense insatisfaction qui va croissant en Flandre. La N-VA réussit en effet la prouesse d’attirer tous les mécontents : les déçus de l’Open VLD, du SP.A, du CD&V, de la Lijst De Decker, comme ceux du Vlaams Belang, ce qui n’est pas une mince victoire. Oui, la Flandre vote à droite, mais au fédéral, elle est dirigée par un gouvernement qui fait la part belle à la gauche. De plus, Di Rupo 1er ne bénéficie pas d’une majorité dans le nord du pays. Au nord, ça ne passe plus.

Alors, du bas en haut de l’échelle sociale, l’insatisfaction gronde, le ressentiment progresse, la Flandre s’aigrit. Le gouvernement fédéral, considéré comme le champion de l’immobilisme et du surplace, est honni. Une coquille vide. De fait, De Wever a su magnifiquement capter cette aigreur, et promettre des lendemains indépendantistes qui sonnent doux aux oreilles des électeurs. L’erreur des francophones serait de sous-estimer cette lame de fond, de détourner le regard, comme ce fut le cas en 2007, et de se laisser porter par le mirage du « on verra bien plus tard, nous ne sommes demandeurs de rien ». Le peuple soutient De Wever, l’établishment flamand aussi ; le leader a gagné ses galons de respectabilité, il est déterminé, il ne reculera pas. Ceux qui ont voté et voteront encore pour lui non plus.

« Sire, laissez-moi vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : il n’y a pas de Belges, mais des Wallons et des Flamands, vous régnez sur deux peuples », écrivait dans une lettre célèbre en 1912 le socialiste Jules Destrée à Albert 1er . Qui oserait en douter aujourd’hui à la lueur de ces élections qui ont vu le parti indépendantiste et séparatiste flamand plébiscité ? De Wever, cent ans plus tard, confirme : oui, la Belgique c’est bien deux peuples, deux démocraties que seul le confédéralisme pourrait peut-être maintenir dans un seul pays. Les francophones n’ont pas le choix : ils devront bien prendre leurs responsabilités.

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