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Grabuge à Bruges

Star du polar, l’auteur flamand Pieter Aspe poursuit sa série sur le Commissaire Van In. Une nouvelle aventure brugeoise toise une affaire passée, visant l’Etat, l’Eglise et l’armée.

La dernière fois qu’on a rencontré Pieter Aspe, Bruges avait revêtu un manteau de glace. L’été n’a toujours pas fait de percée, mais ses romans nous transportent ailleurs. Avec ses grandes lunettes noirs et ses cheveux gris mi-longs, il partage un air de famille avec le chanteur Arno. Lui estime qu’au bout d’une trentaine de romans, dans la peau du Commissaire Van In, il ressemble à son héros. « Inhabituel, il boit la Duvel, s’avère bordélique et capable de s’accrocher à une idée jusqu’au bout. » Ce 12è tome, en version française, l’entraîne sur la piste d’un crime jamais élucidé. Signature : trois balles et une carte de tarot. Or rouvrir la boîte de Pandore n’est pas sans danger…

Vous soutenez que « les écrivains ne partent pas de zéro ». Quel est votre point de départ ?

Ça varie, mais contrairement à ce qu’on croit, je préfère inventer une histoire que de partir d’un fait-divers. Ici, j’avais envie de déterrer une ancienne affaire car grâce aux nouvelles techniques scientifiques, cela arrive de plus en plus souvent. J’adore l’idée qu’on puisse investiguer un crime irrésolu, commis il y a vingt ans. Dans ce roman, le passé revient hanter le présent pour que la justice puisse triompher. Celle-ci consiste à appliquer la loi. Bien qu’elle nous semble injuste ou plus favorable envers les criminels, l’important est d’offrir un cadre.

L’auteur est-il un enquêteur ?

Dans un certain sens oui. Un roman livre des questions et des réponses… Il appartient au romancier de jongler avec les imprévus et les émotions, afin de piéger le lecteur, tout en lui donnant l’impression d’être à l’abri. Le crime se situe souvent au coeur de la littérature car il relève de l’irréversible et du mystère. La plupart des gens ne passeront jamais à l’acte, mais certaines situations peuvent nous conduire à basculer. Ce qui m’intéresse, c’est de découvrir ce qui se cache derrière les façades d’une ville ou d’une personne.

Plus qu’un décor, Bruges est le fil rouge de cette série policière. Comment a-t-elle rejoint la modernité ?

On résume généralement ma ville au « triangle d’or » touristique, or je tiens à montrer qu’il y a d’autres belles choses à voir. J’apprécie son côté compact, ses ruelles moyenâgeuses et intimistes, ainsi que ses petits parcs cachés. Alors que Dona Léon situe tous ses romans à Venise, je transforme Bruges en protagoniste. Enfant, j’ai connu cette ville en état de délabrement. Une fois renouvelée, elle a été revalorisée. Bruges est devenue moderne grâce au tourisme, attirant des gens du monde entier, et au port qui lui a permis d’évoluer vers une ville industrielle. J’aime que mes lecteurs puissent y retrouver les scènes existantes de mes histoires.

Si « la Belgique remporte le Prix Nobel du compromis », pourquoi aviez-vous envie d’aborder certains tabous ici ?

Parce que j’aimerais que notre pays regarde son histoire en face. Beaucoup d’encre a déjà coulé sur la collaboration, lors de la Seconde Guerre mondiale, mais elle possède toujours une odeur de soufre. Dans certaines familles, le secret est tel que ce tabou meurt avec ceux qui l’ont vécu. Aussi cette question demeure-t-elle présente, même si elle doit être replacée dans l’époque. Autre interrogation : comment notre pays tient-il debout grâce aux compromis ? A force d’en abuser, ne risque-t-on pas de menacer la prospérité ? Et ce, au nom de politiciens prêts à tout pour gagner des voix électorales. En dépit de ce jeu, il existe deux communautés linguistiques, chacune a sa mentalité et sa façon d’envisager l’avenir. Au lieu de se tirer dans les pattes, ne vaudrait-il pas mieux qu’elles se fassent confiance ? La Belgique ne disparaîtra pas, mais le bonheur et l’équilibre ne coulent point de source, ça se travaille.

L’affaire du tarot, par Pieter Aspe, éd. Albin Michel, 286 p.
Kerenn Elkaïm

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