Mohamed Ouriaghli, président de Gial : " Je n'ai aucun contact avec aucun fournisseur de Gial. " © AURORE BELOT/ISOPIX

Gial et Proximus en eaux troubles

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

En pleine procédure de marché public avec Gial, l’opérateur de télécoms Proximus a invité deux représentants de cette asbl bruxelloise publique à un voyage d’étude aux Etats-Unis. La loi interdit pourtant ce type de contact lorsqu’un marché est en jeu.

Qu’il est difficile de résister à l’appel de la baie de San Francisco ! Surtout lorsqu’on y est invité, dans le cadre d’un voyage organisé… et payé. Le président et le directeur général de Gial, cette asbl publique en charge de l’informatique de la Ville de Bruxelles, ont donc accepté l’invitation de Proximus : l’échevin bruxellois (PS) Mohamed Ouriaghli, président de Gial, et Yves Vander Auwera, directeur général, seraient bien de ce voyage d’étude dans la Silicon Valley, en octobre 2016. Ce saut de puce au-dessus de l’Atlantique pourrait se révéler moins plaisant aujourd’hui puisqu’il pourrait cacher une entorse à la loi sur la passation des marchés publics. Rétroactes.

En septembre 2015, le conseil d’administration de Gial approuve le principe du lancement d’un important marché LAN/WLAN (réseaux informatiques) : celui-ci comporte un lot d’une valeur d’environ 1 200 000 euros, et un autre de quelque 400 000 euros. Début janvier 2016, trois candidats remettent une offre : Proximus, Infradata et Dimension Data. Proximus emporte le premier lot et Infradata obtient le second, le 20 avril. Econduite, Dimension Data introduit un recours en référé contre cette décision.

Le 24 mai 2016, le CA de Gial confirme son premier choix mais le motive de façon plus précise. Dimension Data se tourne vers le tribunal de première instance pour un deuxième recours. Le 26 septembre, celui-ci conclut que l’offre de Dimension Data est techniquement irrecevable mais que celle de Proximus l’est tout autant.  » Nous avons été écartés pour ne pas avoir respecté certains paramètres techniques dans l’offre « , confirme le porte-parole de l’opérateur. Lors de sa séance du 18 octobre, le CA de Gial décide de confier les deux lots au dernier candidat en lice, Infradata.

Sans qu’il soit question de  » compensation « , il est convenu que le vainqueur, Infradata, achète du matériel informatique à Proximus. L’information est confirmée par le porte-parole de l’opérateur. Le 15 novembre, en CA, Yves Vander Auwera, alors directeur général de Gial, annonce que la période de  » stand still « , c’est-à-dire le délai durant lequel des soumissionnaires non retenus peuvent introduire un recours susceptible de conduire à la suspension, voire à l’annulation de la décision d’attribution du marché, est officiellement terminée. Le marché est dès lors considéré comme clôturé à cette date.

Quelque trois semaines plus tôt, le 22 octobre 2016, Yves Vander Auwera et Mohamed Ouriaghli, échevin de l’informatique et président de Gial, se sont envolés vers les Etats-Unis, invités par Proximus. L’information est certifiée par l’opérateur de télécoms.  » Je vous confirme que nous avons invité certains clients importants (NDLR : dont Gial) à un voyage d’étude à la Silicon Valley en octobre 2016. Ce voyage était organisé autour d’un programme de travail minutieux. L’invitation a été émise à une époque où aucun appel d’offres n’était en cours avec Gial étant donné que le marché nous avait été attribué le 24 mai « , a déclaré ce porte-parole.

Ce n’est pas exact.  » Quand il y a recours, la notification de marché est suspendue « , précise un avocat spécialisé dans les marchés publics. Officiellement, le marché a donc été clôturé en novembre. Or, le voyage intervient en octobre, entre le moment où Infradata emporte les deux lots du marché et la fin du  » stand still « . La procédure était donc encore en cours.

Petit tour en catamaran

Des mails portant sur l’organisation du voyage sont d’ailleurs échangés entre Proximus et Gial bien plus tôt dans l’année, selon les informations recueillies par Le Vif/L’Express. Un mail de Proximus, daté du 26 juillet 2016, adressé à Yves Vander Auwera et Mohamed Ouriaghli ainsi qu’à dix invités venus d’autres entreprises, les convie ainsi tous à une réunion de préparation. Lieu du rendez-vous : les Proximus Towers. Proximus confirme l’envoi de ses invitations en juillet. Outre diverses visites d’entreprises, le programme prévoit entre autres un petit tour en catamaran dans la baie de San Francisco.

D’autres mails suivront, notamment le 8 septembre 2016. Ce courrier, toujours envoyé par Proximus, détaille les informations relatives à l’organisation du vol vers San Francisco et aux hôtels réservés. Il s’accompagne d’un formulaire que MM. Ouriaghli et Vander Auwera sont invités à compléter, confirmant que  » le Silicon Valley Tour est conforme aux règles en vigueur chez Gial et à la Ville de Bruxelles « .

Interrogé lors du conseil communal du 26 février dernier, Mohamed Ouriaghli affirme pourtant  » n’avoir aucun contact avec aucun fournisseur de Gial « . Selon lui, il ne peut d’ailleurs être question de conflit d’intérêts dans ce dossier  » car le marché que Proximus n’a pu décrocher avait déjà été clôturé à la date du voyage « . Cette affirmation n’est pas correcte, donc.

Or, la loi prévoit qu’en cours de procédure de passation de marché public,  » aucun contact n’est autorisé entre le pouvoir adjudicataire et les soumissionnaires, sauf pour procéder à la vérification des éventuels prix apparemment anormaux « .

Et la facture ? Le voyage n’aura en tout cas pas coûté trop cher à Gial. Selon les informations du Vif/L’Express, l’asbl de la Ville de Bruxelles n’a déboursé que quelque 1 000 euros pour obtenir un surclassement des sièges dans l’avion, ainsi que 30 euros pour les frais de visa de ses deux représentants.

Proximus n’a pris en charge que l’organisation du voyage (lancement des invitations, coordination du programme…), soutient son porte-parole.  » Les sociétés partenaires qui accueillaient les invités sur place ont pris en charge le coût de leur vol (en classe économique), leur hébergement et leurs repas. Tous les autres frais (visa, frais sur place…) étaient payés par les participants.  »

Questionné, Mohamed Ouriaghli a affirmé qu’il avait  » été invité par Gial à ce voyage  » avant d’indiquer qu’il n’était  » même pas au courant que Proximus payait « . Or, Proximus assure n’avoir pas financé ce voyage. En revanche, le président de Gial ne pouvait ignorer que Proximus était impliqué dans une procédure de marché public en cours, sachant que le sujet était régulièrement abordé au conseil d’administration.

Réinterpellé à de multiples reprises par Le Vif/L’Express, l’échevin Ouriaghli a fait savoir que l’avocat de la Ville de Bruxelles  » lui déconseillait de répondre aux questions posées « . Depuis le licenciement d’Yves Vander Auwera, en décembre 2016, la Ville de Bruxelles a, en effet, déposé plainte contre X avec constitution de partie civile au parquet de Bruxelles, en lien avec une gestion problématique des marchés publics chez Gial. L’affaire est toujours à l’instruction.  » Nous ne pouvons pas nous exprimer sur le sujet car ce voyage constitue l’un des points de la plainte « , a précisé le porte-parole de Mohamed Ouriaghli.

Les explications de l’échevin restent donc un mystère pour l’instant. En revanche, les contacts entre Gial et Proximus, en pleine procédure de passation de marché public, ne font aucun doute.

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