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Geert Noels : « Trop de conflits d’intérêts entre la banque et le politique »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La scission des banques a du mal à passer. C’est que le secteur résiste, malgré les avertissements de nouvelle crise financière lancés par nombre d’économistes. Parmi ceux-ci : Geert Noels, le chouchou des médias flamands. Décryptage des enjeux de la réforme avec Geert Noels, professeur et chef économiste chez Econopolis.

Le Vif/L’Express : On réforme les banques aujourd’hui, mais fallait-il les sauver comme on l’a fait il y a cinq ans ?

Geert Noels : On ne pouvait pas laisser tomber le système bancaire… Cela dit, fallait-il maintenir les banques dans le même état qu’avant la crise ? Je crois qu’on aurait dû privilégier un scénario où certaines sources de financement des banques auraient servi à compenser les pertes. C’est ce qu’on appelle le « bail-in ». Il fallait évidemment profiter de la période de stress pour procéder de la sorte. Aujourd’hui, c’est trop tard. Résultat : l’actionnaire et, surtout, le contribuable ont tout épongé.

Pourquoi a-t-on raté cette chance ?

Les grandes banques ont joué sur la peur. On a brandi la chute de Lehman Brothers comme un épouvantail pour effrayer les gens. On a simplifié à l’extrême l’explication de la crise financière en l’attribuant à Lehman. Tout le monde sait, aujourd’hui, que c’était bien plus complexe que cela. Que Lehman Brothers n’était qu’un pion parmi d’autres, que cette banque n’était pas une victime innocente, que plusieurs banques d’affaires avaient un compte à régler avec Lehman depuis la fin des années 1990…

Les banques belges sont-elles plus solides qu’il y a cinq ans ?
Elles sont en tout cas moins grandes. Ce qui réduit l’impact d’une éventuelle nouvelle crise. Mais il subsiste des dangers. L’épargne des Belges est utilisée par des banques étrangères pour des activités qui ne sont pas toujours sans risque. Par ailleurs, les épargnants ne sont pas non plus très regardants vis-à-vis des risques sous-jacents à leur épargne. Ils se sentent protégés par la garantie des dépôts à hauteur de 100 000 euros. C’est un effet pervers de la mesure. Je pense que l’épargnant doit aussi se responsabiliser, comme le consommateur le fait pour l’alimentation ou l’énergie. Il ne peut plus exiger un rendement pour ses placements sans réfléchir aux conséquences.

Pourquoi ne parvient-on pas à scinder les banques de dépôts et d’affaires ?

Les banques universelles résistent. Vu leur taille, elles sont influentes. Si le lobby bancaire était moins puissant, on aurait restauré le Glass-Steagall Act (Ndlr : législation américaine, abrogée en 1999, qui cloisonnait banques de détail et banques d’investissement pour renforcer la stabilité financière) depuis longtemps.

Il s’agit plus d’une question de volonté que de temps ?

C’est uniquement une question de volonté, de courage politique. Le problème est que des gens provenant du monde bancaire détiennent des postes clés dans des instances internationales de contrôle et de régulation, dans des banques centrales (Ndlr : le président de la Banque centrale européenne est un ancien de Goldman Sachs International), etc. On appelle cela le crony capitalism, un système économique où se dilue les intérêts des financiers et des politiques. En Belgique aussi, on trouve de nombreux exemples de conflits d’intérêts.

Le monde politique doit être plus indépendant du monde bancaire et financier ?

Absolument. On voit bien aujourd’hui que les mesures qui ont été engagées en 2009 et 2010 se sont adoucies, notamment le « leverage » – la réduction d’effet de levier – au niveau de Bâle III (1). Il faut davantage mettre en avant la problématique du conflit d’intérêts entre le secteur bancaire et le monde politique. Cela doit se réfléchir en Belgique, bien sûr, mais aussi, et surtout, au niveau européen et international.

(1) L’accord de Bâle III entre gouverneurs de banques centrales (fin 2010) impose une série de réglementations nouvelles aux banques dont celle de relever leur niveau de fonds propres.

L’interview intégrale dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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