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Geert Bourgeois livre son credo à l’UCL devant une assistance houleuse (vidéo)

Le ministre-président flamand, Geert Bourgeois, a exposé mercredi les fondements de son engagement politique devant des étudiants francophones très critiques, au cours d’une leçon inaugurale de la faculté des sciences politique et sociale de l’Université catholique de Louvain (UCL).

Co-fondateur de la N-VA au début des années 2000, M. Bourgeois est l’une des figures de proue du nationalisme flamand, auquel il préfère désormais le terme de « patriotisme ». « Je me qualifie de patriote flamand plutôt que de nationaliste flamand parce que, pour des raisons historiques, le mot ‘nationalisme’ a une connotation négative, surtout en Europe », a-t-il déclaré.

A ceux qui préfèrent l’adjectif « nationaliste », M. Bourgeois précise qu’il existe un nationalisme « ouvert, démocratique, humanitaire et inclusif ».

« La Flandre est une nation. Les Flamands ont une identité propre. Les Flamands sont porteurs d’une conscience nationale », a-t-il expliqué au cours d’un exposé dont le mot Belgique était absent.

A l’entendre, les nouveaux venus sont les bienvenus dès lors qu’ils adhèrent aux valeurs de la société flamande et apprennent le néerlandais. « Nous attendons donc des ‘nouveaux Flamands’ qu’ils apprennent le néerlandais, la langue officielle de la Flandre, la langue commune de la société flamande. La langue est l’épine dorsale de notre identité », a-t-il expliqué.

La venue de M. Bourgeois n’était pas du goût de tout le monde à Louvain-la-Neuve. Quelques manifestants s’étaient réunis devant l’Aula Magna aux cris de « Bourgeois buiten ».

Le ministre-président flamand a été invité à justifier la politique menée par une autre figure de proue de la N-VA, le très médiatique secrétaire d’Etat à l’Asile, Theo Francken, revenu sur le devant de la scène en raison des opérations menées à l’égard des migrants du Parc Maximilien et de la Gare du Nord.

« Il y a beaucoup de malentendus sur ce que fait Theo Francken. C’est une politique très correcte et humanitaire », a expliqué M. Bourgeois devant une assistance houleuse.

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Le texte de la leçon inaugurale Sciences Politiques à l’Université Catholique de Louvain, du Minister-president Geert Bourgeois

« Assises de mes convictions et engagements politiques »

Leçon inaugurale Sciences Politiques à l’Université Catholique de Louvain

Le 20 septembre 2017

Monsieur le Recteur,

Monsieur le Doyen,

Mesdames et Messieurs les Professeurs et Membres du Corps académique,

Chers Étudiantes et Étudiants,

Mesdames, Messieurs,

Je me réjouis d’inaugurer avec vous les cours de « Sciences Politiques » de l’année académique deux mille dix-sept – deux mille dix-huit.

C’est pour moi un grand honneur d’être l’hôte de l’Université Catholique de Louvain.

Je remercie les professeurs Pierre Baudewyns et Min Reuchamps de leur aimable invitation.

Cette leçon inaugurale me donne l’occasion :

– d’expliquer mon point de vue sur quelques aspects de la politique,

– et de m’exprimer sur mes convictions politiques et les motifs de mon engagement politique.

Pour autant que cela soit nécessaire, je souhaite toutefois préciser d’emblée que je parle en mon propre nom, sans lier le Gouvernement flamand.

1. Politique – État

Mesdames, Messieurs,

Mes propres années d’études m’ont appris que des cours dignes de ce nom commencent par la définition de leur sujet.

La question fondamentale est de savoir ce qu’est la politique ?

Comme il n’existe pas de définition univoque, je me propose de vous soumettre celle-ci :

– la politique est le modelage et le pilotage d’une société en vue d’engendrer autant de prospérité que possible

– afin de réaliser autant de bonheur que possible

– pour le plus grand nombre de personnes possible.

Au cours du vingtième siècle, notre prospérité a augmenté en permanence. Notre situation est meilleure que celle de nos parents, qui ont joui d’une amélioration de leurs conditions par rapport à leurs parents.

Nous devons aujourd’hui relever le défi d’encore améliorer cette prospérité au cours du vingt et unième siècle. De manière durable. De sorte que nos enfants et nos petits-enfants vivent à leur tour dans un monde meilleur que le nôtre.

La politique a pour mission d’en créer le cadre et les conditions. Sa tâche, par conséquent, est l’organisation et le fonctionnement de la société, en tournant son regard résolument vers l’avenir et en portant l’attention nécessaire aux nombreux bouleversements qui nous attendent.

Il peut s’agir d’une société à l’échelon local, comme une commune ou une ville.

Il peut s’agir d’une société supranationale, comme l’Union européenne.

Mais la « société politique » par excellence, c’est l’État.

Fruit de nombreuses évolutions historiques, l’État cristallise

– la structure contemporaine et courante

– dans laquelle des sociétés plus ou moins vastes s’organisent et fonctionnent.

Selon la formule du juriste austro-allemand Georg Jellinek, un État est caractérisé par

– un territoire délimité et déterminé ;

– une population résidant sur ce territoire ;

– et des institutions qui disposent de la souveraineté, de la supériorité du pouvoir.

2. Nation – identité nationale

Le modèle d’État le plus fréquent, a fortiori dans le monde occidental, est celui de l’État-nation.

Dans ce modèle, un État, en tant qu’entité politique souveraine, est congruent à une nation, en tant qu’entité socioculturelle.

Il arrive que l’État devienne nation comme ce fut le cas en France, en Angleterre et aux États-Unis.

Il se peut aussi que la nation engendre l’État, comme en Allemagne et en Italie, ou qu’elle aspire à former un État comme l’illustrent dans un passé récent la Tchéquie et la Slovaquie, et aujourd’hui la Catalogne, l’Écosse et la Flandre.

Par nation, nous entendons un grand groupe de femmes et d’hommes qui

– vivent dans un territoire déterminé,

– partagent une histoire commune,

– parlent la même langue,

– partagent une culture commune – culture largo sensu, avec, entre autres, les journaux, la radio et la télévision, mais aussi les us et coutumes -,

– partagent des valeurs et des opinions communes,

– et qui ont la ferme volonté de poursuivre leur vie commune.

Une nation s’appuie sur la conscience d’appartenir à ce groupe en question.

Une nation a sa propre identité qui la différencie des autres nations.

Les six millions et demi de Flamands constituent une nation.

Ils habitent dans un territoire clairement délimité et dans des conditions de vie assez semblables.

Ils partagent la même histoire et parlent la même langue.

Ils lisent les mêmes journaux et regardent les mêmes émissions télévisées.

Épicuriens, ils partagent une culture culinaire et brassicole commune.

Ils perpétuent leurs traditions des cortèges, des processions et des ommegangs.

Ils croient au progrès et à l’innovation.

Ils partagent les valeurs des Lumières.

Cette conjonction de facteurs

– qui sont caractéristiques pour les habitants d’un territoire déterminé (comme la Flandre),

– qui cimentent les relations entre ces personnes

– et qui, dans une certaine mesure, déterminent leur façon de penser et d’agir,

nous l’appelons l' »identité nationale ».

D’une identité nationale respire une force unificatrice et intégrative. Elle confère aux « membres » de la nation un sentiment d’appartenance et d’être « chez eux ».

Ces liens émotionnels à une nation, la conscience et la fierté d’appartenir à une nation – ou, pour utiliser une notion plus romantique, à une « mère patrie » -, c’est ce que nous appelons le patriotisme.

Effectivement, je suis un patriote flamand.

Je me qualifie de patriote flamand plutôt que de nationaliste flamand, parce que pour des raisons historiques, le mot « nationalisme » a une connotation négative, surtout en Europe.

À ceux qui préfèrent utiliser l’adjectif « nationaliste », je tiens à préciser qu’il existe aussi un nationalisme ouvert, démocratique, humanitaire et inclusif.

Ce nationalisme n’est ni borné ni cloisonnant, et n’a rien à voir avec l’idéologie « Blut und Boden », qui établit un rapport entre l’ascendance et le sol.

Ce nationalisme n’a rien à voir avec l’idéologie du « rejet de l’autre », qui se nourrit du sentiment d’être « supérieur » et qui est le terreau de conflits ou, pire encore, de guerres.

Ce nationalisme est basé sur l’égalité de chacun et sur le respect de toute autre nation.

Ce nationalisme ne va pas à l’encontre de la coopération internationale. Une nation européenne contemporaine fait partie d’une totalité plus large, l’Union européenne.

Ce nationalisme est synonyme du « patriotisme ouvert et généreux » dont Emmanuel Macron parlait dans ses discours de la campagne présidentielle et qu’il appelait « l’esprit français » et « la volonté de savoir d’où nous venons et où nous voulons aller, et dont le coeur n’a jamais été l’exclusion de l’autre ».

3. Patriotisme – citoyenneté – culture publique

Martha Nussbaum, une des plus grandes philosophes de notre temps, a déclaré il y a cinq ans dans le journal De Standaard qu’elle s’était fourvoyée lorsqu’elle avait écrit un article très négatif sur le patriotisme.

Je la cite : « Je pensais que le patriotisme était un obstacle à la justice. Cependant, au fil du temps, j’ai compris que le patriotisme, pour autant qu’il soit inclusif, peut être précisément constructif. Il peut libérer les hommes de leur égoïsme et les inciter à la solidarité et à la redistribution ».

Fin de citation.

Dans son livre le plus récent, intitulé Political Emotions: Why Love Matters for Justice, paru en deux mille treize, Martha Nussbaum cite d’un air approbateur le philosophe et politicien italien du dix-neuvième siècle Guiseppe Mazzini.

Ce dernier a dit que les sentiments nationaux peuvent jouer un rôle précieux, voire essentiel, dans la gestation d’une société décente où la liberté et la justice sont accessibles à tous. La nation peut toucher le coeur et l’imagination. Elle transfigure le « je » et le « mon » en « nous » et « notre », et peut donc transformer une compassion limitée en une compassion plurielle.

Selon Nussbaum, le patriotisme, la conscience nationale, crée un sentiment d’appartenance qui est presque indispensable pour mettre en place une société stable et pour renforcer la cohésion sociale.

De son côté, le philosophe anglais John Stuart Mill écrivait, il y a déjà un siècle et demi, qu’une identité nationale partagée est une condition sine qua non pour le bon fonctionnement des institutions démocratiques.

L’histoire nous apprend en effet qu’une démocratie ne grandit et ne prospère jamais aussi bien que dans une société où État et nation coïncident.

Dans des sociétés divisées par des lignes de fracture culturelles ou ethniques, la démocratie peine à fonctionner correctement. Prenons l’exemple de la Belgique qui doit recourir à des mécanismes comme la loi à majorité spéciale et la procédure de la sonnette d’alarme.

S’il est vrai qu’elles sont vantées comme des « perles » de la « technologie institutionnelle de pointe », il n’en reste pas moins qu’elles court-circuitent la règle de majorité démocratique et qu’elles bafouent les principes de l’orthodoxie démocratique.

Mesdames, Messieurs,

La Flandre est une nation. Les Flamands ont une identité propre. Les Flamands sont porteurs d’une conscience nationale.

Mais cela vaut-il aussi pour les immigrants, les gens qui vivent en Flandre, mais qui ont leurs racines ailleurs ? Font-ils également partie de la nation flamande ? Sont-ils également porteurs de l’identité flamande, d’une conscience nationale ?

En suivant le politologue allemand Dolf Sternberger, je fais une différence entre le « patriotisme national » et le « patriotisme constitutionnel ».

Le « patriotisme national » s’appuie principalement sur un passé commun. Il s’agit d’une prise de conscience identitaire s’inscrivant dans le prolongement d’une histoire commune et de l’héritage actuel inhérent et consécutif à cette histoire : notre langue et notre culture sous toutes ses formes. Elles constituent un facteur de rattachement, elles sont la source de la cohésion sociale.

Le « patriotisme constitutionnel » se base quant à lui sur un présent et un avenir partagés. Dans ce cas, les facteurs de rattachement et la source de cohésion sociale sont nos valeurs et normes communes, nos droits et nos libertés, nos institutions et procédures politiques, bref : notre constitution, qui règle notre manière de fonctionner ensemble.

Comme le disait Sternberger, les deux formes de patriotisme peuvent coexister.

Et de fait, une société hétérogène, comme la Flandre l’est également devenue, a besoin non seulement d’un patriotisme national, mais aussi constitutionnel.

Dans une société hétérogène, il ne suffit plus de faire référence aux facteurs nationaux comme le passé et la culture pour déterminer qui appartient à la nation, qui en est un citoyen.

Dans une société hétérogène, la citoyenneté est également déterminée par ce que j’appelle notre « culture publique ». Celle-ci comprend :

– notre langue commune

– et l’ensemble des normes et des valeurs,

des règles fondamentales écrites et non écrites

– qui régissent notre société démocratique et ouverte

– et qui guident nos rapports entre nous.

Notre « culture publique » comprend les acquis des Lumières et les éléments phares de notre État de droit :

– nos libertés et droits fondamentaux ;

– la séparation de l’Église et de l’État ;

– l’égalité homme/femme ;

– la liberté d’expression ;

– la pluralité des cultes ;

– la non-discrimination fondée sur l’origine, mais également sur l’orientation sexuelle ;

– et ainsi de suite.

Nous chérissons ces acquis ; nous ne pouvons ni ne voulons les abandonner.

Ils s’appliquent à la fois aux « anciens » et aux « nouveaux Flamands » dont nous attendons qu’ils internalisent notre culture publique.

Nous attendons donc des « nouveaux Flamands » qu’ils apprennent le néerlandais, la langue officielle de la Flandre, la langue commune de la société flamande.

La langue est l’épine dorsale de notre identité.

La langue est le clef de notre société. Elle ouvre la porte vers l’enseignement, la porte vers le marché de l’emploi, la porte vers la communication et l’interaction avec les voisins, la porte vers la vie associative, la porte vers la participation active à la société…

Grâce à notre langue, les « nouveaux Flamands » peuvent apprendre notre histoire.

Grâce à notre langue, ils peuvent lire nos journaux et regarder nos chaînes de télévision flamandes.

Grâce à notre langue, ils auront leur mot à dire dans la société et pourront participer à la mobilité sociale et grimper sur l’échelle sociale.

Grâce à notre langue, ils peuvent devenir des partenaires de notre culture largo sensu, ils peuvent devenir des citoyens à part entière de la nation flamande.

4. Identité wallonne – Nation wallonne

Il ne fait aucun doute que la Flandre est une nation. Mais qu’en est-il de la Wallonie ? Existe-t-il une identité et une nation wallonnes ?

En tout cas, on ne peut pas nier que les trois millions six cent mille habitants des cinq provinces wallonnes partagent un certain nombre de caractéristiques communes que l’on peut qualifier d’identité nationale – même si l’identité collective est moins marquée qu’en Flandre.

Au sein du Mouvement wallon, qui, à l’origine, militait surtout pour le maintien du français comme seule langue officielle de la Belgique, un courant nationaliste existait déjà avant la Première Guerre mondiale, donc plutôt qu’au sein du Mouvement flamand.

À ce propos, nous pouvons nous référer à l’instauration de l’Assemblée wallonne en tant que Parlement wallon officieux en mille neuf cent douze, et du Congrès wallon de mille neuf cent treize, où le « coq hardy » a été adopté comme symbole de la Wallonie.

Après la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs Congrès nationaux wallons ont eu lieu.

Le deuxième, qui s’est tenu en mille neuf cent quarante-six, proposait, je cite : « que la Belgique se transforme en une Confédération d’États régionaux, la Flandre et la Wallonie, avec une ville fédérale, Bruxelles, dont les habitants devront opter individuellement pour la sous-nationalité flamande ou wallonne ».

La grève générale de l’hiver 1960-1961 (mille neuf cent soixante – mille neuf cent soixante et un) a enfanté le renardisme et le Mouvement populaire wallon, porteur d’un socialisme et d’un régionalisme exacerbés.

Après la « crise de Louvain », on assiste à un rapprochement rapide entre le nationalisme wallon et le jeune régionalisme bruxellois. C’est ainsi que la Communauté française a vu le jour. Dans le même temps, la Wallonie a soutenu pleinement la création d’une « région à part entière » pour Bruxelles.

Je suis persuadé que notre histoire communautaire et notre réforme de l’État auraient eu un tout autre visage si la Wallonie avait opté pour un « fédéralisme à deux » et la gestion commune de Bruxelles.

Pouvons-nous parler d’un renouveau du courant de pensée en faveur d’une identité wallonne ? Certains signes timides pointent dans cette direction.

En deux mille dix, par exemple, à l’occasion du trentième anniversaire de la Région wallonne, le Ministre-président Rudy Demotte avançait l’idée d’une grande réflexion sur « l’identité wallonne » et exprimait le souhait d’entreprendre un travail sur la création d’une conscience collective wallonne.

L’année passée, dans son discours sur l’état de la Wallonie à la tribune du Parlement wallon, le Ministre-président Paul Magnette plaidait en faveur d’un « patriotisme wallon », en appelant les citoyens wallons et les entreprises wallonnes à consommer davantage de produits wallons.

Et récemment, la RTBF-radio a dédoublé son émission hebdomadaire « Débats Première » en une version consacrée à la Wallonie et une autre à Bruxelles. « Un décrochage wallon devenait indispensable ; sociologiquement, les régions sont différentes », pouvait-on lire dans Le Soir.

Seul l’avenir nous dira ce qu’il en adviendra. Je suis persuadé qu’un renforcement de la conscience collective serait positif pour la Wallonie et son avenir.

5. Atouts et défis de la Wallonie

Mesdames, Messieurs,

Quelles que soient les évolutions de la structure de notre État déjà partiellement fédérale et confédérale, Flamands et Wallons resteront toujours voisins. C’est la raison pour laquelle une Flandre prospère n’a que des avantages pour la Wallonie, et inversement.

Eh oui, la Wallonie a les mêmes atouts et les mêmes moyens que la Flandre pour être une région prospère.

La Wallonie elle aussi a d’excellentes universités (telles que l’UCL) et des instituts de recherche renommés.

Les Wallons eux aussi ont la fibre entrepreneuriale.

La Wallonie elle aussi a des entreprises qui font autorité et d’éminents dirigeants d’entreprise.

La Wallonie elle aussi dispose d’une main-d’oeuvre très qualifiée.

En la comparant à la Flandre, je vois deux grands défis pour la Wallonie : son enseignement et son exportation, son ouverture sur le monde.

Pour ce qui concerne l’enseignement, je ne doute pas que le sud du pays compte des étudiants tout aussi intelligents et des enseignants tout aussi excellents qu’ailleurs dans l’Union européenne. Néanmoins, la dernière étude PISA (de deux mille quinze) confirme que la qualité de l’enseignement wallon est inférieure à celle de la Flandre et à la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Tant pour les sciences que pour la compréhension de lecture, les étudiants de quinze ans de la Communauté française obtiennent un score moyen inférieur à celui de l’OCDE. Pour les mathématiques, les scores moyens sont à peu près égaux.

Dans les trois domaines (sciences, mathématiques et compréhension de lecture), le score moyen des étudiants de quinze ans de la Communauté française est trente points de moins que celui de leurs homologues flamands. Cette différence correspond à une année scolaire de retard.

Selon des experts, les différences qualitatives de l’enseignement et du niveau de formation expliquent les différences de productivité entre la Flandre et la Wallonie, de même que la durée de chômage moyenne plus longue en Wallonie et le risque de pauvreté supérieur qui y est lié.

La qualité de l’enseignement doit être un souci permanent des responsables politiques tant flamands que wallons. C’est la raison pour laquelle le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a mis en chantier un « Pacte pour un enseignement d’excellence » au début de cette législature.

Fin deux mille seize, les parties prenantes, en d’autres termes les pouvoirs organisateurs, les associations de parents et les syndicats, ont rendu leur projet de réforme. Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles l’a approuvé il y a six mois.

Je me réjouis de l’initiative et de certaines mesures du « Pacte d’excellence », tel que le renforcement de la qualité de l’enseignement maternel en assurant la fréquentation régulière, et la lutte contre le redoublement (qui est le double de celui en Flandre).

D’autre part, on a arrêté des choix que je ne partage pas, comme le tronc commun de la première maternelle à la troisième secondaire. Le tronc commun serait donc prolongé d’un an et le choix entre enseignement général, technique et professionnel ajourné jusqu’à la fin de la troisième année de l’enseignement secondaire.

En Flandre, nous avons une excellente expérience avec l' »early tracking » ou orientation précoce. Après l’enseignement fondamental, les élèves (et leurs parents) doivent déjà choisir entre une année A qui les prépare à l’enseignement général et technique, et une année B qui les prépare à l’enseignement professionnel.

L’année A comprend une formation de base de vingt-sept heures et une formation au choix de cinq heures. Au cours de la deuxième année, une option de base doit être choisie. Dès la troisième année, tout élève suit un enseignement général, technique, artistique ou professionnel.

Dans le cadre de la réforme de l’enseignement secondaire, pour laquelle le Gouvernement flamand vient d’approuver un avant-projet de décret, nous conservons le principe de l' »early tracking », avec une première année A et une première année B et à chaque fois cinq heures de différenciation. Et nous conservons les options de base en deuxième année mais en diminuons le nombre.

Selon le professeur Wim Van den Broeck, psychologue de l’éducation à la « Vrije Universiteit van Brussel », plus le niveau de prestation général d’une classe ou d’une école est élevé, plus c’est bon pour tout le monde, également pour les élèves les plus faibles. Je suis dès lors convaincu qu’avec la réforme limitée de notre enseignement secondaire, nous avons pris une décision empreinte de sagesse.

Mesdames et Messieurs,

Le deuxième grand défi de la Wallonie réside dans l’accroissement de son commerce extérieur, de ses exportations.

À l’aune du chiffre d’affaires, l’exportation de biens et de services en Flandre représente presque quatre-vingt-cinq pour cent du produit intérieur brut ou PIB. Soit plus du double du chiffre wallon.

La Wallonie, tout comme la Flandre, a besoin du commerce extérieur parce qu’il est illusoire de penser qu’on peut créer de la prospérité sans exporter des biens et des services.

C’est pourquoi je ne peux pas comprendre qu’on puisse avoir un parti pris idéologique contre le commerce international.

Le protectionnisme est une voie sans issue. Il ne mène qu’à des conflits au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce, à des guerres commerciales, voire à de véritables conflits armés.

Je n’ai donc pas compris la position du précédent Gouvernement wallon et de son Ministre-président envers le CETA, l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada. Elle semblait indiquer au monde entier que la Wallonie faisait fi des exportations et du commerce international.

Comme la Flandre est partisane du « free and fair trade », du libre-échange et du commerce équitable, elle appuie et ratifiera le CETA qui défend tout à fait ces deux principes : la liberté et l’équité.

Gageons que le nouveau Gouvernement wallon nous emboîte rapidement le pas et qu’il joue pleinement la carte du commerce international.

Mesdames et Messieurs,

En raison de l’opposition wallonne au CETA, j’ai plaidé en faveur d’accords commerciaux asymétriques. Permettez-moi de commenter brièvement mon propos.

Les accords commerciaux internationaux comprennent différents volets. Certains constituent des compétences communautaires qui ressortissent exclusivement à l’Union européenne. D’autres aspects, comme la protection des investisseurs, sont une compétence mixte et exigent aussi l’accord des États membres.

Un traité asymétrique se divise en une partie exclusivement européenne et une partie à laquelle les États membres, et au sein de ceux-ci les entités fédérées compétentes, peuvent adhérer ou non.

Cette asymétrie pourrait nous permettre de sortir de l’impasse actuelle. Le « non » du Gouvernement wallon visait d’ailleurs seulement l' »Investment Court System », le système juridictionnel des investissements.

Cette asymétrie pourrait aussi être appliquée aux traités commerciaux conclus par la Belgique ou l’Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL). Pour le moment, la Wallonie et Bruxelles bloquent 51 de ces traités.

Ce blocage a incité le Luxembourg, pour la première fois depuis mille neuf cent cinquante-deux, à sortir du cadre de l’UEBL et à conclure des traités séparés. Il est ainsi en négociation avec trois pays : l’Iran, le Kenya et le Turkménistan.

Afin de sortir de l’impasse, j’ai proposé à la Conférence interministérielle « Politique étrangère » de travailler avec des traités asymétriques. En d’autres termes, avec des accords auxquels les entités fédérées peuvent ou non adhérer. Il s’agirait alors d’accords ouverts. Autrement dit, un État fédéré pourrait encore y adhérer ultérieurement.

Le Service Public Fédéral « Affaires étrangères » a examiné ma proposition et est arrivé à la conclusion qu’il est effectivement possible de conclure ces accords asymétriques dans le cadre de notre législation institutionnelle.

6. Mon credo politique

En guise de conclusion, je souhaite vous parler de mon credo politique.

Mon credo est triple – ou tripartite, si vous préférez.

Un : la Flandre et l’Europe

La Flandre est ma nation, ma patrie. Il en a déjà été question.

En tant que patriote flamand, je suis un grand partisan de l’Union européenne.

En effet, la Flandre, la Wallonie et l’ensemble de notre continent lui doivent beaucoup.

Depuis soixante ans déjà, elle unit les citoyens et les peuples.

Depuis soixante ans déjà, elle nous apporte paix et stabilité.

Depuis soixante ans déjà, elle constitue une union des valeurs. Elle nous inculque les valeurs des Lumières, qui ont été confirmées en deux mille dans la Charte des droits fondamentaux.

Depuis soixante ans déjà, elle crée de l’emploi, de la croissance et de la prospérité.

Forte de son économie extrêmement ouverte, l’Union européenne offre un marché considérable, sans entraves. Notamment pour la Flandre qui réalise soixante-dix pour cent de ses exportations vers les États membres de l’UE.

Par ailleurs, à la faveur de la politique commerciale et de sécurité commune, elle crée également à l’extérieur de l’Europe des marchés plus larges pour les produits flamands.

Mesdames et Messieurs,

Dans la foulée de la crise financière, de la crise des réfugiés et du « Brexit », l’Union européenne est arrivée à la croisée des chemins.

Je considère pour ma part que le Brexit est une grave erreur. Je déplore que les politiciens britanniques n’aient pas eu le courage d’expliquer à leur population les avantages de l’adhésion à l’Union européenne, notamment le marché interne sans formalités douanières.

L’Europe est arrivée à la croisée des chemins, et il est nécessaire de restaurer la confiance ébranlée entre l’Union et les citoyens. Cette restauration exige d’agir dans quatre domaines.

Premièrement, offrir une protection contre le dumping social en appliquant le principe « à travail égal, salaire égal sur le même lieu de travail » à l’ensemble de l’Union.

Deuxièmement, mettre fin au « shopping fiscal » qui permet aux entreprises d’éluder l’impôt.

Troisièmement, approfondir le marché interne de sorte que l’union économique devienne aussi une union des transports, de l’énergie et du numérique.

Quatrièmement, devenir le seul acteur mondial en matière de commerce mondial, mais également comme un facteur de paix et de stabilité dans le monde, sans pour autant devenir un « empire ».

Je suis convaincu que le projet européen ne peut se poursuivre avec succès qu’à condition

– que l’Union reste fidèle à sa devise : « In varietate concordia » – Unie dans la diversité,

– que l’Europe respecte la richesse et la diversité de ses peuples et de ses nations, de ses langues et de ses cultures,

– que l’Europe, conformément au principe de subsidiarité, se construise de bas en haut. Ce principe dispose que le niveau le plus bas possible où le pouvoir est encore exercé efficacement, est le niveau de pouvoir le plus approprié. C’est la raison pour laquelle seules les compétences qui ne peuvent être exercées efficacement ou qui le sont moins efficacement au niveau de pouvoir inférieur, sont confiées à un niveau de pouvoir supérieur.

Étant donné que la richesse de l’Union européenne réside dans sa diversité, elle doit considérer davantage le contexte de la « gouvernance multi-niveaux ». Pendant l’intégralité du cycle d’élaboration des politiques, elle doit faire participer activement et structurellement les États fédérés et les régions qui ont des compétences législatives, comme la Flandre et la Wallonie.

Un élargissement de l’Union européenne n’est pas à l’ordre du jour. Il convient avant tout de se concentrer sur sa réforme et sur son avenir.

Cependant, si une entité fédérée d’un État membre devient indépendante par la voie légale et démocratique, elle doit pouvoir adhérer à l’Union européenne par le biais d’une procédure simplifiée.

Deux : Fort et social

Le deuxième volet de mon credo politique s’intitule « forte et sociale ».

Force est de reconnaître que notre société ne peut être sociale sans une économie forte.

Sans économie forte, il est impossible aux autorités de proposer des soins de santé optimaux, de dispenser un enseignement de qualité et de construire des infrastructures performantes.

Afin de s’assurer que la Flandre reste une région à la fois fort et social à l’avenir, le Gouvernement flamand actuel a élaboré une stratégie à long terme baptisée « VISIE 2050 » (« Vision deux mille cinquante »).

Nous avons demandé à notre Service d’études de réaliser une analyse approfondie des mégatendances internationales, c’est-à-dire : des processus de changement qui sont d’ores et déjà visibles et qui peuvent avoir une grande portée et des conséquences considérables.

Sur la base de cette analyse, et donc sur la base de toutes nos connaissances actuelles, nous avons consigné dans notre note « VISIE 2050 » quelle sera la Flandre de deux mille cinquante, ainsi que les politiques à mettre en oeuvre pour la concrétiser.

Dans cette note, nous avançons sept priorités. Avant de les passer en revue, je tiens à souligner que notre vision à long terme n’est pas une fuite en avant, un exutoire. Nous ne nous soustrairons pas à notre responsabilité et ne reporterons pas les mesures à demain, mais y planchons déjà très activement aujourd’hui.

Voici donc les sept priorités.

1. Habitation et vie intelligentes et conviviales. Quatre-vingts pour cent de nos besoins quotidiens devraient pouvoir être satisfaits à pied ou à vélo. La proximité et l’imbrication des fonctions augmentent le confort et la convivialité. Elles réduisent aussi les pertes de temps et l’utilisation de véhicules motorisés.

Afin de réaliser cet objectif, nous avons élaboré à la fin de l’année dernière un plan de politique spatiale pour la Flandre, BRV en abrégé. Il doit mettre un terme à l’anarchie de l’aménagement du territoire et à l’urbanisation en ruban le long des voiries. Par ailleurs, il doit concentrer les équipements et services de base dans les villes et le long des grands axes de circulation.

2. Une société chaleureuse, sans laissé-pour-compte et sans discrimination. Une société avec des soins de santé et un bien-être de haut niveau, du berceau à la tombe.

Elle doit, par exemple, permettre de poser un diagnostic et de prodiguer des soins à distance avec l’aide de la robotique et lab on chip. De cette manière, toute personne ayant des besoins, même jusqu’à un âge avancé, peut bénéficier d’une aide sur mesure et, si elle en formule le souhait, peut rester dans sa maison jusqu’à la fin de sa vie.

3. Le saut vers l' »industrie 4.0″, terme générique pour les nouvelles technologies et les concepts innovants dans l’économie de la connaissance et manufacturière, en particulier à la faveur d’une numérisation poussée.

La Flandre entend être le chef de file dans les nouvelles technologies de production et les concepts tels que l’internet des objets, l’impression 3D, l’intelligence artificielle, la nanotechnologie, la robotique et la technologie numérique.

Plusieurs grandes entreprises flamandes appartiennent d’ores et déjà au peloton de tête de l' »industrie 4.0″.

4. Une économie circulaire où nous utilisons plus efficacement les matières premières, les matériaux, l’énergie, l’eau, l’espace et l’alimentation, en fermant des circuits intelligemment.

Aujourd’hui, la Flandre recycle déjà soixante-quatorze pour cent de ses déchets. En deux mille cinquante, tous les déchets devront à nouveau être utilisés comme matières premières.

5. Un système de mobilité plus rapide et plus sûr, assorti d’un impact minimal sur la santé et l’environnement.

Notre fiscalité de la circulation stimule d’ores et déjà l’achat et l’utilisation de voitures vertes.

Nous travaillons à une réorganisation de nos transports publics. « De Lijn », le pendant flamand du TEC en Wallonie et de la STIB à Bruxelles, n’est pas à même de garantir une offre de base pour toute la Flandre pour des motifs à la fois financiers et de matériel. En lieu et place, nous avons prévu un réseau intégré où le train, le tram et le bus jouent des rôles déterminants, mais où les vélos, les taxis et les bus de quartier ont aussi une place. Par ailleurs, il doit y avoir suffisamment de pôles d’échange où les voyageurs peuvent changer de moyen de transport.

6. Un système d’énergie pauvre en carbone qui utilise le plus d’énergies renouvelables pour fournir un mix d’énergie réaliste. Durable, ce système doit nous donner une énergie abordable et concurrentielle dont l’approvisionnement est garanti.

Ces six objectifs ambitieux ne peuvent être réalisés sans innovation.

L’innovation n’est toutefois rien sans la connaissance. Sans produire des connaissances, les faire circuler et les appliquer. Des connaissances découlant d’études ou apportées par des hommes de terrain.

Étant donné que les connaissances sont déterminantes, nous avons donc défini une septième priorité : l’apprentissage tout au long de la vie et une carrière résolument dynamique. C’est pour ainsi dire la condition sine qua non de la réalisation des six autres priorités.

L’apprentissage tout au long de la vie doit être possible et accessible à tous, parce que nous voulons que tout le monde puisse rester actif tout au long de sa vie, tant sur le plan social qu’économique. Perfectionnement et recyclage feront partie de la vie de tout Flamand de deux mille cinquante comme la plage à la mer du Nord.

Un élément complémentaire de l’apprentissage tout au long de la vie est la carrière dynamique et flexible. Une carrière où les travailleurs peuvent régulièrement, par exemple tous les dix ans, appliquer les nouvelles compétences acquises dans le cadre d’un nouvel emploi. Il apparaît déjà aujourd’hui que nous aurons besoin de plus de personnes hautement qualifiées ces prochaines années et décennies.

En misant résolument sur ces sept priorités, nous oeuvrons à la création de la Flandre de deux mille cinquante :

– une Flandre sociale, forte, ouverte et résiliente.

– une Flandre avec une économie florissante dans un environnement pauvre en carbone.

– une Flandre qui crée de la prospérité et du bien-être d’une manière intelligente, innovante et durable, et où personne n’est laissé sur le bord du chemin. »

Trois : Libre et responsable

J’arrive au troisième et dernier point de mon « crédo politique »: liberté et responsabilité.

Pour moi, c’est clair que chaque homme et chaque femme sont libres de faire leurs propres choix. Dès lors, je suis très réticent à toute forme de mise sous tutelle par une Église, un syndicat ou un « zuil » (comme on appelle en néerlandais les grandes groupes sociaux, notamment chrétiens, socialistes ou libéraux ; en français on parle du « pilier »).

Certes, les syndicats, les « piliers » et les Églises ont leur place et leur rôle dans notre société. Mais ils n’ont pas le droit de prescrire les choix de chacun.

Si l’homme doit être libre de ses choix, il ne peut toutefois jamais choisir pour lui seul.

En effet, il fait partie d’une communauté – d’une nation – envers laquelle il est responsable.

Par conséquent, ma liberté ne finit pas là où commence la liberté des autres. Elle finit là où commence ma responsabilité envers les autres. Plus précisément, ma liberté se conjugue à ma responsabilité pour les autres, pour le collectif, pour le « res publica », pour l’intérêt général.

Fin

Mesdames, Messieurs,

Je suis arrivé au terme des quarante-cinq minutes qui m’ont été accordées.

Avant de me tenir à votre disposition pour le traditionnel « question time », je tiens à remercier une fois encore l’Université Catholique de Louvain, et notamment les professeurs Baudewyns et Reuchamps, de m’avoir invité à donner cette leçon inaugurale.

Je vous adresse également mes remerciements. Merci de votre patience infinie et de votre bienveillante attention.

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