Gaia, inconditionnels du bien-être animal depuis 20 ans

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

En vingt ans, le mouvement de défense des animaux a fait évoluer la législation sur le bien-être animal. Avec des méthodes qui dérangent, Gaia est devenu incontournable.

Tout cela ne serait pas arrivé sans Maaike. Débarqué dans un sac des soutes de l’avion royal, en 1985, ce bébé chimpanzé, aujourd’hui adulte et toujours domicilié au zoo d’Anvers, l’ignore. A l’époque, l’étudiant en philosophie morale Michel Vandenbosch termine sa licence à la VUB, entamée « pour comprendre comment il est possible que l’humain cause du mal autrui ». Il quitte l’université sans la réponse. Né à Uccle, au coeur d’une famille flamande d’ouvriers, il se voit activiste pour la défense des droits de l’homme, mais c’est sans compter sur Maaike, offerte par le président Mobutu au roi Baudouin, bien que cette espèce soit protégée par la Convention de Washington. L’affaire provoque un tel tollé que la Belgique signe un protocole précisant que le chef de l’Etat n’acceptera plus de cadeaux de ce genre.

Dans la foulée, Michel Vandenbosch fonde Gaia, en 1992, après avoir occupé divers autres postes, entres autres chez Veeweyde. « Les animaux ne peuvent se défendre seuls », justifie-t-il. Gaia (Groupe d’action dans l’intérêt des animaux) n’aura dès lors qu’une obsession: agir contre la maltraitance organisée des animaux d’élevage, de laboratoires, de boucherie ou utilisés lors d’événements folkloriques. « Il ne vit pratiquement que pour ça: Michel veut simplement et sincèrement changer le monde », résume un de ses amis.

Aujourd’hui, le mouvement compte 20. 000 membres. Ses recettes s’élèvent à 1,5 million d’euros en moyenne annuelle, provenant exclusivement de dons et de legs. Ann Degreef, directrice de l’organisation, est là dès le départ. Michel Vandebosch assure la communication en s’appuyant sur des dossiers qu’il connait à fond. Elle se charge de la gestion de l’association sur les plans financier et administratif. Mais ils décident tout à deux. Leurs crédos: pas d’actions violentes, mais un recours massif aux médias et à l’opinion publique.

Dans chacun de ses combats, Gaia s’appuie sur des campagnes choc. Ainsi quand l’organisation déverse des milliers de balles roses au siège du Boerenbond pour dénoncer la castration à vif des porcelets. Ou quand Jean-Claude Van Damme pose, un vison écorché et sanglant dans les bras.

Gaia consacre 33% de ses recettes au financement de ses campagnes (affichage, spots radio, réseaux sociaux) et 75% si on y ajoute les actions de terrain; 5 à 6 grandes campagnes sont orchestrées chaque année, en plus des « anciens » chantiers qui nécessitent un suivi. Pour les campagnes, plusieurs critères sont pris en considération: le nombre d’animaux concernés et l’intensité de la douleur qu’ils subissent; la probabilité d’obtenir un maximum de résultats avec un budget limité; la présence du sujet ou non à l’agenda politique (ou la possibilité de l’y inscrire). Pour ses campagnes médias, Gaia travaille aujourd’hui avec l’agence de pub Famous et l’agence médias ZenithOptimedia. « Ce n’est pas difficile de faire campagne pour eux, affirme An Van den Cruyce, directrice de projet. On ne ment pas aux gens. On dit ce qui est. » « La provocation était un moyen nécessaire, reconnaît le président de Gaia. On filmait, on montrait les images au public, mais ça ne suffisait pas pour obtenir une réponse politique. Il fallait un choc, une confrontation directe pour créer un changement de mentalité dans la tête des auteurs des faits. » Et faire respecter, voire changer la loi.

Cocktail gagnant

En vingt ans, l’organisation enchaîne les victoires: interdiction légale des courses de chevaux en rue et de la vente des chats et chiens sur les marchés; refus de certaines communes d’accueillir des cirques avec animaux sauvages; interdiction de l’élevage de poules en batterie; fermeture de zoos privés, du marché aux chevaux de Molenbeek-Saint-Jean et du marché aux bestiaux d’Anderlecht; condamnation d’éleveurs brutaux sur le marché de Ciney… « Peu de gens étaient au courant de ce qui se passait dans les abattoirs. Sans les images de Gaia, il aurait été très difficile de modifier les règles », reconnait Eric Van Tilburg, chef du service Bien-être animal au SPF Santé publique. C’est à cette organisation que l’on doit aussi le lancement du faux foie gras, entièrement végétal, dont 160.000 pots se vendent chaque année dans les rayons des grandes surfaces.

« Les lois ont changé grâce à Gaia », assure Marleen Elsen, administratrice-déléguée de la Chaîne bleue mondiale. Du coup, c’est tout le mouvement de défense du bien-être animal qui est davantage écouté. « On nous regarde avec envie dans les pays voisins, s’enthousiasme Jean-Marc Montegnies, qui dirige l’ASBL Animaux en péril. Il fallait un acteur neuf pour tout faire péter dans la protection animale. »

Ton moins feutré chez les fourreurs. « Leur véritable agenda n’est plus le bien-être animal, mais la fin de l’utilisation de tout produit animal par l’humain, lance Isolde Delanghe, secrétaire de la Fédération belge de la fourrure. Leur objectif, c’est une société végétarienne. » Gaia dément, même si ses deux patrons ne mangent plus de viande depuis des années.

La grande distribution, elle, a revu certaines de ses pratiques: dans son rayon frais, Carrefour ne vend plus que de la viande issue d’animaux abattus avec étourdissement préalable, y compris pour la viande certifiée halal. Colruyt, Delhaize, Lidl, Carrefour ont cessé, avant que la loi les y oblige, de proposer de la viande de porc provenant d’animaux castrés à vif. « Depuis 2005, on discute aussi avec le secteur, précise Ann Degreef, directrice de Gaia, parce qu’on sauve ainsi beaucoup plus d’animaux et beaucoup plus vite qu’en parlant seulement avec les politiques. »

Comeos, la fédération du secteur, n’apprécie pas la méthode. « Gaia se trompe de cible en organisant des actions devant nos magasins, affirme son administrateur-délégué, Dominique Michel. Ce n’est pas nous qui avons le pouvoir, mais bien les producteurs et les consommateurs. Gaia n’a toujours pas compris ce qu’est le commerce: nous, nous offrons au client ce qu’il veut. » Les distributeurs et producteurs n’en ont pas moins une certaine marge de manoeuvre. La firme Devos Lemmens, ciblée par Gaia, a décidé de ne plus utiliser d’oeufs provenant de poules en batterie dans ses préparations.

Au fil des ans, les représentants de Gaia ont intégré toutes les structures institutionnelles en charge du bien-être animal, comme le comité consultatif de l’Afsca (Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire), le Conseil fédéral du bien-être animal ou Eurogroup for Animals, qui réunit les associations les plus représentatives de protection des animaux en Europe. « Gaia oblige à une réflexion de fond sur notre relation à l’animal, témoigne un membre du Conseil du bien-être. Cela fait avancer, même si la forme n’y est pas toujours. C’est un groupe très actif, qui ouvre la voie en mettant le doigt sur les dysfonctionnements. »

La Fédération wallonne de l’agriculture nuance: « Gaia ne voit les choses que d’un seul point de vue, celui de l’animal, affirme Marie-Laurence Semaille, du service d’études. C’est très bien de vouloir que les poules ne soient plus élevées en cages, mais cela rend la lutte contre les parasites beaucoup plus difficile. C’est très bien de ne pas vouloir écorner les boeufs. Mais c’est dangereux pour les éleveurs. Gaia reste très dure sur certains aspects et ne prend jamais la dimension économique en compte. Pour eux, l’animal passe avant l’humain. »

Le monde politique, en tous cas, a désormais conscience de l’importance du bien-être animal: chaque parti dispose d’un spécialiste. « Gaia a été créée au bon moment, au début d’une évolution de société, souligne Eric Van Tilburg, du SPF Santé publique. Je crois pouvoir dire que Gaia a contribué à rendre la société meilleure. »

Aujourd’hui, Gaia a pris assez de place dans la société belge pour figurer dans un album de Bob et Bobette, La Commission vache. Le sur-musclé Jérôme y délivre Michel Vandenbosch en personne des mains des maquignons. Une consécration…

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