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G1000 : à l’heure du web, la démocratie doit se réinventer

Alors qu’Internet permet à chacun de diffuser ses opinions en temps réel, la démocratie reste prisonnière d’un moule hérité du XIXe siècle : une élection tous les quatre ans. Ce paradoxe est de plus en plus intenable, avertissent les organisateurs du G1000, un sommet citoyen qui va rassembler 1 000 Belges tirés au sort.

Le 11 novembre, nonante-trois ans après la fin d’une guerre qui a meurtri tous les Belges, la démocratie prendra peut-être un nouvel élan dans nos contrées. Ce vendredi-là, 1 000 citoyens tirés au sort se réuniront sur le site de Tour & Taxis, à Bruxelles, où ils débattront d’enjeux essentiels pour l’avenir du pays. Cette assemblée citoyenne, antithèse des grands sommets internationaux, porte un nom : le G1000.

L’initiative bénéficie d’un large écho médiatique en Flandre, où elle est notamment portée par l’écrivain David Van Reybrouck, le politologue Dave Sinardet et la présentatrice télé Francesca Vanthielen. Côté francophone, la mobilisation est plus timide, ce qui n’a pas empêché le dessinateur Pierre Kroll, le romancier Vincent Engel ou l’économiste Eric De Keuleneer d’apporter leur soutien.

L’idée du G1000 est née au plus fort de la crise politique, alors que le blocage des négociations semblait total, plusieurs mois après la chute du gouvernement fédéral. Entre-temps, un accord institutionnel a été bouclé par Elio Di Rupo. Mais, pour les promoteurs du G1000, le problème reste entier : la démocratie belge est en crise. « On a dit que les négociations patinaient à cause de la complexité du contentieux communautaire. C’est faux, soutient David Van Reybrouck. Si nous devions résoudre aujourd’hui la question scolaire ou la question royale, nous n’y arriverions pas non plus. Parce que c’est la démocratie parlementaire elle-même qui est en panne. » La sentence ne vaut pas que pour la Belgique. Partout en Europe, les vieux modèles politiques se craquellent.

Archéologue de formation, spécialiste de la préhistoire, David Van Reybrouck est bien placé pour savoir que rien n’est jamais acquis. « L’être humain expérimente la notion de démocratie depuis trois millénaires. Mais cela fait moins de deux siècles que s’organisent des élections à grande échelle. A présent, il nous faut adapter le rêve démocratique aux nouvelles formes de communication. »

L’antique démocratie athénienne correspondait à une civilisation de la parole. Les citoyens se regroupaient sur l’agora et confrontaient leurs points de vue oralement. Plus tard, l’invention de l’imprimerie par Gutenberg a bouleversé le monde. Jusque-là, les abbés et les princes décidaient, seuls, de ce qui pouvait être reproduit ou non. En accélérant la diffusion des idées, l’imprimerie a permis l’éclosion de la démocratie parlementaire, où les citoyens délèguent une partie de leur pouvoir à des représentants, chargés de débattre en leur nom. Ce système a accompagné l’essor des journaux, tracts et imprimés en tout genre. Mais il est aujourd’hui caduc, estime David Van Reybrouck. « La démocratie représentative a pu fonctionner correctement tant que l’information allait à sens unique, de l’émetteur vers un récepteur. C’était le cas avec la radio, la télévision et la première phase d’Internet. Par contre, depuis que nous sommes entrés dans une ère d’interactivité permanente, celle du Web 2.0, ce modèle est devenu intenable. »

C’est la révolution déclenchée par Facebook et Twitter : chacun peut désormais devenir éditeur ou imprimeur. Fin 2006, l’hebdomadaire Time désignait d’ailleurs « Vous » comme personnalité de l’année. « Depuis cinq ou six ans, nous vivons dans un autre paysage, un autre écosystème d’informations. Et ça change tout ! Le développement d’un Internet bien plus interactif remet en cause les schémas traditionnels de la démocratie », insiste David Van Reybrouck. Le manifeste du G1000 dresse à cet égard un constat sans appel : l’innovation est encouragée dans tous les domaines, sauf dans celui de la démocratie. Les entreprises doivent innover, les scientifiques ouvrir de nouvelles perspectives, les sportifs battre des records et les artistes créer de l’inédit. En revanche, à l’ère du tout-numérique, la politique belge reste fondée sur des principes datant de 1830.

Faut-il en conclure que les élections et les institutions parlementaires sont obsolètes ? Non, assure David Van Reybrouck. « Dans un Etat de droit, le suffrage universel reste l’instrument principal de la démocratie. Mais, en 2011, résumer celle-ci à un vote tous les quatre ans, c’est courir le risque de se déplacer en diligence sur l’E 40. Il y a un terrible décalage entre le rythme des élections et celui des réseaux sociaux, qui permettent au citoyen d’exprimer un point de vue chaque seconde. »

Cette tension entre un système électoral figé et un débat public de plus en plus instantané s’avère doublement problématique. Un : les citoyens s’expriment partout, tout le temps, sans limites, mais ont l’impression que le monde politique ne les entend pas. D’où une immense frustration, dont témoigne la culture de l’insulte qui s’est installée sur les forums Internet. Deux : les politiciens sont tétanisés. La moindre phrase de travers prononcée devant une poignée de militants à Marloie ou à Blaton peut désormais entraîner un « buzz » d’enfer… à leurs dépens. La crainte d’une chute au prochain scrutin, voire au prochain sondage, les tenaille au quotidien. Et les condamne à l’impuissance. « La démocratie s’est corrompue en une dictature des élections », accuse David Van Reybrouck.

Démocratie participative

Sortir de l’impasse. C’est l’ambition des organisateurs du G1000. Dans une démocratie digne de ce nom, rappellent-ils, le citoyen détient deux droits : déléguer (et donc voter), mais aussi proposer. « Aujourd’hui, en tant que citoyens, on se sent traité comme du bétail électoral, rien d’autre. Le principe de base du G1000, c’est tout simplement que les gens ont aussi quelque chose à dire entre deux élections. »

Un appel aux idées lancé au mois de juin via Internet a permis de recueillir plus de 5 000 contributions. Dans tous les domaines. Les thèmes les plus souvent abordés ont été regroupés en 25 questions : la politique d’immigration doit-elle être redéfinie ? Comment un petit pays peut-il lutter contre le réchauffement climatique ? A quelles normes éthiques les élus doivent-ils satisfaire ? Comment redistribuer équitablement la prospérité dans la société ?, etc. Tous les Belges qui le désiraient ont ensuite pu voter, sur g1000.org, pour les questions qui leur apparaissaient les plus pertinentes. Les trois questions ainsi plébiscitées seront débattues lors du sommet du 11 novembre.

Particularité : les 1 000 participants ont été recrutés de façon aléatoire, sur la base des annuaires téléphoniques, et en respectant des critères d’âge, de genre et d’origine géographique. Le vendredi fatidique, ils seront regroupés par tables de dix : 60 tables unilingues (en français, néerlandais ou allemand) et 40 tables bilingues. A l’issue de la journée, un rapport provisoire sera remis à un groupe plus restreint, le G32, point de départ d’une nouvelle phase. Les membres du G32 se réuniront durant plusieurs week-ends, pour échanger leurs opinions, étudier les dossiers, consulter des experts. En bout de course, ils devraient formuler, au mois d’avril, plusieurs propositions concrètes et novatrices. Avec le secret espoir que celles-ci seront ensuite « récupérées » par le monde politique.

« Au-delà des mesures qui seront suggérées par le G1000, nous espérons que ce processus fera avancer l’idée de la démocratie participative, indique David Van Reybrouck. Mon rêve serait que la Belgique se dote d’une structure semblable au Danish Board of Technology (lire ci-dessous). C’est-à-dire une institution paraparlementaire, financée par le Parlement, mais qui laisse la parole aux simples citoyens. »

FRANÇOIS BRABANT

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