Laurence Van Ruymbeke

Ford Genk : la Flandre déstabilisée

Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

« It’s a shame ». Pourquoi faut-il que le titre qui passe à la radio, ce mercredi matin, juste après l’annonce de la fermeture de l’usine Ford, à Genk, soit justement celui-là ?

Une honte ? Pour qui ? Le constructeur américain, en décidant de tailler à la hache dans ses coûts, ne fait qu’obéir à une logique d’entreprise, soucieuse de sauver sa peau en temps de crise. Les responsables politiques ? Ils ont fait ce qu’ils ont pu, négociant, à coups de subventions, l’ancrage du groupe américain en Belgique et une garantie d’emploi qui devait courir jusqu’en 2020. On voit ce qu’il en est advenu. Les subsides seront remboursés. Et après ? A Genk et aux alentours, 4 300 familles sont directement touchées : d’ici à la fin de 2013, l’un ou l’autre de leurs membres aura perdu son travail. Presqu’autant d’autres ouvriers et employés, liés de façon indirecte à la production automobile à Genk, subiront l’impact de cette décision. Un séisme, pire que celui qui toucha Renault Vilvorde et ses 3 100 salariés, en 1997.

Voilà la Flandre, d’un coup, déstabilisée. Il n’y a aucune raison de s’en réjouir. Cette région paie aujourd’hui au prix fort le fait d’avoir attiré sur ses terres des investisseurs qui n’éprouvent aucun état d’âme lorsqu’il s’agit de boucler promptement leurs valises, souvent sans avertissement.

Il y a des années, la Wallonie, après avoir connu son âge d’or économique, a subi les fermetures de charbonnages et d’outils sidérurgiques avec la même impuissance et la même incompréhension. Ainsi en va-t-il des cycles, alternant périodes sombres et lumineuses. A moins de ne tabler, pour assurer la croissance économique du pays, que sur un tissu de PME exemplaires et génératrices à la fois de richesses et d’emplois, il faut accepter cette règle du jeu-là : en attirant ici des multinationales, on s’en trouve de facto dépendants. La Belgique, minuscule confetti posé sur la planète, contraint à la plus parfaite ouverture économique, n’a pas le choix.

Mais elle a le choix de sa politique de relance. Du soutien qu’elle offre à la recherche et à l’innovation, de l’aide proposée aux jeunes entrepreneurs, de l’amélioration constante de son enseignement. Après un tel coup de massue, quelles seront les propositions posées sur la table des Flamands pour leur assurer un avenir ? Les autorités du nord du pays auront-elles mieux à suggérer qu’un plan social financièrement intéressant pour le personnel ? « C’est au pied du mur que l’on voit le maçon », dit le proverbe. Voyons, donc.

Certains responsables politiques flamands, qui n’ont eu de cesse d’expliquer la moindre croissance de l’économie wallonne par les défauts et les faiblesses presque génétiques de ses habitants, changeront-ils de ton maintenant qu’ils ont à souffrir d’un climat économique nettement moins favorable ? Investiront-ils leur énergie ailleurs que dans les escarmouches et les revendications communautaires pour rechercher au plus vite des solutions socio-économiques durables ? L’avenir le dira.

En attendant, les cartes risquent bien d’être rebattues, dans le jeu politique flamand. Après un tel coup de massue, le S.Pa, bien mal en point, pourrait être tenté de se radicaliser pour rappeler aux électeurs l’importance de ses valeurs et de ses combats, au premier rang desquels figure l’emploi. D’autant que l’extrême-gauche a singulièrement progressé lors du dernier scrutin communal et trouvera l’occasion trop belle pour ne pas repartir à l’assaut.

D’autres, dont l’Open VLD, pourraient profiter des circonstances pour remettre sur le tapis la question des coûts salariaux en Belgique ou de l’indexation automatique des salaires. Le CD&V, qui sent le souffle chaud de la NVA dans son cou, doit frémir. Mais il serait injuste de blâmer Kris Peeters et ses troupes, qui se sont, comme dans le dossier Opel à Anvers, démenés comme des diables pour éviter le pire. Même s’ils n’y sont pas parvenus.

Et la NVA ? Mystère. Le parti de Bart De Wever doit peu apprécier cette tuile, qui vient briser l’image de réussite économique qu’il accole sans cesse à la Flandre. Elle fracasse aussi, d’un coup, le discours simpliste qu’il répète à l’envi, selon lequel il suffit à une population de vouloir travailler et de se lever tôt pour assurer la croissance et le bien-être de toute une région. Les travailleurs de Ford Genk bossaient. Et ils se levaient tôt.

Cette fois, il sera difficile à Bart De Wever et à ses troupes de critiquer les responsables politiques qui n’auraient pas fait ce qu’il convenait de faire. Car la NVA siège au gouvernement flamand et, à ce titre, elle a validé les démarches entreprises par Kris Peeters, le ministre-président, vis-à-vis du constructeur Ford. Qu’aura donc à proposer le parti nationaliste dans de telles circonstances, lui qui a toujours promis l’opulence à ses électeurs, dès lors que les Wallons ne le gêneraient plus dans ses initiatives ? Sur le drame de Genk, il ne plane pas l’ombre d’un Wallon…

Inattendue, la fermeture de l’usine de Genk rappelle les étonnantes conséquences politiques qu’avait suscitées le dossier de la dioxine et de sa lamentable gestion, en 1999. Il avait valu à Jean-Luc Dehaene, alors premier ministre, et au CD&V, de boire la tasse aux élections législatives.

Si, un jour, honte il y a, elle pourrait venir de là. De l’incapacité pour la NVA de proposer un plan de relance crédible, alors qu’il y a urgence, après avoir tant clamé qu’avec elle, le ciel serait éternellement bleu. En plus d’être jaune et noir.

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