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Foot : les parents, mauvais perdants

Les week-ends, des parents, auteurs de violence et d’incivilités, transforment les tribunes des stades de foot en champs de bataille. Une violence qui n’est pas nouvelle et est loin d’être généralisée. Mais elle est inquiétante. Pour des enjeux souvent anecdotiques. Reportage.

C’est un stade comme on en voit partout en Belgique. Un rectangle de gazon synthétique, des lignes blanches plus ou moins bien tracées, des blocs de gradins en béton. A gauche, les spectateurs de l’équipe hôte, le RFC Evere. A droite, les visiteurs, originaires de l’Union Saint-Gilloise. Sur le terrain, des gamins. Ils ont à peine 11 ans. L’atmosphère se durcit quand Evere revient à 2-4. Un père de l’équipe visiteuse conteste un hors-jeu et s’en prend à un parent du camp voisin. Les insultes volent bas, suit une brève échauffourée. Aucun blessé n’est heureusement à déplorer, mais la police a dû intervenir. Un autre de ces samedis, à Neder-over-Heembeek, un père a poignardé l’entraîneur de son fils, coupable d’avoir fait jouer l’adolescent en junior et non en provinciale division 1, soit à un niveau inférieur. Bilan : 9 points de suture à la cuisse pour la victime. C’était en zone urbaine, à Bruxelles. Mais cela aurait pu arriver n’importe où. Car cette violence du samedi n’échappe plus aux quartiers tranquilles ni aux campagnes les plus paisibles. Comme dans la province namuroise : après un match chez les moins de 13 ans, un coach a subi les foudres d’une mère dans les vestiaires. Motif : son fils était resté sur la touche. La fautive a été interdite de stade.

Cette brutalité exercée par les familles de joueurs est aujourd’hui étudiée par la psychologie du sport. « Il y a une tendance des parents à se projeter, à avoir des attentes de bonheur pour leur progéniture. S’ils estiment que leur enfant ne reçoit pas l’attention qu’il mérite ou qu’il n’est pas valorisé, ils vont intervenir, s’immiscer, coloniser cet espace qui devrait être réservé aux enfants et à l’entraîneur. Avant, ils donnaient raison à l’arbitre, à l’enseignant ou à l’entraîneur. Aujourd’hui, l’enfant est une projection narcissique qu’ils veulent protéger et à qui ils donnent tous les droits. L’enfant, lui, ne peut plus se responsabiliser et se confronter à un monde fait de règles. Il s’en suit l’apparition de messages contradictoires, ce qui peut être une source d’anxiété et de grand stress », explique Claire Carrière, psychiatre et médecin du sport.

D’inchiffrables dérapages

Difficile, en tout cas, de prévoir, impossible de chiffrer la réalité de cette montée des incivilités parentales au bord des terrains. Certains incidents ne sont pas signalés. Mais cette poussée de fièvre est confirmée par ceux qui sont en charge des clubs et des associations. « Le phénomène prend un caractère problématique. Je vois un surinvestissement parental discutable sur le petit « Zidane » de la maison, depuis la grande soeur qui porte le sac au père qui enguirlande l’arbitre, confie un entraîneur bruxellois. D’ailleurs, ces parents-là n’encouragent pas leur équipe, ni le beau jeu mais leurs enfants. » Pis : ils s’excitent derrière les rambardes, incitent leurs gosses à râler, à revendiquer à la moindre sanction… Des fois, on entend des pères hurler à leurs rejetons : « Celui-là, il ne doit pas passer. » Et les dérapages racistes ne sont pas anecdotiques. « Il y a des clubs où l’on va, où les parents sont dans la tribune et disent à leurs enfants : « Te laisse pas faire, ce n’est qu’un Noir » », raconte Jacob, père d’un joueur du RSD Jette.

Les cas les plus incroyables – et les plus récents – sont ceux où des parents s’en prennent à leurs propres mômes ! Ce samedi-là, par exemple, c’est un gamin de 8 ans qui a loupé trois lancers francs. Son père est descendu des gradins pour lui infliger une gifle. L’arbitre a interrompu la compétition. Et ce président du comité provincial de football de citer les « statistiques » de la province de Liège : « Nous avons quatre ou cinq dossiers de ce type par an », résume Henri Fonbonne. Ceux qui sont les plus exposés à cette violence sont les arbitres. En particulier, disent-ils, en raison du comportement de parents, qui déteint de plus en plus tôt sur les enfants : « Ce qu’on constate surtout, c’est une gravité accrue des insultes, jusque dans les plus petites catégories. Maintenant, même les minimes commettent de vilaines fautes ou insultent l’arbitre », confirme Patrick Durez, président de la Commission provinciale des arbitres du Brabant.

Seulement 300 coachs formés

Les parents de minijoueurs ne sont pas toujours en première ligne. L’attitude des coachs sportifs constitue parfois un vrai problème. A l’exemple de cet entraîneur qui, lors du premier week-end de septembre, en préminimes B, a hurlé frénétiquement sur ses petits joueurs parce qu’ils venaient d’encaisser leur seul but du match, alors que son équipe menait largement l’adversaire (11-0). Dans cette catégorie-là, il n’y a pas de classement, on ne joue que pour apprendre… Ce n’est pas un arbitre, mais un préposé de l’équipe visitée qui dirige la partie. « Malheureusement, même chez les plus petits, des entraîneurs sont totalement focalisés sur le résultat, cherchant à satisfaire leur ego en remportant des victoires et qui ne voient dans les enfants que des adultes miniatures », regrette Jamal Ikazban, échevin des Sports à Molenbeek et président de l’école des jeunes du FC Brussels.

Le constat est connu. S’il y a eu quelques progrès ces dernières années, les entraîneurs restent très souvent des bénévoles, surtout dans les petites formations. Les ressources financières sont souvent allouées à l’équipe première, tandis que les jeunes bénéficient de peu de moyens d’encadrement : difficile, dans ce cas, de recruter des coachs qualifiés, il faut alors s’accommoder du vétéran, du père d’un joueur… Voire d’un jeune homme motivé mais qui peine à se faire entendre. La difficulté est grande pour les éducateurs sportifs de recadrer des parents beaucoup plus âgés et qui ont plus d’assurance qu’eux. « Ils refusent les remarques et n’hésitent pas à changer de club », témoigne Youssef Madani, entraîneur à Anderlecht.

L’Union belge de football, de son côté, n’impose pas au coach d’une modeste équipe de gamins de suivre une formation. Seule contrainte, sous peine d’amendes mensuelles : chaque club doit compter, au sein de l’équipe première, un entraîneur diplômé, et un autre, breveté, pour l’école des jeunes. On compte ainsi peu de coachs formés : à peine 300 pour 1 350 équipes de jeunes.
250 gamins en liste d’attente !

Le football est-il le problème ? Dans toutes les disciplines, même celles jusque-là préservées, comme le tennis, on constate une lente détérioration, avec des agressions verbales et des contestations. Mais le sport-roi demeure le plus concerné par les incivilités dues à l’entourage. Car le football junior présente l’énorme défaut de souffrir de « championnite ». Clubs et associations semblent parfaitement conscients de ce problème. La demande auprès des clubs s’avère très forte, ce qui accentue encore l’élitisme et n’offre plus une place à tous ceux qui le souhaitent. « Chez nous, il y a 250 gamins sur la liste d’attente ! » confirme-t-on dans un club du nord de Bruxelles. On assiste alors à une hypersélection des petits joueurs – dès 7 ou 8 ans – en fonction de seuls critères sportifs. Celle-ci a parfois détourné la vocation des clubs les mieux intentionnés. « Beaucoup ne pensent qu’à détecter des futurs champions sans s’inquiéter de pédagogie et de formation pour ceux qui ne deviendront pas champions du monde », déplore Jamal Ikazban. « Dans les clubs, il y a toujours cette arrière-pensée que, plus on recrute tôt, plus on pourra repérer de futurs cracks », poursuit Youssef Madani.

C’est que la détection se fait toujours de plus en plus précoce, vers 10-11 ans, voire 7 ans. Des enfants prodiges, dont les prouesses suscitent des cris admiratifs, font régulièrement la Une de l’actualité. Qui peut pourtant prévoir l’évolution d’un gosse de 12 ans ? « Soyons clairs, personne n’est capable de prévoir si un gamin sera une future star ou non », poursuit Jamal Ikazban. Les parents, eux, n’en n’ont cure. Fascinés par la réussite de grands footballeurs, certains espèrent transformer leur rejeton en Lukaku ou Fellaini, couverts de gloire et d’argent. « On assiste à une accélération des exigences familiales. Les parents attendent de leurs enfants des performances de plus en plus élevées, y compris dans le football », déclare Patrick Durez, président de la Commission provinciale des arbitres du Brabant. « La société le requiert. Car les parents ont bien compris que si l’on n’est pas au-delà de la norme, si l’on n’a pas la chance d’avoir un talent ou une originalité qui va dans le sens de l’élite, on n’est pas remarqué », souligne Claire Carrière, psychiatre et médecin du sport.

Dernier rêve de réussite

Toutefois, derrière ce désir parental se profile l’idée, consciente ou inconsciente, que le football est un moyen efficace de promotion sociale et d’intégration. « Le football illustre l’un de nos maux dans la mesure où il est entendu qu’à force d’abnégation et de travail, tout jeune, à fortiori vivant dans un quartier modeste, pourrait, avec un peu de chance, devenir footballeur professionnel. Mais la réalité est tout autre : il est virtuellement impossible de devenir footballeur professionnel étant donné la férocité de la sélection. En cela, Zidane est un anti-modèle d’intégration », souligne Jamal Ikazban. Qu’importe ! Aux yeux de parents, le football reste une échappatoire crédible. Pourquoi ? La réponse est simple. Elle est liée à l’échec scolaire comme vecteur de la mobilité sociale. Les parents, entre autres les plus modestes, se tournent ainsi vers le ballon rond pour trouver la promotion que l’école ne leur donnera pas.

Ainsi, sur les bords d’un terrain, un mercredi à Anderlecht, deux mères regardent leurs enfants. La première : « On parle toujours de la même chose : qu’est-ce que nos gamins vont devenir ? » L’autre : « Heureusement qu’il y a le sport pour réussir. » « J’espère que le mien va percer. Je le pousse. » Peu d’entre eux s’acharnent sur les performances scolaires. Tous, en revanche, alignent les kilomètres pour conduire les enfants à l’entraînement. « Là, au moins, ils sont encadrés, pas comme à l’école », poursuit la première. Son petit dernier l’interrompt. Il a 5 ans. Sa mère a voulu l’inscrire à l’athlétisme « parce qu’il aime bien les frères Borlée ».

Peut-on faire retomber la pression sur les terrains ? Peut-on soigner la surexcitation des parents ? Depuis quelques mois, à Liège, la Maison des associations, avec l’appui du Comité provincial de football, a mis en place un service d’accompagnement. Baptisée Parent Cool, la cellule se déplace sur les terrains, à la rencontre de clubs, des entraîneurs, des jeunes joueurs, et surtout des familles. Elle filme aussi ces dernières à leur insu : lors du débriefing organisé avec les parents, les images sont parfois sans appel.

En réalité, des initiatives se multiplient. Mais les appels à la sportivité et les actions pour sensibiliser les jeunes et les parents n’ont pas toujours l’air de détendre l’ambiance dans les stades. Face à ces comportements, les clubs se voient obligés de prendre eux-mêmes des mesures, de trouver des parades. « Nous avons durci les règles : aucun dérapage n’est toléré, quitte à exclure les parents et leur enfant. Dans le même temps, nous avons multiplié les réunions avec les parents. Car de nombreux problèmes trouvaient notamment leurs sources dans le fait qu’ils se sentaient tenus à l’écart du club, considérés comme des consommateurs et des taxis », explique Jamal Ikazban.

Faute de trouver du soutien auprès de leur instance, l’Union belge ? D’aucuns estiment que leur état-major n’en fait pas assez. « Organiser un tournoi du fair-play une fois par an, ce n’est pas suffisant », glisse un entraîneur. Il se dit que le nouveau secrétaire général de l’Union belge, Stevens Martens, a mis l’incivilité de certains parents « à l’ordre du jour ». Vraiment ?

SORAYA GHALI

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