Pour les grands projets de revitalisation, comme le futur Centre de congrès de Charleroi (24,7 millions d'euros), il est trop tard: l'entièreté des subsides ont déjà été octroyés. © CHARLEROI BOUWMEESTER

Fonds européens pour la Wallonie: les millions de la dernière chance

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

La Wallonie devait distribuer 2 milliards d’euros de subsides dans le cadre des fonds européens 2014-2020. Après un premier round en mai dernier, il reste près de 70 millions. L’ultime opportunité pour les candidats malheureux ?

Non, tout n’était donc pas entièrement joué. Le 21 mai dernier, le gouvernement wallon présentait les 438 projets – sur 1 258 candidats – retenus dans la course au Fonds européen de développement régional (Feder), une gigantesque manne céleste de 1,2 milliard d’euros. Trois mois plus tôt, aux côtés de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il annonçait les 378 heureux bénéficiaires du Fonds social européen (FSE), doté de 800 millions d’euros. Au total, donc : environ 2 milliards d’euros de subsides, cofinancés par l’Europe à hauteur de 50 %, pour concrétiser des projets contribuant à l’essor de la Wallonie. En toile de fond, une vaste partie de lobbying mêlant les communes, les acteurs économiques et académiques, pour convaincre un intraitable comité de 12 experts du bien-fondé de leur dossier. Une bagarre politique, aussi, avec beaucoup de gagnants, souvent socialistes ou humanistes, et quelques grands perdants, souvent libéraux.

Mais le gouvernement wallon vient de raviver un faible espoir pour les candidats malheureux. Vu les appétits financiers et les enjeux liés à cette enveloppe providentielle, la Wallonie ne pouvait se permettre de laisser des miettes en chemin. Or, de ces 2 milliards d’euros subsistent quelques dizaines de millions épars – 69 459 821 euros très exactement – qui n’ont pas encore été attribués. Dès ce 1er décembre, jusqu’au 19 février 2016, les gouvernements wallon et communautaire lanceront donc un deuxième appel à projets, en vue de distribuer le solde restant du Feder (plus de 53 millions d’euros) et du FSE (16 millions). Les dossiers présentés seront, comme pour la première vague, soumis à l’examen du comité d’experts indépendants. Celui-ci devrait finaliser ses auditions et ses travaux en mai 2016, afin de permettre aux gouvernements de valider les projets retenus avant la trêve estivale.

Des projets incohérents

Les six axes d’intervention du programme Feder ont généré une pression budgétaire comprise entre 200 et 700 % par rapport aux montants disponibles, soit une demande totale chiffrée à 3,8 milliards d’euros. D’où proviennent donc les millions restants ? Visiblement, les projets déposés pour certaines mesures n’ont pas été à la hauteur des exigences de la task force. C’est notamment le cas de l’enveloppe dédiée au développement de technologies « Smart Cities » (villes intelligentes), dans laquelle il reste encore 20 millions d’euros. « Les dossiers écartés n’étaient toute simplement pas assez solides, commente un membre de la task force. Pour le volet « Smart Cities », on retrouvait des projets portés par quatre ou cinq opérateurs dans des villes comme Mons, Charleroi ou Namur, mais sans aucune cohérence à l’échelle du territoire de la Wallonie. » Par ailleurs, l’Europe interdit de transférer les montants dédiés à une mesure spécifique vers un autre pan de son programme de subsides. Pour maximiser les retombées en Wallonie, le gouvernement devait dès lors relancer un appel à projets.

Cette annonce inopinée a surpris bon nombre d’opérateurs, y compris les intercommunales de développement économique, chargées de piloter les portefeuilles de projets déposés dans leur région. « Nous ne comprenons pas très bien la logique, confie-t-on au Bureau économique de la province de Namur (BEP). Le gouvernement wallon va lancer un nouvel appel dans un délai très court, alors que les arrêtés de subventionnement pour les projets validés en mai dernier n’ont même pas encore été rendus. » A l’instar de l’Intercommunale du Brabant wallon (IBW), le BEP n’envisage pas, à ce stade, d’y participer en tant qu’opérateur principal.

D’autant que cette ultime opportunité, balisée par les critères très stricts de l’Europe, aura ses limites : les millions de la dernière chance laisseront de nombreux porteurs de projets sur le carreau. Pour les grands dossiers de rénovation et de revitalisation urbaine, il est déjà trop tard : l’intégralité des moyens dédiés à l’intelligence territoriale (310 millions d’euros pour une demande chiffrée à 1,2 milliard) ont été octroyés au mois de mai. La Ville de Verviers, qui n’avait obtenu que 1,5 million de subsides alors qu’elle figurait parmi les 12 pôles prioritaires de Wallonie, ne pourra donc pas profiter de cette nouvelle occasion pour représenter ses grands dossiers à vocation économique et culturelle. En région liégeoise, la SPI précise que les projets écartés lors du premier appel ne rentrent pas dans les critères des enveloppes restantes. Même son de cloche chez Igretec, pour la zone de Charleroi Sud-Hainaut. Quant à Dinant, repartie bredouille en mai dernier, elle ne déposera plus de dossiers. « C’est une masse de travail invraisemblable, tout cela pour rien, fustige le bourgmestre Richard Fournaux (MR). Au diable le Feder ! »

Qui participera donc à cet ultime appel ? La plupart des opérateurs concernés, qu’ils soient publics, privés ou scientifiques, n’ont pas encore pris leur décision. La Ville de Namur, qui ambitionne de devenir une future « Smart City », y réfléchit, au même titre l’agence de développement économique des régions de Mons-Borinage et du Centre (Idea). D’autres, en revanche, ont déjà identifié des dossiers précis. C’est le cas de Braine-l’Alleud, dans le Brabant wallon, dont le projet Feder visant à renforcer et à relier ses trois pôles économiques (nord, centre et sud) avait été écarté par la task force. Celui-ci incluait notamment la création et l’extension de voiries communales et régionales, alors que les fonds octroyés pour le Brabant wallon ne pouvait pas servir, en théorie, à construire des infrastructures routières. Le montant total du portefeuille de projets s’élevait à plus de 43 millions d’euros, soit près de la moitié de l’enveloppe dédiée à l’ensemble de la province. « La task force avait tout de même jugé positivement notre projet, nuance Henri Detandt (MR), échevin des Travaux et de la Mobilité à Braine-l’Alleud. Nous allons donc le présenter à nouveau, en y apportant quelques amendements. » Les attentes budgétaires seront toutefois revues à la baisse.

En Wallonie picarde, l’intercommunale Ideta envisage d’introduire des dossiers axés sur la mobilité verte et sur les « Smart Cities ». En province de Luxembourg, Idelux nourrit aussi des ambitions en ce sens, aux côtés de villes comme Arlon, Marche et Bastogne. Avec l’ULg et plusieurs entreprises, elle compte par ailleurs décrocher des subsides pour financer des projets du Green Hub, un réseau de partage axé sur la créativité à l’échelle de la province.

Si les deniers européens sont précieux, le comité d’experts chargé de faire le tri parmi les projets déposés ne compte pas se montrer plus clément pour autant. « Lors du premier appel, certains opérateurs ont clairement essayé de décrocher des subsides Feder pour des dossiers qui n’avaient rien avoir avec les objectifs fixés », glisse l’un des experts. Vu la précision de l’intitulé des subsides restants, le dernier appel à projets ne devrait pas échapper à ces tentatives opportunistes.

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