Christine Laurent

Film d’hauteur

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Rien à dire, c’est bien joué, cette surprise des chefs qui déquille en un seul coup toutes les vieilles pratiques politiques. Pas étonnant, dès lors, qu’elle ait alimenté le tam-tam médiatique pendant toute la semaine. En proposant un axe MR-CD&V dans la perspective de l’après-25 mai, Charles Michel et Wouter Beke nous laissent espérer qu’ils sont capables de regarder plus haut que le ras des pâquerettes de la grammaire politique. De l’air, enfin de l’air frais, ça nous change. Et des idées, en prime ! C’est simple, même les allées du pouvoir en étaient toutes chamboulées. C’est que les deux présidents de parti ont pris tout le monde de court, y compris les grands stratèges du boulevard de l’Empereur. Sans oublier le CDH, K.-O. debout. Tout comme la N-VA. Un travail d’orfèvre.

Rien moins, en fait, que ce que l’on peut attendre des « crooners » politiques de la nouvelle génération. Des quadras qui devraient résolument tourner le dos à la politique de papa pour s’engager enfin sur des voies novatrices et créatives. Jusqu’ici, avouons-le, on avait de sérieux doutes sur leurs capacités à prendre de la distance et à se dégager de l’engluement idéologique et doctrinaire des partis. Un peu comme si la machine devait avaler très vite les meilleures volontés de changement. Or, entre une gauche vieillotte et une droite peureuse, aujourd’hui enfin, un zeste d’audace ! Certes, le rapprochement aussi inattendu que surprenant entre les sociaux-chrétiens flamands et les libéraux francophones s’inscrit d’abord dans un vaste Stratego, un subtil jeu de poker pour grappiller un maximum de voix et surtout damer le pion tant à la N-VA qu’au PS. Une opération qui permet au MR de clouer le bec aux rumeurs l’accusant d’avoir noué un accord préélectoral avec les nationalistes flamands, et au CD&V de se « droitiser », une aubaine dans une Flandre énamourée de Bart De Wever. Cousu de fil blanc. Il n’empêche. Pour une fois, on a du neuf et pas du vieux rapiécé.

Ça bougerait donc encore, dans les états-majors de parti ? « Rien n’est jamais perdu, tant qu’il reste quelque chose à trouver », ironisait Pierre Dac. MR et CD&V ont donc trouvé, une nécessité vitale dans un contexte où chacun s’accroche désespérément à sa vérité et où tout compromis apparaît comme une capitulation. Avant le 25 mai, ne s’agit-il donc pas de durcir le ton, de le viriliser, histoire d’ostraciser l’autre, l’ennemi, qui cumule tous les défauts, même s’il sera sans doute le partenaire de demain ?

Dépassé donc l’axe PS/N-VA qui ne profitait, in fine, qu’au parti de Bart De Wever et à celui de Paul Magnette ? Les chamailleries qui n’intéressaient personne à part quelques militants, et encore ? Nul doute en tous les cas qu’en plaçant le socio-économique au centre des préoccupations électorales, surtout en temps de crise, la proposition du MR et du CD&V a fait l’effet du baume du tigre. Ainsi donc, il est question d’une vaste réforme fiscale ? De revoir la taxation sur les revenus du travail ? Bref, de se pencher d’un peu plus près sur ce qui préoccupe quotidiennement les citoyens ? Au-delà des clivages communautaires, de plus. Car si la visée d’un acte politique est toujours le bien commun, le sens commun, il passe aussi, aujourd’hui encore, par l’indispensable pont à maintenir en bonne intelligence avec le nord du pays, loin des débats stériles et de la diabolisation de l’autre. Au-delà des querelles PS/N-VA, il y a des projets à esquisser, des pistes de réflexion à concrétiser. Tout le contraire d’une campagne pépère, formatée, millimétrée, médiatiquement contrôlée, comme les aiment les nationalistes flamands et les socialistes francophones.

Dire c’est faire, prétend-on. Voilà désormais le MR et le CD&V au pied du mur. S’ils devaient, à terme, rebrousser chemin, le retour de boomerang serait aussi brutal que l’effet d’annonce de cette semaine. Et tous deux laisseraient de fameuses plumes dans l’affaire. Condamnés à s’entendre ? Sûrement. Même si elle est encore longue, la route qui conduit jusqu’aux élections. Et semée d’embûches.

de Christine Laurent

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