Bart De Wever © BELGA

Faut-il toujours diaboliser la N-VA ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les nationalistes flamands suscitent polémique sur polémique avec leurs provocations calculées sur l’islamisme radical. Mais, même s’il a choqué, Jan Jambon est de plus en plus populaire en Wallonie. La N-VA dérape-t-elle ? Ou pointe-t-elle les vrais problèmes ?

Ce sont des provocations à répétition. Ou du parler vrai, selon les points de vue. Il n’est pas une semaine sans que l’un des ténors de la N-VA ne fasse une déclaration source de polémique. Des multirécidivistes ! Que l’on se rappelle, dès le début de la législature, les affirmations de Jan Jambon selon lesquelles certains avaient eu « des raisons » de collaborer avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Ou, l’an dernier, les propos peu amènes du président Bart De Wever sur les berbères sans oublier son bras droit, Liesbeth Homans, qualifiant le racisme de notion « relative ».

La N-VA dérange. A dessein. Depuis le début de l’année, le rythme s’est accéléré avec l’exigence d’une révision de la Convention de Genève en pleine crise de la migration et la « colère » de Bart De Wever sur ces « gens qui sont nés ici » et commettent un attentat. Sans oublier les tweets style Far-West du secrétaire d’Etat à l’Asile, Theo Francken. Ni la nouvelle sortie du vice-Premier Jan Jambon, qui a provoqué un débat houleux – pas que sémantique… – sur la « part significative de la communauté musulmane » qui aurait dansé après les attentats de Bruxelles.

Faut-il lui clouer le bec à la N-VA, dénoncer ses arguments ? Ou met-elle le doigt sur les vrais problèmes, en brisant les tabous ? La réponse est plus nuancée qu’il y paraît…

Carl Devos : « La langue des gens en Flandre »

« Oui, il faut prendre la N-VA au sérieux : elle parle la langue des gens en Flandre, entame Carl Devos, politologue à l’université de Gand. Elle donne une expression à l’inquiétude des gens. Et elle le fait d’une autre manière que le Vlaams Belang, plus sérieuse et plus équilibrée. Quand Jan Jambon dénonce l’attitude d’une partie significative de la communauté musulmane, il complète cela par un appel à collaborer pour éradiquer le radicalisme. C’est une dualité qui n’existe pas à l’extrême droite : le Belang est contre les musulmans, sans nuances. »

Bien sûr, souligne le politologue, il s’agit d’une stratégie concertée. « Mais ce n’est pas un show ou une posture électoraliste. Jambon, Francken, Homans et De Wever pensent ce qu’ils disent. Leur constat, c’est que l’intégration a en partie échoué et que nos valeurs, nos libertés sont en danger. La N-VA est un parti pour lequel l’identité est importante. Jusqu’ici, la menace était francophone, elle vient désormais à leurs yeux d’une population qui vit en Flandre, sujette au radicalisme musulman. » Une stratégie qui mérite, à ses yeux, d’être prise en considération : « La N-VA reste le rempart le plus fort contre le Vlaams Belang. »

Denis Ducarme : « Il ne faut pas tout rejeter »

Allié de la N-VA au sein du gouvernement fédéral, le MR souffle le chaud et le froid. En mars dernier, son président Olivier Chastel avait fait part de son agacement : « De Wever a beau aboyer, ses ministres ne font que respecter l’accord de gouvernement. » Après les déclarations de Jan Jambon, Denis Ducarme, chef de groupe MR, est davantage positif : « On est libre de ne pas tout prendre de ce que la N-VA exprime au sujet du radicalisme musulman, mais on ne peut certainement pas tout rejeter. Comme l’a proclamé Charles Michel : pas d’amalgame, ni d’angélisme. Il ne faut pas généraliser, mais ne pas replonger non plus dans le déni. Il y a eu un manque de lucidité dans la classe politique par rapport à certains phénomènes. »

Le chef de file libéral se réjouit que la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de Bruxelles ait à son ordre du jour la montée du radicalisme et la politique d’intégration. « Il est utile de voir si nous avons été à la hauteur. » C’est une forme d’hommage posthume à son père, Daniel : celui-ci avait affirmé lorsqu’il était président du MR que « l’intégration était un échec » – c’était en 2002, et cela avait suscité une levée de boucliers… « La politique que nous menons actuellement au gouvernement fédéral, est importante, et elle aurait dû arriver depuis longtemps, scande Denis Ducarme. Au MR, nous pensons qu’il faut combattre le radicalisme sans relâche. Et que la majorité des musulmans sont nos alliés pour mener cette lutte. »

Bref, non, le MR n’est pas embarrassé par les saillies de la N-VA car elle dit tout haut ce que certains de ses militants pensent tout bas. Denis Ducarme a pu, en outre, constater la popularité de Jan Jambon en Wallonie, lors d’une intervention commune à l’université de Namur devant un auditoire bondé, le 18 avril. « J’ai posté une photo avec lui sur les réseaux sociaux après cela et les ‘like’ ont explosé, sourit-il. Cela ne m’empêchera pas de dire quand je ne suis pas d’accord avec eux. Nous sommes en majorité avec la N-VA, nous ne sommes pas un parti… »

Mischaël Modrikamen : « Nous sommes en guerre »

Au sud du pays, seul le Parti Populaire joue la surenchère. « La N-VA veut en finir à sa manière avec le politiquement correct, ce n’est pas nous qui allons critiquer cela, indique son homme fort, Mischaël Modrikamen. Je constate qu’une grande majorité de la population est d’accord avec Jan Jambon. Les cris d’orfraie poussés par une majorité des politiques du côté francophone sont à côté de la plaque. Oui, une part ‘non négligeable’ de la population musulmane est radicalisée et se réjouit des attentats. Ne pas le voir, c’est nier la réalité. » Et d’asséner : « Nous avons des solutions très claires. La priorité ? Ecarter les djihadistes, qui ne doivent pas revenir au pays. C’est une folie de ne pas l’avoir fait plus tôt : nos politiques ont du sang sur les mains ! »

Laurette Onkelinx : « Un signe de fragilité »

Loin de ces tonalités guerrières, l’opposition francophone a dénoncé avec force une « stigmatisation de la communauté musulmane » par la N-VA. Olivier Maingain, président de DéFi, compare cela avec des « méthodes d’extrême droite ». « A partir du moment où la N-VA n’est pas sous cordon sanitaire, elle a le droit d’être entendue, tempère Laurette Onkelinx, cheffe de groupe PS à la Chambre. Le gros problème, c’est que l’écho de ce que Bart De Wever et les siens disent est hors de proportion. Il y a une surmédiatisation de la N-VA. »

La N-VA, embraie Laurette Onkelinx, n’est plus un contre-pouvoir, elle est au gouvernement depuis un an et demi. « Or, on a l’impression qu’ils sont en permanence un pied dedans, un pied dehors. C’est aussi l’expression de leur fragilité actuelle. Ils affirmaient qu’ils remettraient de l’ordre. Or, au niveau budgétaire, cela se passe mal. En ce qui concerne la croissance économique, nous sommes en-dessous de la moyenne européenne. Et en matière de sécurité, l’actualité ne sert pas leur thèse. Ils ont d’ailleurs accepté que l’on diminue les moyens budgétaires consacrés à la police et à la justice – ce sera discuté lors de la commission d’enquête. »

L’appel lancé par Jan Jambon au Parlement de collaborer avec l’opposition dans la lutte contre le radicalisme ? « Il n’en est pas à sa première provocation. Dès lors, cela me semble un peu compliqué de répondre ‘oui’, la bouche en coeur. Non, ce n’est pas possible… »

Raoul Hedebouw : « Polariser pour faire diversion »

« Je ne crois pas du tout à des erreurs de communication, enchaîne Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB. Il y a clairement une stratégie bien pensée de polarisation de la société. Ils prônent une vision élitiste, c’est l’apologie de la loi du plus fort. » Ce faisant, la N-VA « rentre dans le jeu de Daech qui cherche à semer la désunion. Mais dans le chef de la N-VA, il s’agit surtout de polariser pour faire diversion, poursuit-il. Elle doit faire des provocations de plus en plus fortes pour tenter de changer l’agenda politique. De Wever et Jambon veulent imposer leur thèse raciste pour faire oublier leurs déboires en matière de gestion. Mais cela ne marchera pas ! »

Patrick Charlier : « Aucun sujet n’est tabou »

Avec ses déclarations chocs, la N-VA divise. Mériterait-elle qu’on la fasse taire, y compris par des recours en justice pour racisme ? « A priori, aucun sujet n’est tabou, rétorque Patrick Charlier, président du centre interfédéral Unia, successeur du Centre pour l’égalité des chances. On peut parler de toutes les questions, y compris celles, difficiles, liées à l’échec de l’intégration, au discours d’une communauté, à la sécurité, à la crise de l’Europe… Quand on est responsable politique, ce sont des thématiques dont on doit s’occuper ! »

Le président d’Unia regrette la dernière sortie en date de Jan Jambon, sur la forme, tout au moins : « On ne nie pas le problème, c’est une réalité : nous avons reçu deux signalements de personnes qui ont exprimé leur soutien aux terroristes. Tous les acteurs de terrain vous diront qu’il y a parfois une forme de complaisance. On doit pouvoir en parler. De là à dire qu’une part ‘significative’ a dansé, sans se justifier… Quand on est ministre de l’Intérieur, on doit être prudent. Ce ne sera pas de nature à l’aider dans sa mission de maintien de l’ordre. »

Pas question, pour autant, d’aller en justice. « Notre principe de départ, c’est la liberté d’expression, conclut Patrick Charlier. Nous sommes très réticents à déposer plainte, même si nous recevons des notifications, à l’encontre de la N-VA comme à l’encontre d’autres partis. La dernière fois que nous y avons donné suite, c’était pour faire condamner Laurent Louis pour un négationnisme avéré, sous l’ancienne législature. »

La N-VA n’est dès lors pas hors-la-loi. En la diabolisant systématiquement, n’escamote-t-on pas un vrai débat, sensible, sur les racines du radicalisme, notamment ? En multipliant les provocations, ne contribue-t-elle pas à empêcher toute approche sereine de réalités urgentes, prioritaires, et complexes ?

En attendant, ce lundi 25 avril, Jan Jambon, se faisait applaudir au Parlement européen ce lundi pour avoir défendu les musulmans belges face à une eurodéputée d’extrême droite.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire