La reine Fabiola lors du voyage en Suisse des souverains belges, en 1989. © FJDO

Fabiola : les souvenirs suisses d’une dame d’honneur

Anne Libbrecht Gourdet était dame d’honneur de la reine Fabiola lors du voyage en Suisse des souverains belges, en 1989. Pour Le Vif L’Express, elle relate quelques moments forts, et inattendus.

En octobre 1989, la Belge Anne Libbrecht Gourdet habitait en Suisse avec son mari, haut cadre dans une multinationale, et leurs quatre enfants. Elle ne cache pas son attachement à la monarchie. C’est donc presque naturellement qu’elle a été choisie pour servir de dame d’honneur à la reine Fabiola lors du voyage d’Etat des souverains belges dans la Confédération helvétique. Sitôt après, elle a tout consigné dans un carnet, n’en livrant des bribes qu’à quelques proches. Pour Le Vif L’Express, elle revient sur ces trois journées mémorables.

« Le 24 octobre 1989, j’ai été présentée à la reine à son arrivée à Zürich, commence à nous raconter cette dame aujourd’hui septuagénaire. Tandis que nous marchons vers l’aérogare, le roi Baudouin se retourne et vient à ma rencontre en m’interpellant : ‘Madame, je ne vous ai pas encore saluée’. Cette délicatesse, le roi la manifestera tout le long du séjour ». La reine confiera ensuite à Anne Libbrecht Gourdet « combien elle apprécie le tact de Baudouin, son sixième sens, son attention aux autres ».

Dans sa résidence privée à Berne, Fabiola s’ouvre davantage : santé, mariage, religion. Les deux femmes sont proches, elles parlent de leur foi. Si Anne a été sélectionnée, c’est aussi pour ce petit « plus » : elle a écrit un article dans Le Ligueur sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Au Palais, on a apprécié. Une visite à l’abbaye d’Engelberg, qui se trouve sur le fameux chemin, figure d’ailleurs au programme du séjour. Anne Libbrecht Gourdet surprend parfois le roi dans une attitude de prière. La reine n’est pas en reste. Un moment, elle lui chuchote : « Je prie pour mes gardes du corps car ils risquent leur vie pour moi ». Ce qui ne l’empêchera pas, vingt ans plus tard, de prendre avec humour les menaces anonymes d’une exécution à l’arbalète, en exhibant une pomme. Comme un rappel du héros suisse Guillaume Tell.

« Ce qui me frappait le plus, c’était l’intense affection au sein du couple royal, le roi l’appelant à chaque fois darling, souligne Anne Libbrecht Gourdet. La reine avait visité des hôpitaux psychiatriques et trouvait que le plus effarant dans ce genre d’institutions, c’était de ne plus pouvoir donner, ni recevoir de l’amour. » Fabiola s’intéressait également à l’école : « Elle estimait que c’était un bon principe pédagogique de mettre ensemble les bons élèves et les moins doués, car cela créait une émulation vers le haut ». On sait qu’elle a écrit des contes : « On sait moins qu’elle aimait raconter aux enfants des histoires qu’ils devaient terminer eux-mêmes. C’est du moins ce qu’elle m’a confié », rapporte encore l’ancienne dame d’honneur.

« Madame, attachez votre ceinture »

La grande souffrance du couple royal ? Ne pas avoir eu d’enfants, rappelle-t-on souvent. Dans la voiture où se trouve aussi la femme du président suisse, Fabiola l’évoque de la façon la plus simple, mais aussi la plus inattendue, en lançant depuis le siège arrière : « Mon mari m’a dit, pour me consoler : ‘Si tu avais eu cet enfant, il aurait peut-être ressemblé à cette laide tante dont tu n’aimes pas le portrait dans l’escalier' ». Belle résilience… Même simplicité pour évoquer la mémoire de la reine Astrid : « J’étais assise à côté du chauffeur, se souvient Anne Libbrecht Gourdet. Pour me tourner plus facilement, je n’attachais pas la ceinture de sécurité et chaque fois, la reine me grondait : ‘Madame, attachez votre ceinture, la mère de mon mari ne serait pas morte si elle l’avait portée' ». C’est à Küssnacht qu’Astrid, quatrième reine des Belges, a péri dans un accident de voiture, en 1935. Dona Fabiola bavarde sur tous les sujets. Y compris la cuisine. « La reine me précise qu’elle fait la fondue avec quatre sortes de fromages, narre sa confidente. C’est le menu servi tous les mois lorsqu’elle reçoit des jeunes, comme ses neveux et nièces. » Au-delà de la recette de la fondue, Fabiola connaît la Suisse: « D’après ce qu’elle m’a confié, poursuit Anne Libbrecht Gourdet, chaque enfant de la famille di Mora y Aragon était envoyé à l’étranger pour se former. Sa soeur et elle ont pris la direction de la Suisse. Elle a vécu à Lausanne, où elle a fréquenté le pensionnat catholique Mont-Olivet. Elle pratique aussi l’allemand, qu’elle a parlé jusqu’à l’âge de 9 ans ». Dans la cité vaudoise, Fabiola visite une exposition au musée de l’Ermitage. Au même moment, Baudouin prononce un discours à l’Ecole polytechnique où il rappelle que, lui aussi, il a passé une partie de sa jeunesse en Suisse. Il évoque surtout les soubresauts en Europe de l’Est : « Nos pays peuvent se réjouir de ces changements qui élargissent les espaces de liberté dans le monde et vont, nous l’espérons, modifier profondément le visage de notre continent », déclare-t-il, appelant à « soutenir concrètement ceux qui, en Europe de l’Est ont le courage de promouvoir les réformes ». Trois semaines après, le mur de Berlin tombait.

C’est le moment pour le couple royal de descendre vers le lac Léman pour une rapide croisière. Sur le quai, des manifestants suisses habillés de noir : ils ont travaillé dans l’ex-Congo belge et réclament depuis des lustres les mêmes pensions que les Belges, vu qu’ils ont cotisé de la même façon. Autour du cou, ils portent une pancarte avec « Spoliés ». La reine n’a pas du tout l’air au courant.  » Elle me demande alors, avec un accent allemand, ce que signifie ‘Schpolies' ». Anne Libbrecht Gourdet n’est pas au bout de ses surprises. A l’arrivée du bateau à Vevey, une dame un peu fofolle hèle le roi depuis le ponton : « Mon cher roi, j’ai été à la gymnastique avec vous à Bruxelles, vous vous souvenez ? ». Elle arborait un journal avec une photo de Baudouin encore enfant.

Voyage en Suisse oblige, les souverains auront droit à leur excursion dans la montagne, et plus précisément sur le mont Titlis. « A un moment, l’hélicoptère reste immobile à la verticale et je me demande pourquoi, se souvient Anne Libbrecht Gourdet. On m’explique : le roi aurait voulu visiter l’ermitage de Nicolas de Flüe, un ascète suisse devenu le saint patron du pays. Mais comme ce n’est pas programmé, l’appareil fait du surplace pour que le roi puisse le contempler ». La délégation prend ensuite la télécabine pour monter au sommet du Titlis. Le temps est radieux. « Le roi est ravi, détendu comme il ne l’a jamais été durant ce séjour, note alors la dame dans son calepin. Il photographie lui-même les environs car, me dit-il, il adore la montagne. Il a l’air d’un gamin en vacances de neige ».

Fabiola confie qu’elle a dissuadé Baudouin de pratiquer l’alpinisme au profit de l’équitation. Là, c’est le souvenir du grand-père Albert 1er qui rejaillit : le roi chevalier est mort d’un accident d’escalade à Marche-les-Dames en 1934. Sans crier gare, elle glisse ce détail : « Mon mari a les mêmes rides aux oreilles que le roi Albert 1er ». Que conclure de cette intimité longue de trois jours ? « J’en garde un souvenir lumineux, répond Anne Libbrecht Gourdet. C’est un des plus grands moments de ma vie. La meilleure définition de Fabiola ? C’est elle-même qui me l’a donnée : ‘Je suis un cheval fougueux mais je sais mettre des rênes’. Ou la phrase qu’elle m’a souvent répétée : ‘Cela m’enchante’, tant elle s’émerveillait de tout. »

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