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Kazakhgate : Chodiev n’a payé que 522.500 euros pour sa transaction

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Depuis des années, on a écrit dans toutes les langues que la transaction pénale entre le « trio kazakh » et le Parquet général a été signée, en juin 2011, pour un montant de 23 millions d’euros. C’est faux… Le Vif/L’Express a pu lire le texte de la transaction. Les sept inculpés de l’affaire de blanchiment liée à Tractebel ont payé ensemble… seulement 3,5 millions d’euros. Patokh Chodiev n’a donc déboursé, individuellement, pour éviter un procès, que 522 500 euros. Idem pour Alijan Ibragimov et Alexander Machkevitch, les deux autres membres du « trio kazhak ». Une enquête de Thierry Denoël (avec De Standaard)

Depuis le temps qu’on en parle de cette affaire Chodiev/De Decker et de ce projet de loi controversé dont le vote a été accéléré – dans des conditions plus que douteuses – au Parlement, le chiffre cité comme étant le montant de la fameuse transaction pénale conclue avec le trio kazakh, le 17 juin 2011, dans le bureau de l’avocat général de Bruxelles Patrick de Wolf, est de 23 millions d’euros. Une jolie somme, même si elle ne saignait pas vraiment les milliardaires kazakhes. En réalité, ils n’ont jamais dû payer 23 millions pour la Justice.

Selon le document de la transaction pénale, que Le Vif/L’Express et De Standaard ont pu consulter, les sept inculpés du dossier pénal – Chodiev, Ibragimov, Machkevitch, les deux filles de ce dernier (Anna et Alla, qui font aujourd’hui des affaires à Londres), Larissa Fadeeva (l’épouse de Machkevitch) et Natalia Kajegueldina (l’épouse de l’ex-Premier ministre du Kazakhstan) – ont payé, ensemble, 3,49 millions d’euros. Soit individuellement : 522.500 euros (soit 95.000 x 5,5 décimes additionnels) pour chacun des trois premiers et pour Natalia, et 467.500 euros (soit 85.000 x 5,5 décimes additionnels) pour les filles Machkevitch et leur mère Larissa. A cela, on peut ajouter les frais de justice : environ 251 000 euros à répartir entre les sept. Ce n’est même pas l’équivalent de l’amende maximum (550 000 euros) prévue par l’article 505 du code pénal pour des faits de blanchiment, comme le précise d’ailleurs le Parquet général dans le texte de l’accord.

Le document stipule que ces montants sont « à payer à titre de transaction conformément à l’article 216bis nouveau du Code d’instruction criminel ». Cet article venait d’entrer en vigueur, le 16 mai 2011, après une adoption à la hussarde par le Parlement. Mais il était imparfait (son champ d’application ne concernait pas les faux et usage de faux, dont étaient accusés les sept inculpés) et faisait l’objet d’une loi réparatrice entrée en vigueur, elle, le 11 août 2011, soit près de deux mois après la fameuse transaction…

D’où vient la confusion des 23 millions ? Selon nos sources, les sept ont conclu un accord avec le fisc, au milieu des années 2000, pour des faits de fraude fiscale grave. Or le montant global payé à l’administration fiscale, à l’époque, s’élevait à 23 millions d’euros.

Au total, Chodiev et ses associés auraient donc payé 26,5 millions d’euros à l’Etat belge. Les deux dossiers, fiscal et pénal, doivent être distingués : fraude d’un côté, traitée par l’administration des Finances, et faits de corruption et blanchiment de l’autre, poursuivis par le pouvoir judiciaire. Dans le volet pénal, le montant négocié est bien moindre que celui obtenu dans le volet fiscal. Interpellant quand on sait que, dans la pratique, la plupart des procureurs fixent à environ 50 à 60 % des amendes fiscales payées le montant de la transaction pénale négociée ensuite. Près de 3,5 millions d’euros, c’est donc vraiment peu.

On peut aussi s’étonner des chiffres transmis à la Chambre, en novembre 2012, par Annemie Turtelboom (Open VLD). Interrogée par le député Groen Stefaan Van Hecke sur les montants globaux obtenus dans les transactions pénales élargies, la ministre de la Justice d’alors avait annoncé qu’entre juin 2011 et juin 2012, le total des transactions pour le ressort judiciaire de Bruxelles était de 25,7 millions d’euros, dont 22,2 millions pour un dossier dont les faits remontaient à fin 1992 et qui impliquait sept inculpés. Ce dossier est, à l’évidence, celui de Chodiev et associés. Mais les chiffres fournis par Turtelboom ne correspondent pas à la réalité, en tout cas certainement pas à ce qui a été conclu avec le parquet général le 17 juin 2011.

Cela devrait en tout cas relancer le débat sur la transaction pénale élargie et le secret qui l’entoure. Comme nous l’écrivions en mai 2014, la ministre Turtelboom, qui avait pourtant promis une évaluation fouillée de la nouvelle procédure, n’en a rien fait. Cet été, à la faveur de l’affaire Chodiev, Le Vif/L’Express a cherché à en savoir davantage. Nous avions appris que, pour les transactions pénales élargies qui font l’objet d’un comptage distinct de celui des transactions classiques, les procureurs généraux ne disposent d’aucune statistique sûre, parce que les directives en vigueur n’étaient pas suffisamment affinées pour permettre un enregistrement uniforme par les différents parquets.

En juin dernier, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt cinglant, selon lequel la transaction pénale nouvelle violait la Constitution pour son manque de transparence et de contrôle effectif par un juge du fonds, mettant ainsi fin à cette procédure spécifique. L’actuel ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), s’est engagé à adapter la loi de 2011 qui décidément ne révèle que des défauts. Il est vraisemblable que le ministre prévoit, cette fois, une homologation des transactions par un juge du fonds, sans doute devant la Chambre du conseil dont les audiences sont publiques. Jusqu’alors, cette même juridiction se contentait de constater « l’extinction de l’action publique par transaction » sans avoir connaissance des termes de ce qui avait été négocié par le parquet.

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