Carte blanche

Excision : « non, la cuillère dans la culotte n’est pas une solution miracle »

L’astuce a fait le tour des médias belges et étrangers: en plaçant une cuillère dans leur culotte avant de prendre l’avion, les filles qui risquent de se faire exciser ou marier de force lors d’un voyage peuvent déclencher le détecteur de métaux et être ainsi sauvées in extremis par le personnel d’aéroport.

Venue de Suède et de Grande-Bretagne, la recette simple et rapide a d’ailleurs été avancée il y a quelques jours par la Secrétaire d’État bruxelloise à l’égalité des chances, Bianca Debaets, dans le cadre d’un projet d’implication des aéroports dans la lutte contre l’excision.

Eurêka ?

À première vue, l’idée est la bienvenue. Le buzz médiatique qui l’entoure peut désormais permettre à des jeunes filles conscientes du sort qui les attend d’user d’une solution de dernier recours juste avant d’embarquer.

Mais avec un peu de recul, on constate vite que la focalisation des médias sur de cette astuce last minute – alors que d’autres mesures avaient été présentées par la Secrétaire d’État – fait courir des risques majeurs. Le message sous-jacent peut être compris comme suit : que vous soyez excisée ou mariée de force dépend de vous. Agissez ou subissez, la responsabilité repose sur vos épaules.

Un message inacceptable. Car l’astuce de la cuillère demande de la part de l’enfant en danger la compréhension d’un risque d’excision, une capacité d’action et une grande maturité. Or, bon nombre de filles n’ont aucune idée du sort qui les attend lorsqu’elles partent en famille dans le pays d’origine. Chaque année, on observe d’ailleurs un abaissement de l’âge de l’excision, rendant les filles de moins en moins aptes à s’opposer à cette mutilation. Dans beaucoup de pays, on excise en outre des bébés de quelques mois ou des fillettes de moins de 5 ans. Ont-elles les moyens de se défendre ?

Quant à celles conscientes du risque, pourquoi feraient-elles subitement confiance aux forces de l’ordre si elles n’ont pu se confier auparavant à leurs amis ou à leurs enseignants ? Et imagine-t-on le courage inouï qu’il leur faudra pour s’opposer frontalement à leur famille, au risque d’en être reniée ? Ces filles-là, qui feront le choix de ne pas recourir à la cuillère, seront tout autant victimes que les autres.

C’est pourquoi, derrière les solutions miracles, la lutte contre les mutilations génitales féminines passe d’abord et avant tout par le travail de terrain avec les parents et les familles. Bien avant l’aéroport.

Ce travail – qu’il soit mené en Belgique ou dans les pays d’origine – est complexe et ne peut se régler à coups de baguette magique. Au moins 200 millions de femmes et de filles dans le monde vivent avec les conséquences de cette mutilation. En Belgique, selon les derniers chiffres de 2016, 8.600 filles seraient menacées d’une excision future. Un chiffre qui a doublé en cinq ans.

Si le GAMS Belgique et Plan International sont adeptes de pratiques innovantes dans la lutte à mener contre les mutilations génitales féminines, la priorité doit encore et toujours aller à l’approfondissement et à la poursuite du travail de terrain. Des activités telles que l’accompagnement psychosocial, les ateliers communautaires, la sensibilisation et les formations de professionnel.le.s. Autant d’actions promues par les politiques existantes, mais étant malheureusement souvent sous-financées. Voire pas du tout.

Ainsi, en Flandre, où l’on compte plus de 11.000 filles et femmes excisées ou à risque de l’être, le GAMS n’arrive même pas à assurer ses besoins de financement pour le travail communautaire et l’accueil psychosocial des filles et femmes concernées. Seules les villes de Gand et Anvers contribuent à hauteur de 7.500 euros chacune, ce qui est bien loin de couvrir les besoins en termes de prévention et d’accompagnement. Or, ne nous y trompons pas : ce sont précisément ces actions au coeur des communautés à risque qui constituent les clés d’une solution durable.

Les résultats obtenus par Plan International en Afrique subsaharienne le prouvent. Des approches préventives et culturellement adaptées, focalisées sur le dialogue, la participation et la sensibilisation de tou.te.s – enfants, exciseuses, chefs traditionnels, enseignant.e.s, parents… – permettent de faire reculer l’excision et le mariage des filles, même dans les zones les plus conservatrices.

Un travail qui nécessite du temps, de l’endurance, mais aussi des financements sur le long terme afin d’avoir un impact durable. Et qui appelle aussi chacun.e à évoquer la problématique des mutilations génitales ou des mariages forcés de façon nuancée, par la reconnaissance de leur complexité et en évitant surtout de présupposer que la solution se trouve du côté de la future victime.

En bref, se rappeler qu’aujourd’hui comme demain, ces pratiques ne peuvent pas être réglées en deux coups de cuillère à pot.

Fabienne Richard, GAMS Belgique

Jonathan Moskovic, Plan International Belgique

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