François Brabant

Etats-Unis, Belgique : un pays déchiré vaut-il mieux qu’un pays ennuyeux ?

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Le contraste est frappant. D’un côté de l’Atlantique, l’enthousiasme de l’élection présidentielle américaine, avec ses fanions colorés, ses groupies hystériques, ses meetings XXL et ses deux principaux candidats, Barack Obama et Mitt Romney, maîtres du story telling. De l’autre côté, des négociations budgétaires menées dans un climat d’indifférence, pilotées par un Premier ministre en baskets, qu’on aperçoit furtivement, pendu à son téléphone portable, le visage plus crispé qu’à l’accoutumée.

A première vue, il n’y a pas photo. Les Etats-Unis : le vent de liberté qui y souffle, les espoirs de changement que soulèvent ses leaders, charismatiques en diable, profilés comme des acteurs hollywoodiens. La Belgique : ses crispations éternelles, sa paralysie, son gouvernement condamné au surplace, ses politiciens ternes. Un pays en mouvement, un autre immobile.

Boucler un budget n’a jamais été une chose simple. En temps de crise, quand la récession menace, cela relève de la gageure. « Voyez les discussions sur le budget, déclarait Philippe Moureaux il y a tout juste un an. On a dit que c’était un débat gauche-droite. En réalité, c’était un débat de classes. Les socialistes ont parfois honte de le dire, mais ils défendent les catégories les moins aisées. Et les libéraux défendent les catégories les plus aisées. » Avec son langage robustement marxiste, le sénateur PS pointait du doigt une réalité profonde : le budget est, par définition, le théâtre d’un dur affrontement idéologique. Tailler dans les dépenses publiques ? Réduire les allocations sociales ? Remettre en cause l’index ? Les socialistes s’y opposent. Augmenter les impôts ? Taxer durement le capital ? Les libéraux ne veulent pas en entendre parler.

Et pourtant, les divergences au sein du monde politique belge restent bien plus ténues qu’ailleurs. La preuve ? Invités par le quotidien Le Soir à se prononcer sur l’élection présidentielle américaine, 11 des 13 ministres du gouvernement fédéral ont annoncé qu’ils voteraient Obama, s’ils le pouvaient (les deux derniers, Didier Reynders et Pieter De Crem, ont refusé de dévoiler leur préférence). Un consensus aussi spectaculaire doit être souligné. Chez nous, tous les ministres – y compris quand ils sont de droite ou de centre-droit – défendent le remboursement des soins de santé par l’Etat. Aucun d’entre eux ne remet fondamentalement en cause notre modèle de sécurité sociale. La droite belge, contrairement à celle qui a cours aux Etats-Unis ou (dans une moindre mesure) en France, n’est pas une droite dure. Corollaire : la gauche belge n’est pas non plus une gauche radicale.

Cette singularité rend sans doute la Belgique plus ennuyeuse. Sur le plan du show, de la politique-spectacle, observer une élection présidentielle américaine ou française sera toujours plus passionnant que suivre les débats qui agitent notre plat pays. Le modèle majoritaire, en vigueur outre-Atlantique et outre-Quiévrain, rend les politiques plus cohérentes, l’action du gouvernement plus lisible. Soit on y adhère, soit on n’y adhère pas. Chez nous, tout est en clair-obscur. La gauche n’a jamais le loisir de mener de vraies politiques de gauche, et la droite ne peut jamais mener de vraies politiques de droite. Ce qui déçoit forcément les partisans des deux camps. Personne ne se retrouve vraiment dans l’action du gouvernement. Mais tout le monde y retrouve un peu de ce qui lui est cher.

On peut le déplorer : le vent du changement, jamais, ne souffle sur la Belgique. En revanche, l’action politique s’y inscrit dans la durée. Ce n’est pas le cas ailleurs. En France, le président socialiste François Hollande et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault passent une bonne partie de leurs journées à détricoter tout ce que Nicolas Sarkozy a entrepris pendant cinq ans. Est-ce mieux ? Aux Etats-Unis, si aujourd’hui le républicain Mitt Romney est élu, il réduira à néant une bonne partie des réformes menées par son prédécesseur, Barack Obama. Est-ce mieux ?

A chacun de se prononcer. Mieux vaut-il un pays apaisé, mais un brin ennuyeux ? Ou un pays excitant, mais déchiré ?

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