Le populiste Geert Wilders (à g.) a soutenu le gouvernement néerlandais il y a quelques années. Tom Van Grieken (à dr.), nouveau président du Vlaams Belang, aimerait lui aussi dédiaboliser son parti en Belgique. © BOB VAN MOL/IMAGEDESK

Et si le Vlaams Belang arrivait au pouvoir…

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Depuis 1989, les partis démocratiques refusent de gouverner avec l’extrême droite. Ce qui pourrait changer, en Flandre, dès 2018.

Les lignes bougent en Flandre, à la droite de la droite. Le cordon sanitaire, érigé en 1989 par les partis démocratiques à l’initiative de l’écologiste Jos Geysels pour empêcher toute coalition avec le Vlaams Blok, est remis en question depuis plusieurs semaines, tant par des politologues que par des personnalités politiques de premier plan. La N-VA, qui ne s’estime formellement pas tenue par un accord conclu alors qu’elle n’existait pas, souffle le chaud et le froid à ce sujet. Mais la nouvelle génération du Vlaams Belang, menée par son président trentenaire Tom Van Grieken, espère bien la convaincre de fissurer le cordon lors des élections communales d’octobre 2018, ne fût-ce que dans des villes de moyenne importance. En espérant ensuite provoquer le Grand Soir à l’occasion d’un improbable pacte entre les deux partis nationalistes pour déclarer l’indépendance de la Flandre.

 » Ce qui est neuf, c’est qu’un certain nombre de politologues influents en Flandre ont exprimé leurs doutes au sujet de l’opportunité de ce cordon sanitaire, souligne Bart Maddens, lui-même politologue à la KUL et proche du Mouvement flamand. Personnellement, j’y étais opposé depuis qu’il existe mais, à l’époque, j’étais bien seul.  » Fin septembre, dans le quotidien De Morgen, deux professeurs omniprésents dans les médias, Carl Devos (université de Gand) et Dave Sinardet (VUB), avaient entrouvert une porte. Sans pour autant prôner une collaboration avec le Vlaams Belang.

Gouverner avec le Belang ? Possible…

 » Je n’ai jamais été contre le cordon sanitaire, parce qu’il s’agissait d’une mesure transparente, pour des raisons morales, indique Carl Devos. Mais je ne pense pas que quelqu’un l’instaurerait encore aujourd’hui.  » Son raisonnement ? Un parti pourrait accepter de gouverner avec le Belang, pour autant que l’accord stipule clairement que ce dernier respecte les traités internationaux, la Constitution et la démocratie libérale – en ce compris le respect pour la place de l’islam.  » Je ne pense pas que l’on puisse encore dire qu’il est moralement condamnable de gouverner avec le Vlaams Belang – donc, en principe, cela doit pouvoir arriver « , appuie Dave Sinardet. Car, à ses yeux, ce parti n’est plus le Blok d’antan, qui avait été condamné pour racisme en raison de son programme en 70 points contre l’immigration.

u0022La N-VA a toujours affirmé qu’elle était opposée au principe du cordon sanitaireu0022

L’argumentation de Bart Maddens contre le cordon sanitaire va encore plus loin :  » Contrairement au VNV entre les deux guerres, le Vlaams Blok/Belang a toujours soutenu les institutions démocratiques, explique-t-il. Même si dans sa période radicale, c’est vrai, il remettait en cause un certain nombre de droits et de libertés. Ma conviction a toujours été qu’en laissant fonctionner les institutions et en leur donnant des responsabilités gouvernementales, on ramènerait peu à peu ces partis vers le centre. Le meilleur exemple fut l’Alleanza Nazionale italienne, née au départ des ancêtres du fascisme. Ce parti est devenu parfois plus modéré que Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi.  » En Flandre, précise Bart Maddens, la différence entre le Vlaams Belang et la N-VA diminue depuis qu’elle a durci son discours en raison de la menace terroriste.

Si le cordon sanitaire vacille aujourd’hui en Flandre, prolonge le politologue de la KUL, c’est aussi parce que le Belang n’est plus la terreur d’antan, quand il recueillait 24 % de l’ensemble des voix flamandes, comme ce fut le cas en 2004. Même s’il progresse légèrement dans les derniers sondages, le parti d’extrême droite ne dépasse plus le seuil des 15 %. La nervosité de la N-VA n’est pas non plus étrangère à cette évolution : elle doit donner des gages au Mouvement flamand sur le terrain institutionnel après la crise causée par le départ des députés Hendrik Vuye et Veerle Wouters. Ces derniers ont affirmé à l’occasion du lancement de leur mouvement baptisé  » VW  » :  » Sur le plan communautaire, nous avons beaucoup en commun avec le Vlaams Belang.  » Ils n’excluent d’ailleurs pas de créer, avec lui, un groupe technique au Parlement fédéral.

Le grand test des communales

C’est sans doute à cette lumière qu’il faut lire la déclaration faite par Peter De Roover, chef de groupe de la N-VA à la Chambre, devant une assemblée du Vlaamse Volksbeweging (VVB), dont il fut autrefois président. Il avait répondu positivement à la question de savoir s’il exigerait l’indépendance de la Flandre au cas où la N-VA et le Vlaams Belang disposerait ensemble d’une majorité absolue. Dans un second temps, il a précisé que son plaidoyer ne visait pas une rupture du cordon sanitaire, ni la perspective d’un programme de gouvernement avec l’extrême droite. Avant lui, le secrétaire d’Etat fédéral Theo Francken s’était déclaré opposé au cordon sanitaire, lors d’un débat avec Filip Dewinter, l’homme fort du Vlaams Belang à Anvers. Ce dernier ne cesse d’ailleurs d’affirmer que ce débat sera  » la prochaine grande question de la N-VA « .

 » Formellement, la N-VA a toujours affirmé qu’elle était opposée au principe du cordon sanitaire, rappelle Bart Maddens. Mais dans la pratique, elle en applique le principe : elle n’a jamais conclu une coalition avec le Vlaams Belang. Certains s’y opposent pour des raisons de principe, comme le président de la Chambre, Siegfried Bracke. D’autres pour des raisons purement tactiques, parce qu’une telle collaboration risquerait de le mettre au ban des autres partis.  » Bart De Wever, président du parti, a quant à lui eu des mots très durs à l’égard du Belang lors d’un débat avec son homologue Tom Van Grieken, accusant le parti de  » plaider pour une troisième guerre mondiale « .  » Il y a une rivalité forte entre les deux partis qui s’adressent au même segment électoral ; souvent, cela provoque de la haine entre leurs représentants « , analyse Bart Maddens.

Le premier test grandeur nature de la résistance du cordon sanitaire aura lieu en octobre 2018, à l’occasion des élections communales.  » J’ai des doutes sur le fait qu’un parti ose briser le cordon, signale le politologue de la KUL. C’est impensable pour les partis de gauche ou pour le CD&V au sein duquel le Mouvement ouvrier chrétien pèse très fort. L’Open VLD s’est fortement engagé sur le sujet. Et pour la N-VA, ce serait aller un pont trop loin. La seule possibilité que cela arrive serait que le Vlaams Belang se présente sous un autre nom et avec des candidats de soutien.  »

Un enjeu majeur risque de se poser dans la première ville de Flandre, Anvers. Bart De Wever risque d’y perdre sa majorité, en raison des pertes attendues de son parti et de la crise du CD&V local. Sa seule bouée de sauvetage pourrait être le Vlaams Belang, avec un fameux dilemme à la clé : subir une cuisante défaite ou rompre le cordon.  » Dans le district de Deurne, fin 2015, la N-VA a conclu un accord avec Groen qui pourrait préfigurer une autre solution à l’échelle d’Anvers « , note Bart Maddens. Une certitude : tous les regards seront à nouveau tournés vers la métropole.

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