Olivier Mouton

Et si la Suédoise échouait sur le fil…

Olivier Mouton Journaliste

Tous les partis de la future coalition ont des raisons d’être tendus: le CD&V malmené sur le plan social, la N-VA agitée par le référendum écossais, le MR attaqué par le PS et inquiet de ses tensions internes… Une crise n’est pas exclue. Pour Charles Michel, voici venu le temps des vraies responsabilités.

« La famille libérale doit faire la clarté le plus vite possible sur le futur Premier ministre. » Il est gonflé, Kris Peeters, coformateur CD&V et longtemps pressenti pour occuper le Seize rue de la Loi. Son parti a finalement refusé le poste, bataillant durant une nuit dramatique afin d’obtenir plutôt le siège de commissaire européen belge pour sa candidate, Marianne Thyssen. Mais une semaine plus tard, voilà le candidat déchu mettant la pression sur des négociateurs de la Suédoise qu’il a lui-même plongé dans l’embarras.

La sortie du coformateur est toutefois un signe qui ne trompe pas. Les partenaires de la future Suédoise (N-VA, CD&V, Open VLD et MR) entrent dans la dernière ligne droite de leurs discussions, la plus périlleuse, et chacun fourbit ses armes, radicalise sa posture de négociation pour obtenir le plus possible autour de la table. Au menu, les deux points les plus sensibles, ceux qui, l’air de rien, pourraient encore faire capoter cette aventure politique inédite: le budget (il faut trouver de 17 à 20 milliards) et le casting du gouvernement, en ce compris celui qui le dirigera.

Chaque parti est traversé par des tensions internes, se raidit, calcule, prépare la manière dont il pourrait défendre l’accord auprès des siens. Une phase de dramatisation est attendue, inévitable sans doute. Le tout est de savoir si elle peut encore mener à l’échec, si l’un ou l’autre des partenaires est encore susceptible de tirer la prise.

L’un des partenaires de la suédoise tira-t-il la prise? Quand le vin est tiré, il faut le boire, dit-on. Fut-ce en sachant qu’il sera un rien amer.

Un CD&V attaqué sur sa gauche

Si le CD&V a finalement refusé le poste de Premier ministre, c’est en raison de la tradition européenne du parti: dans la lignée des Martens, Dehaene et Van Rompuy, les chrétiens flamands voulaient à tout prix se doter d’une nouvelle championne au sein de l’Union, une manière, aussi, de récompenser son ancienne présidente. Ce choix, inhabituel, a toutefois montré à quel point la formation de Wouter Beke est de plus en plus mal à l’aise au sein de la Suédoise. Son aile progressiste, incarnée par l’ACW (syndicats et mutualité chrétiennes), craint un « bain de sang social » et accentue la pression. Traditionnellement au centre du jeu, le CD&V se trouve dans la position inconfortable du parti le plus à gauche de la majorité, sans son parti frère la CDH. Or, le CD&V est, aussi le parti assuré de faire de partie de la majorité fédérale, quelle que soit la formule mise en place…

Une N-VA qui rêve d’Écosse

La N-VA, elle, reste tapie dans l’ombre et n’hésite pas à exposer ses partenaires flamands, CD&V et Open VLD. Elle n’ambitionne pas le poste de Premier ministre, comme elle ne réclamait pas celui de commissaire européen, alors qu’elle est pourtant le premier parti de la coalition. Par contre, elle doit obtenir de sérieuses ruptures sur le plan socio-économique si elle veut satisfaire une base radicale quelque peu refroidie par la trêve institutionnelle promise d’emblée. Si gouverner sans le PS est un acquis, encore faut-il démontrer que cela permet de mener des politiques très différentes quitte, c’est le rêve à peine caché, à braquer les francophones pour forcer ensuite le confédéralisme. L’agenda est compliqué à gérer pour Bart De Wever et les siens; le référendum sur l’indépendance de l’Écosse et la mobilisation sur le même thème en Catalogne font rêver ceux qui aspirent toujours à terrasser la Belgique.

Un Open VLD si petit…

Invité de dernière minute, l’Open VLD reste un parti en crise existentielle, le plus petit d’une coalition au sein de laquelle il devra crier pour exister. Ces derniers jours, le sondage illustrant la popularité de Maggie De Block lui a donné un argument de poids: en ne disant ni oui ni non au poste de Premier ministre, cette dernière laisse planer un doute dans l’opinion susceptible d’irriter les autres négociateurs. Ce serait, surtout, une façon pour les libéraux flamands de peser dans les discussions budgétaires ou d’obtenir des postes ministériels conséquents. Les positions de ce parti, que d’aucuns présentent comme « le plus à droite » des quatre, constituent une autre raison de mécontentement, notamment quand il réclame que le budget soit réalisé à 100% d’économies, sans recettes nouvelles. L’Open VLD est le plus petit, mais aussi le plus imprévisible, même s’il est sans doute révolu le temps où Alexander De Croo tirait la prise faute d’une solution rapide sur BHV.

Un MR attaqué par le PS, tiraillé en interne

Seul parti francophone, minorisé, le MR se retrouve quant à lui dans la position surréaliste de celui qui doit tirer le navire et, potentiellement, désigner un capitaine pour toute la législature. Le coformateur Charles Michel a beau avoir fait preuve de ses capacités de négociateur depuis deux mois, il se trouve à la croisée des chemins. Tandis que l’on cite régulièrement son nom pour le poste de Premier ministre, il lui reste quelques calculs à faire, au-delà du contenu. En acceptant le Seize, ne déforcerait-il pas la capacité de son parti à défendre les intérêts francophones? Chef d’équipe, le Premier ministre est celui qui doit forger les compromis, pas celui qui menace de se retirer pour faire pression sur ses partenaires. Avec le réveil du PS, qui sonne la charge de l’opposition du côté francophone, le MR sait qu’il prendra un risque supplémentaire en acceptant cette mission. Ce sera le jeu de poker, jusqu’au bout. Comme si cela ne suffisait, il devra également gérer les états d’âme qui se réveillent en interne, tant les partisans de Didier Reynders estiment que leur champion est le mieux placé pour occuper la fonction: plus expérimenté, plus roublard… Ces tiraillements sont encore diffus, mais ils commencent à s’exprimer.

Ces malaises, qui grandissent à tous les étages, expliquent pourquoi les discussions budgétaires tardent et justifient le fait que personne ne se pose officiellement en candidat Premier ministre.

L’un des partenaires tirera-t-il la prise? Le CD&V semble au fond le partenaire le plus fragile. Le PS, lui, est là, en embuscade, appelant à l’union des francophones et affirmant ce week-end par la voix du Premier sortant Elio Di Rupo qu’il est « toujours candidat au pouvoir ». L’ombre socialiste constitue d’ailleurs une des raisons principales pour laquelle la N-VA ou le MR devraient avoir envie d’aller jusqu’au bout. Après trois mois de négociations annonçant une rupture historique de centre-droit, ces deux formations perdraient la face en annonçant un échec qui ramènerait le PS au pouvoir.

Quand le vin est tiré, il faut le boire, dit-on. Fut-ce en sachant qu’il sera un rien amer. Mais si tel est le cas, oui, le MR doit rapidement clarifier sa position sur le poste de Premier ministre. Pour Charles Michel, voici venu le temps des vraies responsabilités.

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