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Et si Bart De Wever avait raison ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le patron de la N-VA mène une offensive de charme auprès des élites francophones. En attaquant le PS et en appelant à des réformes radicales, il séduit les patrons. Et divise le monde politique du Sud du pays. Voyage au sein d’un peuple de droite francophone dont le regard est troublé par le roi soleil de Flandre.

Mais qu’est-ce qui rend Bart De Wever aussi charismatique ? Le président de la N-VA caracole à près de 40 % dans les sondages en Flandre. Avec son discours dénonçant le conservatisme du PS et réclamant un changement de système socio-économique, il séduit aussi du côté francophone. Le Vif/L’Express de cette semaine a pris le parti d’aller rencontrer ceux qui, dans les milieux patronaux et à droite de l’échiquier politique, estiment que l’on doit changer de stratégie à l’égard de la N-VA. Aperçu.

L’homme fascine

Mercredi 6 mars. Le président de la N-VA parle devant le Cercle de Lorraine qu’il qualifie d’ « un des derniers lieux de l’élite belge ». Le gratin socio-économique du pays est réuni. Bart De Wever vient présenter la traduction en français de ses chroniques au « Standaard » et au « Morgen » recensées dans un livre : « Derrière le miroir » (éd. Le Cri). Un événement. « Normalement, les meilleures de nos conférences attirent une centaine de membres, souligne Baudouin Velge, président du Cercle. Pour De Wever, il y avait au moins cent personnes de plus. La preuve que le personnage fascine. Et ce qu’il raconte est effectivement fascinant. C’est un spectacle aussi : on aime voir un type dont on sait qu’il se prépare à faire des flammes. Plusieurs francophones m’ont demandé comment il était possible que nous donnions une tribune à ce gars. Je leur ai répondu que je considère qu’il faut travailler avec tout le monde pour autant que l’on respecte les règles démocratiques du pays, ce qui est le cas de De Wever. En outre, s’il devait y avoir une circonscription fédérale et qu’il se présentait en Wallonie ou à Bruxelles, je suis persuadé qu’il récolterait des voix. Pas pour son programme séparatiste, mais pour ses idées socio-économiques. Plus on le diabolise, plus on renforce son caractère d’attraction. »

Sa vision socio-économique séduit le monde patronal
Au Cercle de Lorraine, Bart De Wever pointe les nécessaires réformes socio-économiques « à l’allemande » rendues impossibles par le PS dans ce pays en voie « d’évaporation », où coexistent « deux démocraties ». Il dénonce le poids trop important du secteur public, réclame la fin de l’indexation des salaires, prône la réforme radicale des pensions et du marché du travail, attaque les syndicats… Bruno Colmant, professeur d’Economie à l’UCL et à la Vlerick, est admiratif : « Il dit qu’un modèle de croissance basé sur l’endettement collectif n’est plus possible et je partage son point de vue. Le fait d’avoir une dette publique aussi importante montre qu’il y a quelque chose de grippé dans notre Etat-Providence. Bart De Wever affirme que pour entretenir ce modèle d’endettement collectif, on en vient à taxer le travail de manière trop lourde et à contrarier l’entreprenariat, ce en quoi il a raison. De surcroit, cette situation contrarie les investissements étrangers en Belgique alors que nous sommes un des pays les plus ouverts au monde. Il faut mettre fin à cet espèce de glu de collectivisme. Quand on sait que le poids de l’Etat dans l’économie belge a désormais dépassé les 53%, cela ne va plus. »

Baudouin Velge enchaîne : « Il est évident que l’indexation automatique de tous les salaires est un souci. Faut-il protéger de la même façon celui qui gagne 1 000 euros par mois et celui qui en gagne 10 000 ? Même le patron de Belgacom Didier Bellens a son salaire indexé, vous vous rendez compte ? Il n’irait pas protester dans la rue si on lui retirait ce privilège. »

Pour André Van Hecke, président du Cercle de Wallonie, « si en Wallonie, le discours d’un Bart De Wever touche, c’est en raison du profil du patronat : 98% des entreprises y emploient moins de vingt personnes. Ce sont des pépinières avec des patrons angoissés, qui ne pensent qu’à concrétiser l’idée qu’ils ont eue et qui travaillent énormément… Dans la grande majorité, ils se demandent comment ils payeront leur personnel le mois suivant et n’ont guère le temps de s’intéresser à l’actualité. Pour eux, la relance de l’économie, c’est la relance de la société. »

Jean-Michel Delwart, ancien administrateur délégué de la Floridienne, désormais président de Biotec, résume le sentiment quasi général : « Un type comme De Wever joue une carte tellement flamande qu’un Wallon ou un Belge ne peut l’accepter. Mais on a l’impression que s’il était au pouvoir, il gérerait les problèmes comme un bon père de famille et c’est de cela dont on a besoin. Il connaît ses chiffres, il a des propositions de bon sens économique. »

Des nuances ? Plusieurs interlocuteurs remarquent que la N-VA, au gouvernement flamand depuis 2009, n’a pas singulièrement changé la donne. Le poids du secteur public, par exemple, n’a pas diminué. Luc Willame, ancien grand patron de Glaverbel, met en garde. « Je suis de plus en plus convaincu que ce type est seul, qu’il n’a pas de staff. Il n’est capable que de tirer sur les autres, pas de proposer de façon constructive. Il ment régulièrement sur les diagnostics. J’ai été président de la Société de développement régional bruxelloise et cela me hérisse de l’entendre marteler que Bruxelles est mal gérée. Bien sûr, il y a des choses à améliorer, mais la Région est surtout victime de la loi de financement, il y a des lourdeurs de décision en raison de le double majorité linguistique. De Wever reste un nationaliste pur et dur, dangereux. Son seul objectif consiste à réaliser son rêve indépendantiste. »
Pour Willame, De Wever tape juste lorsqu’il dénonce le conservatisme du PS ou de la FGTB wallonne. « Ce sont des freins. Je pense en effet qu’il serait sain que le PS connaisse une cure d’opposition. Mais par son discours facile, il endort les patrons. C’est la même expérience que dans les années trente, je suis d’accord avec le roi. Et à l’époque, certains s’étaient réveillés avec la gueule de bois. Franchement, on n’a pas besoin de ça ! »

Son discours sur l’immigration interpelle

En Flandre, Bart De Wever séduit aussi par son discours sur l’immigration. Ce qui lui a permis de récupérer une partie de l’électorat du Vlaams Belang. Sa ligne ? Il faut une vision totale de l’immigration : avec un ministre full time, il faut cesser les régularisations, encourager l’immigration active et refaire de la migration une histoire positive. « C’est vrai, nous avons besoin d’éléments dynamisants pour notre société vieillissante, dit Baudouin Velge. Peut-être qu’avec la crise européenne, nous pourrons attirer des jeunes Grecs, des jeunes Italiens ou des jeunes Espagnols ? Pour l’instant, nous attirons surtout des gens qui se disent qu’il fait meilleur vivre ici qu’ailleurs et qui sont dans le système. Je ne dis pas qu’il faut les chasser, mais il faut les deux. Plutôt que de diaboliser ce discours-là, les francophones devraient en retenir les éléments positifs. »

André Van Hecke : « Là, on est dans le tabou absolu. Beaucoup de langues se délient, à Bruxelles surtout où la question est plus sensible qu’en Wallonie. Nous sommes une société laïque. Je suis favorable à la construction de mosquées, à condition que l’on respecte les règles démocratiques d’un pays. Les propos de De Wever sur l’immigration active tapent dans le mille. Le tout est de voir quels sont les outils que l’on met en oeuvre. L’augmentation des droits d’inscription pour les candidats à l’asile à Anvers ? Cela passe sans problème auprès d’une bonne partie de la population. Mais manager une société implique de donner la même chance à tout le monde en matière d’enseignement, de sécurité sociale… »
Sa vision de l’avenir du pays et son populisme rebutent, mais…
Le discours indépendantiste de Bart De Wever fait un flop au Sud du pays. Au Cercle de Lorraine, pourtant, quelque chose a peut-être changé. Interrogé sur le premier point du programme de la N-VA, l’indépendance de la Flandre, Bart De Wever a riposté, en substance : « Vous n’avez pas lu le texte jusqu’au bout. L’indépendance, oui, mais… quand les conditions seront remplies. » Autrement dit, pas tout de suite. « Je ne suis pas un révolutionnaire », a-t-il ajouté.

Baudouin Velge analyse : « Quand les conditions seront réunies, cela veut dire quand l’Europe sera prête à prendre les compétences de l’Etat fédéral. C’est pour cela que la N-VA n’a par exemple jamais revendiqué une armée flamande. La séparation ? Elle est clairement impossible aujourd’hui. On est loin d’une Europe centralisatrice à la Verhofstadt. En se focalisant là-dessus, en préparant le plan B, les francophones font une erreur. Tout simplement parce que cela ne peut pas se passer. La séparation du pays nécessite que tout le monde soit d’accord sur ce que l’on fait. Qu’adviendra-t-il de Bruxelles, des communes de la périphérie, de la dette ? Ira-t-on à l’Onu pour régler ça ? Non, cela ne se passera pas ! »

Son succès fait vaciller les francophones

Reste que la stratégie de De Wever – et son poids politique potentiel – font bouger les lignes du côté francophone. « La meilleure façon de le contrer, ce n’est pas de dire que ses positions sont inacceptables parce qu’il veut la fin du pays, souligne Baudouin Velge. Les gens ne votent d’ailleurs pas pour lui pour ça. Il faut plutôt répondre positivement à une série de ses thèses socio-économiques. Lors de la confection du budget 2014, on devrait initier une série de réformes structurelles à l’allemande, à la Schröder. Il est absurde de refuser parce que c’est évidemment nécessaire ! On changerait alors complètement le regard porté sur De Wever pour ne retenir que le caractère inacceptable de son projet. Je sais que ce n’est pas facile, que le CDH est mal pris, que le MR est divisé. Mais on n’essaye même pas alors que tout le monde dit qu’il faut réformer . »

Pour Alain Destexhe, le franc-tireur du MR qui a publié récemment une carte blanche dans La Libre, reprise par le Morgen en Flandre, qui a marqué les esprits, il faut cesser de diaboliser la N-VA pour la combattre. « Chers camarades socialistes, chers journalistes bien-pensants, chers résistants en chambre, continuez à creuser la tombe de ce pays en feignant de ne pas comprendre pourquoi de plus en plus de Flamands votent pour la N-VA et son grand timonier », écrit-il. Un texte soutenu « à 98% » par les pontes du MR, précise-t-on au sein du parti. Le président Charles Michel a dit son approbation au Vif/L’Express même si, ajoutait-il, il ne l’aurait peut-être pas formulé avec « les mêmes mots ». Sans le FDF, désormais, le libéralisme peut s’exprimer de façon plus décomplexée.

Interrogé plus longuement, Alain Destexhe reconnaît une forme d’admiration pour De Wever et tape dur : « C’est quelqu’un de très articulé, de très intelligent. Quand on regarde l’histoire récente, on s’aperçoit que les grandes batailles politiques se gagnent sur le plan des idées et des visions, pas sur des programmes. Ce que j’entends chez lui, c’est un peu ce que Bush fils, Sarkozy voire Obama portaient : une rupture par rapport au gouvernement dominant. C’est cela qui attire les gens et qui met les partis traditionnels en difficulté, notamment nos collègues du VLD. La deuxième chose qui me frappe, c’est que c’est un homme libre. Il n’est pas lié par le système belge des piliers. Cela lui donne une grande capacité à proposer des réformes ambitieuses. La troisième chose à laquelle j’adhère, c’est la crainte d’une grande partie de la Flandre à être aspirée par le retard économique wallon. Pour moi, le PS est davantage responsable de la scission progressive de la Belgique que la N-VA. Si les niveaux économiques étaient similaires, je pense que l’équation politique se poserait en de tout autres termes. »

Marcel Cheron, député wallon et francophone Ecolo, sénateur de Communauté, qui a participé à toutes les joutes institutionnelles de son parti, analyse : « De Wever essaye clairement d’user de son influence sur le monde politique francophone. Elle est considérable alors qu’il n’a pas encore les 40 % que lui prédisent les sondages. Il utilise le PS et le MR dans les hypothèses qui l’arrangent. Il flatte le premier parce qu’il est en phase sur le plan socio-économique. S’il n’y avait pas l’institutionnel, un accord MR – N-VA serait rapide. Mais ce discours bénéficie au PS qui se dresse en rempart francophone. Et à nouveau, cela sert le discours de la N-VA au niveau institutionnel. C’est redoutable : dans les deux cas, il est gagnant. De Wever satellise les partis francophones tout comme il se présente comme étant le roi soleil du côté flamand. »

L’enquête complète dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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