Jean-Marc Rombeaux

Et à la fin, c’est la Suédoise qui rempile? [1]

Jean-Marc Rombeaux Economiste

En Flandre, CD&V, Open VLD et N-VA ont connu un revers au dernier scrutin. La Suédoise devrait toutefois y rempiler, une coalition de perdants. Selon une enquête officielle flamande de 2017[2], un sentiment d’impuissance politique prévaut au nord du Pays. Si une nette majorité reste pour l’obligation de vote, deux Flamands sur trois pensent que les politiciens sont seulement intéressés par leur voix et non par leur avis. Un sur deux estime même que voter n’a aucun sens. Le choix de De Wever devrait accentuer cette rupture avec la Flandre silencieuse à moins que les gagnants tirent leur épingle du jeu dans l’opposition. Avec des visions ô combien distinctes, il s’agit de Groen, du PVDA et du Vlaams Belang.

Proférer des prophéties est devenu un jeu d’influence. Plusieurs observateurs voyaient une réplique de la coalition anversoise (N-VA, libéraux et socialistes) à tous les étages. Ils devront changer leur marc de café. De Wever a choisi la Suédoise, sa coalition rêvée en 2014 qui vira au cauchemar et s’aplatit aux élections. De longue date, des politiques assènent l’inanité des écologistes et annoncent leur obsolescence programmée. La note de la N-VA pour la négociation flamande apporte un net démenti. En matière climatique, après quelques truismes, elle rappelle les engagements à l’horizon 2050, prétend que l’innovation technologique est la clé et annonce une forte augmentation des surfaces boisées. Aucun sens de l’urgence alors que les signes du dérèglement climatique pullulent et que les scientifiques accumulent des alertes argumentées sur l’écosuicide en cours. Aux USA, le World Resources Institute vient de calculer que 17 pays sont proches du jour où aucune goutte ne sortira du robinet. Une grande partie de la Flandre présente une « pénurie hydrique extrême ». En même temps, il y a un risque accru d’inondation au large des côtes flamandes. Hormis le reboisement, c’est pourtant business as usual dans la note De Wever. Bienvenue à No tomorrow land : après nous la désertification et les innondations.

Vraie Suédoise, une Fifi brindacier a pris le large. Son style peut être discuté, pas le coeur de son engagement. La maison brûle et nous regardons ailleurs lança Jacques Chirac en 2002. Près de 20 ans plus tard, la sentence résonne d’une justesse quasi lugubre. Une frange de la jeunesse flamande a lutté pour que le climat soit en haut de l’agenda. La note de De Wever ignore cette demande sociale, cet appel à la survie. Que fera cette jeunesse face à ce soufflet qui frise le déni ? Au Pukkelpop, un pacifique clap for climate a été conspué sous un jet de projectiles et suivi d’intimidations. Les fauteurs de ces violences sont majoritairement des jeunes du Belang et de MVGA (Make Vlaanderen Great Again), un groupuscule d’activistes qui sème des mèmes[3] à l’inspiration trumpienne. Leur visée est affichée sans fard : mener une lutte culturelle pour conquérir les coeurs de la jeunesse flamande. A la fin du festival, ils se sont auto-congratulés. « Chers festivaliers du Pukkelpop, vous avez été géniaux ! Nous sommes très fiers de votre dévouement et de votre persévérance. La Flandre est vivante et la gauche tremble ! »

Anuna Dewever n’abdique pas. Le bashing semble la galvaniser et elle annonce des actions mensuelles en septembre. Elle est aussi « jetée » par son ex- amie Kyra Gantois. Celle-ci dit comprendre les gens qui votent pour le Belang ; ce qui est équivoque. Elle va réfléchir à un groupe où des jeunes unis pourront débattre et agir. Dans un mouvement, les différences de vision et les égos sont inévitables. Vu l’urgence écologique, elles sont malvenues.

Quo vadis CD&V ? Longtemps à plus de 50 %, fournisseur de la Cour en Premier Ministre, ce parti est en crise existentielle après sa déconvenue du 26 mai. Son aile droite l’a déserté pour la N-VA. Il semble peu en phase avec les générations montantes. La démission de la Ministre Joke Schauvliege suite à ses propos « complotistes » en fut une illustration. Il se maintient en bonne partie grâce à son électorat de gauche et dépend plus que jamais du mouvement ouvrier chrétien, Beweging.net (ex- Acw). Pour ce mouvement, la note De Wever contient quelques couleuvres. Soit elle est infléchie et alors le Vlaams Belang va flinguer le retour de la « vieille politique ». Soit le CD&V baisse pavillon et s’expose à un exode de son électorat progressiste. Le cartel de la Saint-Valentin entre CD&V et N-VA appartient au passé[4]. Le CD&V a voulu mouiller et ébrécher le navire amiral N-VA sur les récifs des responsabilités fédérales. La N-VA a tramé le naufrage du CD&V pour être consacré grand parti populaire et devenir définitivement calife à la place du calife. Durant la défunte législature, les accrochages entre ces deux flottilles furent sans trêve. Yves Leterme, père du cartel estime aujourd’hui que la N-VA s’est radicalisée et extrémisée sur certains points. Qu’elle est devenue plus populiste et a glissé à droite. Il met ouvertement en question la loyauté de la N-VA qui quitta le Gouvernement flamand en 2008 et le Gouvernement fédéral en 2018. Les Bruxellois, Flamands et Wallons qui ont de la dignité et envie de vivre ensemble pourraient reprendre la punchline offerte par Pol Van Den Driesche à Leterme en 2007 : « Wie gelooft die mensen nog ? ».

Meanwhile, in the N-VA. Longtemps, De Wever fut conquérant et N-VA rima avec baraka. Rien ne semblait pouvoir arrêter ses légions. Depuis quelques mois, sa machine de guerre marque le pas. Dans un élan sarkozhien, De Wever avait fait de la lutte contre la drogue un cheval de bataille à Anvers. Attaques à la grenade, incendies volontaires, fusillades… Plus de 60 incidents liés au milieu de la drogue ont eu lieu ces trois dernières années. C’est un fiasco. Fin 2018, la N-VA est sortie du Gouvernement fédéral sur le pacte de Marrakech et sa force du changement laisse un déficit de près de 12 milliards à l’horizon 2024. 26 mai 2019, le ressac est sans appel. Au Parlement flamand, tout en restant dominante, la nouvelle alliance perd 8 sièges. Viennent alors les frasques de Kris Van Dijck, éphémère Président de cette assemblée. Enseignant de son état, il donne exemple aux jeunes têtes blondes en conduisant sous l’emprise de l’alcool. 2h30 après les faits, il avait 1,4 gramme dans le sang alors que le maximum légal est de 0,5. Au moment de l’accident, Van Dijk devait avoir 1,8 gramme soit l’équivalent de 9 verres. Il venait d’interpréter « My way » dans un troquet. « Roulez bourré  » fut une chansonnette d’Au bonheur des … dames. Le 11 juillet, c’est le clou. Kris Van Dijck arrive à la fête de la Flandre fier comme un paon. Pendant qu’il délivre un speech qui ne restera pas dans les annales, un média révèle sa relation avec une péripatéticienne et son intervention auprès d’un Ministre en vue de l’octroi d’avantages sociaux à cette charmante dame. Il fut prestement exfiltré la queue entre les jambes par Pol Van Den Driessche. Tout cela fait quand même un peu tache pour un parti politique qui se targue d’une éthique immaculée et prône l’inquisition sociale. Au perchoir et en dehors, Jan Peumans, enfant terrible et anarchiste doux, était d’un tout autre calibre.

Peu commentée, l’exfiltration par Pol Van Den Driesche ne manque pas de sel. Il fut journaliste au Standaard et Rédacteur en chef de VTM. Sa bio sur Wikipedia fut traficotée par la N-VA[5]. En 2012, l’hebdomadaire Humo titre : « DSK en Flandre, 20 ans d’intimidation sexuelle« . Dans cet article, d’anciennes collaboratrices du coryphée parlent d’intimité sexuelle non souhaitée. Van Den Driesche assignera le journaliste en justice. Les juges ont déclaré qu’étant donné le grand nombre de témoins de l’harcèlement sexuel, le journaliste d’Humo avait été autorisé à présumer ces déclarations vraies. La N-VA en a fait le gourou de sa communication. Elle a aussi convaincu de médiatiques « nouvelles féministes » de figurer sur ses listes. Aucune n’a réfléchi à sa collaboration avec Pol Van Den Driesche. Aucune ne s’exprima lors du vaudeville Kris Van Dijck. Bonjour les nouvelles féministes.

De Wever est Président depuis 2004. Les statuts de la N-VA l’autorisaient à deux mandats mais il a obtenu trois dérogations. Au soir du 26 mai, il rend sa démission mais est conforté. Candidat auto-proclamé au poste de Premier flamand « si l’électeur le permet« , il doit former un gouvernement régional. Autrefois, une formalité pliée d’avance. Il hésite. Fait un pas de deux avec le Belang pour plaire à l’électorat indépendantiste. Rêve de couler dans l’abysse de l’opposition ce félon de CD&V. Finit par revenir à la case suédoise. En même temps, ses compères francophones quittent le navire Belgique. C’est alors la dérobade. De Wever repart à Anvers sous prétexte fédéral. D’habitude, il soigne ses sorties, les émaille de subtiles citations latines ou de perles d’humour gaulois tel le pénétrant « ce qui se passe derrière mon dos, c’est dans mon cul« (sic)[6]. Ici, il semble y perdre son latin voire une part de sa maestria. « Bart De Wever n’assume pas sa responsabilité à des moments cruciaux depuis dix ans. Apparemment, il ne veut pas se retrouver dans une position qui affecte sa popularité ou son confort » a sobrement observé Yves Leterme ». « Wie gelooft die man nog ? »

Selon certains analystes, le choix flamand de De Wever compliquerait la donne fédérale. Avant, c’était donc simple ? La N-VA vient de désigner Jan Jambon formateur flamand. Theo Francken, pédagogue de formation et boxeur à ses loisirs, lorgne ves le poste de de Minstre de l’Enseignement flamand. Une autre lecture est plausible. La N-VA a fait une croix sur le Fédéral, parie sur son pourrissement et recase ses voltigeurs. Selon Het Nieuwsblad, « mentalement, la N-VA fait déjà partie de l’opposition fédérale« .

Dans ce fog post-électoral, le coup de Jarnac pourrait venir de la perfide Albion. D’un arriviste peroxydé et foutraque aux compétences douteuses, Boris Johnson. Il a commencé comme journaliste pour le Times en 1987 mais a été congédié pour avoir fabriqué une citation[7]. Un bon augure. Le locataire du 10 Downing Street tient le rôle de sa vie. Ce sera le Brexit pour Halloween, coûte que coûte. Ce grand démocrate a obtenu de suspendre l’activité du Parlement de sa nation alors que le slogan des Brexiters était « take back control« . Si le négociateur européen, Michel Barnier, est bien entouré et maîtrise avec brio son sujet, le Royaume désuni est totalement impréparé à la sortie de l’Union. L’homme de confiance du nouveau Prime Minister est l’âme damnée de sa campagne du « Leave » : Dominic Cummings. L’auteur de l’infâme slogan sur les 350 millions de livres qui seraient consacrés à la santé (le NHS[8]) en sortant de l’Europe. Cummings qui se servit du UKIP pour claironner un message anti-immigration.

Qui sera le plus impacté par un no deal ? Le Royaume-Uni. Et en Belgique ? Selon une étude de la KUL, 42.000 emplois seraient sacrifiés dont deux tiers (28.000) en Flandre. Ces chiffres, les décideurs flamands les connaissent. Ils savent que la minuterie du Brexit est enclenchée. En 1976, éclata un brûlot sonique : « Anarchy in the UK« . Le punk fut réduit, à tort, au nihilisme, au chaos et à la destruction[9]. L’après 31 octobre pourrait être très punk en ce sens. Bourgeois nihiliste pour ne pas dire décadent, Bojo n’a rien de sérieux à proposer. Une étude des services sa Gracieuse Majesté prédit une pénurie ou une hausse de prix de la nourriture, des médicaments et du carburant[10]. Last but not least, sur l’archipel comme sur le continent, l’emploi devrait saigner.

En Belgique, cela pourrait requérir pour ne pas dire réquisitionner un Gouvernement d’urgence socio-économique et, espérons, écologique. Exempté d’une N-VA enfermée dans son exigence d’un « Grand Soir » confédéral et de mèche avec les boutefeux du Brexit. L’homme qui décida le référendum sur le « Leave » est David Cameron, un proche idéologique de De Wever. Bojo a aussi de notoires atomes crochus avec l’empereur anversois. Il offrit même à son ami et à sa clique un clip promotionnel pour leur campagne de 2014.[11]

Sage sagace et souvent caustique, Louis Tobback, a livré à 81 ans une lecture roborative de l’actuel marasme fédéral. « Aujourd’hui, tout se trouve à l’Europe d’une façon ou d’une autre. En exagérant,la formation d’un gouvernement fédéral correspond à la formation d’un Collège échevinal comme à Londres. On peut continuer 600 jours sans Gouvernement. Tant que la mer reste plate, évidemment« . Si un évènement majeur se produit, « il faudra faire vite, plus le temps de s’occuper avec des carabistouilles , plus le temps de s’occuper de confédéralisme ou je ne sais quoi « . Un Gouvernement fédéral à Halloween, N-VA free, pourrait être la dernière histoire belge.

[1] Titre librement inspiré d’une déclaration de Gary Lineker après la Coupe du monde de 1990

[2] VRIND 2017. Vlaamse Regionale Indicatoren, p. 30-31. https://www.vlaanderen.be/publicaties/vrind-2017

[3] Elément ou phénomène repris et décliné en masse sur Internet.

[4] Le Cartel fut officialisé le 14.2.004

[5] RTBF, 7.8.2014

[6]https://www.youtube.com/watch?v=Nx2rKhmNRFY

[7]https://www.britannica.com/biography/Boris-Johnson

[8] Le National Health Service

[9] Craig O’Hara, La philosophie du punk, p. 11

[10] Bloomberg, 18.8.2019

[11]https://youtu.be/aVTp6TSKN0U

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