Gérald Papy

Esprit de Charlie, où es-tu ?

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La Une du Charlie Hebdo qui reparaît près de deux mois après les attentats qui décimèrent sa rédaction sonne comme un salutaire retour à la normale pour ses auteurs. Le journal satirique est à nouveau prêt à affronter ce qui fait sa raison d’être, la meute critique des politiques, des religieux, des bien-pensants, des obscurantistes et des banquiers… Fini l’unanimisme compassionnel, la provocation reprend ses droits, sel de la liberté d’expression.

Mais s’il devait y avoir un après-7 janvier, c’est dans le souffle de l’esprit de Charlie, symbolisé par la grande manifestation de Paris quatre jours plus tard, qu’il fallait le trouver. Personne ne pensait sérieusement que cet état de grâce survivrait durablement. Personne n’imaginait qu’il retombe aussi brutalement. La responsabilité des dirigeants, politiques et religieux, est écrasante.

L’épisode du recours au 49-3 (article de la Constitution qui autorise l’adoption d’une loi sans vote en engageant la responsabilité du gouvernement) pour faire passer la loi Macron « Croissance et activité » est symbolique de la perpétuation des petits jeux politiques en France. Face à une gauche gouvernementale qui s’aventure sur le terrain – ô combien glissant dans l’Hexagone – des réformes (sur l’extension de l’ouverture des magasins le dimanche et la libéralisation du transport en autocar, quelle audace !), la droite n’a opposé qu’un réflexe partisan, le rejet par principe plus que par conviction. Le consensus politique ne serait-il définitivement possible en France que sur les matières de sécurité et de défense, et encore ?

Des responsables religieux, dont on pouvait attendre plus de sagesse, ont pareillement flétri l’esprit du 11 janvier, nourrissant des amalgames contre lesquels tous avaient pourtant mis en garde l’honnête citoyen après les attentats. Rejetant « toutes les violences commises aujourd’hui sur des jeunes musulmans », le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Roger Cukierman, a stigmatisé toute une communauté et semblé minimiser la profanation, mi-février, du cimetière juif de Sarre-Union par cinq ados nazillons, « Français de souche ».

Si tant est qu’il ait véritablement été imprégné par l’esprit de Charlie même après avoir condamné les attentats de Paris, le cheikh Ahmed al-Tayeb, grand imam de la mosquée al-Azhar au Caire et autorité morale de l’islam sunnite, a exhorté sans état d’âme, après l’immolation du pilote-otage jordanien en Syrie, à « tuer et crucifier » les djihadistes de l’Etat islamique, en se référant à une sourate du Coran. Il a ainsi accrédité l’idée que le livre saint est intrinsèquement violent et imperméable à toute interprétation contemporaine.

u003cstrongu003eDeux mois après, que reste-t-il de l’esprit de Charlie ? u003c/strongu003e

Deux mois après, que reste-t-il de l’esprit de Charlie ? La restauration des mauvaises habitudes politiques, une propagation de la terreur en Europe, de Copenhague à Verviers, et des annulations de débats sur la liberté de la presse, ici ou là, faute de mesures de sécurité inclinent à penser que les terroristes ont – provisoirement ? – gagné. Plus que par les politiques, le souffle du 11 janvier est entretenu aujourd’hui par des personnalités de la société civile. Tel rabbin qui engage le dialogue dans les banlieues, tels mère de victime de Mohamed Merah ou caricaturiste qui vont à la rencontre de jeunes d’écoles défavorisées. L’avenir dira si ce constat consacre un pouvoir inédit des citoyens en réponse à la défiance accrue du politique.

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