Nicolas De Decker

Entre 2015 et 2016, une certaine idée du paradoxe

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le premier jour de 2015 avait été le 7 janvier, son bête et méchant carnage, ses drôles de répercussions.

Une année regrettable, comme écrit notre meilleur confrère chez nos bons confrères du Soir.

S’il dit qu’elle a été regrettable, le bon confrère, c’est pour dire en fait qu’on ne la regrettera pas, la mauvaise année. 2015 aura été une année en oxymore, cette figure de style qui a l’air d’un paradoxe, mais qui n’en est pas un.

2015, ça aura été un silence qui a fait du bruit, celui des manifestants du onze janvier ; ça aura été un sourire qui n’est pas gentil, celui des assaillants du treize novembre ; ça aura été une générosité qui est intéressée, celle de Viva for Life ; ça aura été des réfugiés qu’on laisse sans refuge, ceux du Parc Maximilien ; ça aura été des économies qui ne coûteront rien, celles des conférences de presse des gouvernements ; ça aura été des séparatistes républicains qui dirigent un Royaume inséparable ; ça aura aussi été une insécurité sans danger, un cours sans savoir, une laïcité en faveur de la chrétienté, un Roi qui veille en vacances, une grève avec des travailleurs, une énergie nucléaire pour sauver la planète, un coeur qui saigne sans avoir battu, un dialogue social sans interlocuteurs.

Paradoxale, donc, 2015. Mais seulement en apparence.

Regrettable sans être regrettée, donc. Un oxymore, on vous dit.

Et 2016 ?

2016, elle, a commencé en avance comme 2015 avait un peu pris le temps. Une bonne semaine de décalage, elle aussi, mais en sens inverse. Elle a commencé, 2016, il y a quelques jours déjà, lorsque les syndicats des cheminots ont organisé du covoiturage sur les réseaux sociaux, et lorsqu’ils ont négocié avec des lobbies étudiants pour n’embêter personne d’autre que ceux que leur action doit embêter : leurs patrons, ministre comprise. Dès la fin de la regrettable 2015 et s’engageant pour cette 2016 pleine d’espoir, les syndicalistes cheminots ont été modernes et intelligents. On croyait que c’était une impossibilité, une aporie, un authentique paradoxe. C’est en fait un oxymore.

Mais celui-ci, personne ne le regrettera.

Et si ces syndicalistes malins étaient l’avant-garde d’une année de l’oxymore sympa ?

Ou bien même de l’année de la fin du vrai paradoxe ? La fin de celui qui n’est pas qu’apparent pour plaire. La fin de celui qu’on regrette.

Hein dites ?

Et si la N-VA choisissait entre gouverner un Etat qu’elle ne veut pas détruire et détruire un Etat qu’elle ne veut pas gouverner?

Et si le président du plus grand parti du pays s’occupait un peu plus de son pays et un peu moins de son parti ?

Et si le PS était aussi socialiste au pouvoir régional que dans l’opposition fédérale ?

Et si le président du Parti socialiste était aussi socialiste à Mons qu’à Bruxelles ?

Et si le MR était aussi libéral au pouvoir fédéral que dans l’opposition régionale ?

Et si le président du MR était aussi francophone à Bruxelles qu’à Linkebeek ?

Et si le gouvernement fédéral sauvait la sécurité sociale autrement qu’en la mettant à mort ?

Et si le gouvernement de la Communauté française gouvernait quelque chose ?

Et si les Bruxellois survolés décidaient du survol de Bruxelles ?

Et si chaque humain, Belge depuis Ambiorix ou pas, traitait chaque humain, réfugié depuis Aylan ou pas, comme un humain, migrant ou pas ?

Et si les attentats qui ne se produisent pas faisaient moins peur que les attentats qui se sont produits?

Et si les mesures prises après des attentats qui ne se sont pas produits empêchaient des attentats de se produire ?

Et si le bourgmestre de Molenbeek n’était pas le calife d’un Etat terroriste du Moyen-Orient, ni son ami, ni son allié, mais le bourgmestre de Molenbeek ?

Et si le ministre-président wallon siégeait à Namur ?

Et si le bourgmestre de Charleroi siégeait à Charleroi ?

Et si le bourgmestre de Namur siégeait à Namur, mais à l’Hôtel de Ville ?

Et si les piétons de Bruxelles marchaient sur le piétonnier de Bruxelles ?

Et si l’entraîneur de la meilleure équipe nationale du monde était le meilleur entraîneur du monde ?

Et si le Roi avait l’air d’un Roi qui règne plutôt que d’un petit prince qui se baigne?

Et si ma tata Isabelle en avait ?

Elle serait un regrettable oxymore. Mais c’est la nouvelle année, et tous les espoirs sont permis. A bien y penser, c’est désespérant. Et ça aussi c’est un regrettable oxymore.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire