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Enquête Kazakhgate-Godbille : scindée ou pas ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Suite aux révélations sur les 25 000 euros reçus par l’avocat général bruxellois Godbille, le dossier judiciaire baptisé Kazakhgate a été transféré à Mons. Que peut faire exactement la justice montoise ? De quels éléments dispose-t-elle ? Que devient le dossier de Bruxelles ?

Fin janvier, alors qu’on croyait l’enquête sur le Kazakhgate terminée, on apprenait qu’un nouvel élément devait faire l’objet d’investigations. En cause : la destination des fameux 25 000 euros versés, début 2012, au Fonds d’entraide de la Princess Léa. L’argent avait été versé depuis un compte bancaire appartenant à Catherine Degoul, l’avocate française de Patokh Chodiev, avec laquelle Armand De Decker avait collaboré dans le cadre de la fameuse transaction pénale dont le trio kazakh a bénéficié en juin 2011.

Or, il est apparu que, toujours en 2012, le Fonds Léa a fait un don de 25 000 euros à l’ASBL Amitié et Fraternité Scoute présidée par Jean-François Godbille, avocat-général au parquet de Bruxelles, là où la transaction pénale a été négociée et signée avec les Kazakhs. Une concomitance plus que troublante… Vu la fonction de l’intéressé, il fallait que le dossier quitte le parquet de Bruxelles. On attendait impatiemment la décision de la Cour de cassation.

Décision qui a été prise pendant le congé de Carnaval. Mais quelle décision ? L’arrêt de la Cour n’a pas été rendu public et celle-ci refuse de faire tout commentaire à propos de cet arrêt. La presse a annoncé que le parquet de Mons héritait du dossier. De tout le dossier ou seulement du volet Godbille ? Renseignements pris au sein des parquets de Bruxelles et de Mons, il ressort que l’entièreté du dossier a bien été confié au parquet général de Mons et que, vu le privilège de juridiction réservé aux magistrats, une instruction judiciaire sera ouverte au niveau de la cour d’appel.

Un conseiller instructeur doit être désigné par la première présidente de la cour d’appel de Mons. Dans ses motivations, la Cour de cassation a néanmoins stipulé que, vu que l’information du parquet de Bruxelles concernant Armand De Decker était terminée, l’enquête montoise devait s’intéresser principalement, voire exclusivement, au volet des 25 000 euros reçus par l’ASBL de Godbille. Ce qui ne doit bien sûr pas empêcher le magistrat instructeur montois d’indaguer, s’il découvre des liens, sur des protagonistes du volet De Decker.

Or qu’en est-il des liens éventuels entre Godbille et ces protagonistes ? L’avocat-général de Bruxelles, président de l’ASBL scoute, est-il intervenu dans les affaires kazakhes ? L’enquête le déterminera. Ce qu’on sait déjà, c’est qu’avant 2011, l’année de la transaction pénale, Jean-François Godbille connaissait le dossier Tractebel : c’est lui qui, le 10 juin 2009, a signé les réquisitions écrites, en chambre des mises en accusation, sur le renouvellement des saisies immobilières du trio kazakh dans l’enquête pour faux et blanchiment que le juge Frédéric Lugentz menait sur le trio kazakh. Nous avons retrouvé le document.

Par ailleurs, dans son audition face aux enquêteurs en juin 2016, Catherine Degoul, avocate de Chodiev, explique que, début 2011, après la décision de la Chambre du conseil de renvoyer les Kazakhs devant un tribunal, un avocat général de Bruxelles lui a accordé un rendez-vous, à elle et Armand De Decker, alors vice-président du Sénat. Selon elle, il ne s’agissait pas de Patrick De Wolf (le magistrat qui a finalement signé la transaction pénale), mais elle ne se souvient cependant pas de son nom. A l’époque, Godbille et De Wolf étaient les seuls magistrats du parquet général spécialisés dans les affaires financières…

On sait enfin que c’est, entre autres éléments, une écoute téléphonique du magnat carolo du textile Pierre Salik, récemment inculpé pour corruption de policiers à Monaco par le juge Michel Claise, qui a permis de découvrir le pot aux roses. Lors de cette écoute (qu’on peut situer probablement à l’automne 2016), Salik conversait avec la princesse Léa, dont il est fort proche. Il jouait souvent au poker avec le mari de celle-ci, feu le prince Alexandre. Dans cette conversation, Léa lui aurait explicitement parlé de Jean-François Godbille : vu l’ampleur prise par le dossier Kazakhgate, elle se disait inquiète par rapport aux 25 000 euros versés à son ASBL scoute et lui demandait ce qu’elle devait faire, sachant que son ami Salik pourrait demander conseil à l’un de ses nombreux avocats. Le juge Claise a alors dénoncé les faits, comme l’y oblige l’article 29 du code d’instruction criminelle. Plus tard, la princesse Léa a elle-même reconnu le versement des 25 000 euros à l’ASBL. Faut-il y voir un cadeau offert de manière subtile pour services rendus par Jean-François Godbille dans le dossier Chodiev ? C’est toute la question, même si l’intéressé affirme n’avoir jamais été acheté au cours de sa longue carrière.

L’enquête confiée aujourd’hui au parquet général de Mons est très attendue. Lorsqu’elle sera clôturée sur le cas Godbille, le dossier retournera à la Cour de cassation qui décidera quoi en faire, en fonction des éléments de l’instruction. S’il s’avère qu’aucun élément ne permet de poursuivre l’avocat-général bruxellois, le dossier Kazakhgate devrait retrouver la procédure de première instance. Dans le cas contraire, le privilège de juridiction emportera vers la cour d’appel toutes les personnes concernées par le dossier ayant fait l’objet d’une information au parquet de Bruxelles.

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