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En Flandre, une jeunesse radicalisée s’inspire de l’alt-right américaine

Muriel Lefevre

Il existe en Flandre une jeunesse radicalisée qui s’inspire de l’alt-right, la très extrême droite américaine. Ils portent des blazers et sont fans de Theo Francken. Le Standaard fait leur portrait.

La dernière vidéo très « léchée » du club de jeunes nationalistes flamands Schild & Vrienden fait des émules jusque dans les rangs de The Gateway Pundit, l’un des plus importants sites de l’extrême droite américaine. Si le site a un goût prononcé pour les théories du complot, il a tout de même son siège permanent au point presse du président Trump et les faveurs de Fox News. C’est donc le début de la gloire pour ce petit groupe de jeunes flamands qui ne compte que 10 000 followers sur Facebook.

Et ce groupe est loin d’être le seul en Flandre à lorgner vers l’autre côté de l’Atlantique.

Make Europe Great Again

Le président des jeunes du Vlaams Belang, Bart Claes, ne s’en cache pas : il voudrait modeler son organisation à l’image du mouvement alt-right. Pour se faire, il souhaite mettre le holà aux soirées spaghettis sans fin et se concentrer sur les médias sociaux et les actions qui attirent l’attention. Claes est d’ailleurs en contact avec d’autres mouvements de droite comme le Front National, la Lega Nord et le FPÖ. L’idée est qu’ils se réunissent tous sous le slogan « Make Europe Great Again », une libre interprétation du slogan qui assura une partie de la victoire de Trump. Pour rappel, l’Alt-right désigne toutes sortes de factions d’extrême droite aux États-Unis qui ont le vent en poupe depuis que Trump est monté en puissance. Il regroupe des organisations et de personne variés qui vont des gens qui trollent sur internet, aux militants pour la suprématie masculine en passant par les néonazis. Bien que quelques-unes de ses icônes, comme la superstar de YouTube Lauren Sud, 22 ans, s’en distancient depuis les évènements violents de Charlottesville l’été dernier, le mouvement garde de sa superbe. Suffisamment en tout cas pour faire rêver en Flandre. « Je vois de nouvelles méthodes dont on peut s’inspirer. Davantage de guérillas par exemple », dit Jonas Naeyaert dans de Standaard. Ce dernier est rédacteur en chef de Sceptr, un magazine qui selon ses propres dires se penche sur des sujets délaissés par des médias traditionnels. Il était aussi, il y a peu de temps encore, porte-parole du Vlaamse Volksbeweging.

Le même comme arme

Comme l’alt-right, les groupes flamands très à droite utilisent des mêmes un peu facile pour ridiculiser leur cible. Aux USA, on a utilisé Pepe The Frog au point qu’il devienne le symbole de l’alt-right. Naeyaert: « Alt-right a adopté les théories d’Antonio Gramsci – un marxiste, qui prônait un changement politique par un changement culturel. Pour y parvenir, on utilise des armes culturelles, comme l’humour dans ce cas-ci. » En Flandre aussi on utilise ce même procédé sur des sites comme « De Fiere Vlaamse Meme » (le fier même flamand, 10.000 followers) ou le « Pedagogisch Verantwoorde Vlaamse Memes » (le pédagogique et responsable même flamand, 1.000 followers ), deux sites qui ont pour mission de ridiculiser au quotidien et pêle-mêle : les Wallons, les socialistes ou les militants de droite. Ils ont par contre une admiration unanime pour Theo Francken.

Des looks de jeunes premiers

Dans ces mouvements flamands d’extrême droite, pas la moindre trace de blousons noirs et de crâne rasé. On est habillé de frais, coiffé au cordeau et on arbore des chaussures rutilantes. Cela ne doit rien au hasard, puisqu’une telle image fait passer le message qu’ils sont la nouvelle élite à venir. Une image proprette à l’opposé des « crapules » d’extrême droite qui pourraient faire peur à l’opinion publique. Cela ne s’arrête d’ailleurs pas aux vêtements puisqu’il se développe dans ces mouvements un vrai culte du corps.

On glorifie la force à travers des films qui montrent des entraînements dans la neige ou autre occupation virile. On prône aussi la violence plutôt que le dialogue.

L’extrême changement de look de l’extrême droite flamande

Les jeunes de l’alt-right flamand optent également pour un discours différent de celui de la vieille garde d’extrême droite: l’accent est désormais mis sur la lutte culturelle. Dries Van Langenhoven, 24 ans, inspirateur de Schild & Vrienden, expliquent par mail aux Standaard que : « Ces cultures marxistes et les postmodernistes déconstruisent les fondements de notre société, ce qui signifie que nous devons sauver des choses qui étaient autrefois considérées comme allant de soi, comme notre identité flamande, notre famille et notre liberté. (…) des thèmes qui enthousiasment plus les jeunes d’aujourd’hui que de chanter le Vlaamse Leeuw. Quand j’ai commencé, nous étions principalement concernés par des questions telles que la migration et une Flandre indépendante. Cela a progressivement évolué vers la lutte contre les principes des gauchistes des baby-boomers et des posts soixante-huitard », explique Dennis Bels, président de NSV! et actif dans l’association étudiante depuis dix ans. Le nombre de membres NSV! reste stable, mais leur origine change, note-t-il encore. « Dans le passé, les flamingants de souches étaient de plus en plus nombreux. Aujourd’hui, ce sont des jeunes qui nous connaissent via Internet. » Et l’extrême droite plus traditionnelle est ravie. Le leader du Vlaams Belang, Filip Dewinter, parle d’un sentiment de déjà-vu. « Il y a trente ans, ma génération a également participé à Voorpost, NSV! et le Vlaams Belang Jongeren. Nous aussi, nous avons ressuscité le mouvement d’alors avec un make-over extrême. En s’axant plus sur la migration et l’islamisation et moins sur l’amnistie. » Un nouveau changement de cap ne fait donc pas peur à Dewinter : « La vieille garde a encore assez de souvenirs pour se rendre compte que cet exercice est nécessaire pour revitaliser le mouvement. »

Le rêve d’une Forza Flandria

Néanmoins, l’alt-right flamand est encore fragile et cela pousse le président des jeunes N-VA, Tomas Roggeman, à se tenir à distance d’un groupe comme Shield & Friends, même s’il arrive que des jeunes N-VA participent à leurs activités. La pérennité du club est en effet sujet à question. Schild & Vrienden, qui n’est encore qu’une initiative d’étudiant, pourrait très bien disparaître d’ici cinq ans, à l’image d’un Pegida qui a complètement disparu des radars. « Parce que concrètement que représentent-ils? Ils n’ont pas de programme, pas de base idéologique, pas de texte fondateur. Une organisation sans vision sociétale sur le long terme ne fait généralement pas long feu » précise Roggeman.

Van Langenhove, le fondateur, s’en défend. Lui et son groupe travaillent à ériger des lignes directrices « avec la participation de tous les membres, mais aussi de penseurs et d’universitaires respectés ». Avec un objectif bien précis : changer les mentalités. Pour se faire, ils s’inspirent pas seulement de l’alt-right, mais aussi de mouvements jeunesses identitaires issus d’autres pays européens et qui ont pour la plupart un discours fortement similaire.

S’il n’est pas encore inscrit durablement dans la durée, ce genre de groupe – et de façon plus large un alt-right à la flamande- n’est néanmoins pas à prendre à la légère selon Ico Maly qui donne un cours sur les médias digitaux et la politique à l’université de Tilburg et est l’auteur d’un livre sur la Nouvelle droite. « Ils construisent une nouvelle élite et aident à diffuser des idées sur lesquelles les autres vont s’appuyer. Par exemple, ils ont réussi à déclencher, avec le soutien de certains membres de la N-VA, une tempête sur Twitter contre le recrutement de Jihad Van Puymbroeck, 23 ans, à la VRT – parce qu’il avaient posté des tweet anti-droite. L’élite flamingante a longtemps rêvé d’un projet qui transcende les frontières du parti: un Forza Flandria. Schild & Vrienden pourrait tout à fait être l’avant-garde d’un tel projet et je soupçonne qu’ils ne manquent pas de sympathisants. »

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