siège La Chambre des représentants
© BELGA/Eric Lalmand

En Belgique, l’éthique politique attend encore. Et toujours…

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

A la Chambre, les partis, surtout flamands, de la majorité, tardent à s’accorder sur la mise en place d’une Commission de déontologie… annoncée depuis quinze ans. Ce qui coince ? Des nominations, évidemment politiques.

Elle était censée incarner la « nouvelle culture politique » des années 1990 et des gouvernements arc-en-ciel. Elle devait donner à la sixième réforme de l’Etat menée par Elio Di Rupo un cachet de « renouveau politique ». Et elle avait depuis le début été poussée par les écologistes. Autant de raisons qui font, peut-être, que la Commission fédérale de déontologie reste dans les limbes parlementaires depuis janvier 2014 et la loi qui l’a instituée. Composée de magistrats ou de professeurs d’université, d’anciens mandataires, et d’anciens députés ou sénateurs elle doit émettre des avis, sans pouvoir sanctionner d’éventuels manquements, sur tout ce qui relève de l’éthique politique de tout mandataire fédéral, du ministre au haut fonctionnaire : les cumuls privés ou pas, les conflits d’intérêts, les rémunérations, les incompatibilités, les nominations, etc. Il a fallu six appels à candidatures, de juillet 2014 à mai 2015, et… un article du Vif/L’Express (« Ethique : le bal des « faux-culs » », le 20 mars dernier) pour susciter, principalement dans les catégories « anciens mandataires » et « anciens parlementaires », suffisamment de vocations pour pouvoir espérer voir les douze sages de cette commission enfin entamer leurs travaux.

Parmi les vingt-deux candidatures parvenues à la fin du printemps sur le bureau du président de la Chambre, Siegfried Bracke (N-VA), citons la professeure Françoise Tulkens (UCL) ou de vieilles gloires comme Melchior Wathelet père (CDH), l’ancien ministre wallon Thierry Detienne (Ecolo), l’ancien président du Sénat Danny Pieters (N-VA) ou François-Xavier de Donnéa (MR). A charge pour les groupes politiques de la Chambre de s’accorder, à la majorité des deux tiers, sur une liste de douze noms comptant deux magistrats ou professeurs, six anciens parlementaires, quatre anciens mandataires publics, une moitié de francophones, une autre de néerlandophones, au moins un tiers de femme et…un équilibre politique satisfaisant pour chaque formation.

Et là surgit le problème. Depuis lors, plus rien qu’un blocage qui dure depuis près de six mois. L’organe phare de la nouvelle culture politique est paralysé par les jeux politiques de la Belgique de papa. Deux conférences des présidents, en juin et en juillet, ont évoqué la question, chaque fois avec la même conclusion, celle de renvoyer le problème à un compromis entre partis. « Il y a clairement une absence de volonté politique à mener ce processus à son terme », dénonce Catherine Fonck (CDH). Le chef de groupe Ecolo Jean-Marc Nollet voit dans ces atermoiements « le reflet du désintérêt des partis du gouvernement pour cette problématique pourtant centrale si on veut rétablir la crédibilité du politique et le lien avec les citoyens ».

Le Carolorégien sentirait même dans la manière dont la commission fédérale de déontologie un cas d’école qu’elle pourrait avoir à étudier, tant les intérêts partisans qui s’y confrontent, et la bloquent, relèvent de sa sphère de compétences. « Nous nous sommes battus pour obtenir la création de cette commission et nous continuerons à nous battre pour qu’elle puisse fonctionner correctement, au plus vite et en toute indépendance car ce ne sont pas les sujets qui manquent: que l’on pense au problème des cumuls (y compris avec des emplois dans le privé) ou aux nominations politiques qui restent quoi qu’ils en disent des pratiques courantes pour certains partis traditionnels… ». En l’occurrence, « la N-VA est trop gourmande et ne veut pas lâcher ses candidats, le CD&V également », résume-t-on au groupe PS, où l’on voudrait voir « comme il le fait généralement, le MR avancer sur le sujet pour pouvoir arriver à un arbitrage ». Au CD&V, Servais Verherstraeten « confirme seulement qu’il n’y a pas encore de compromis, et rien de plus », ce qui, en langage CVP, tendrait à valider l’analyse socialiste. « Honnêtement, ce n’est pas la raison du blocage », dit le MR Denis Ducarme qui promet « un arbitrage pour la fin de l’année : maintenant, il est temps que ça atterrisse », pose-t-il.

Mais dans le cockpit, Siegfried Bracke, président de la Chambre et chef de file du plus grand parti flamand, donc belge, est loin d’avoir entamé la descente. « On voudrait boucler ça aussi tôt que possible, et ça fait longtemps que ça devrait avoir été fait », avoue-t-il. « Mais soyons réalistes : cette commission n’a pas de dossier urgent à traiter. Comme me le disait Jean-Luc Dehaene quand j’étais journaliste : le problème ne se pose pas. Il n’y a encore aucun dossier déontologique dont elle aurait pu se saisir », ajoute-t-il, déniant toute dimension politique au blocage. « C’est un puzzle difficile à compléter, mais ce n’est qu’un problème technique », déclare-t-il en présentant une ébauche possible de solution : « peut-être peut-on faire changer les candidats de catégorie, par exemple si un parlementaire a une charge de cours dans une université, ou qu’il exerce, comme ça arrive souvent, d’autres mandats publics ». Un exemple pris au hasard de candidats potentiellement transférables ? Le nationaliste flamand Danny Pieters est également professeur de Droit de la sécurité sociale à la KUL, et pourrait aisément remplacer un des deux magistrats ou académiques. Ou comment le monde politique exclurait la société civile, déjà très minoritaire avec deux « sages » sur douze, d’un organe voué à disséquer ses propres moeurs. On est tellement mieux dans les délices de l’entre-soi.

Comment les francophones ont, eux aussi, mis l’éthique au congélateur

Les partis francophones de l’opposition (fédérale) dénoncent unanimement les retards pris dans la constitution de la commission (fédérale) de déontologie. Mais que font-ils lorsqu’ils sont au pouvoir, au fédéral ou ailleurs ? L’Ecolo Stéphane Hazée, dont le parti est dans l’opposition partout, avance très froidement sa réponse : « Ils mettent l’éthique au congélateur ». Sous les oliviers PS-CDH-Ecolo précédents, en effet, un décret était voté par plusieurs assemblées francophones (le parlement wallon, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et celui de la Cocof) pour instituer, à Namur, une commission de déontologie similaire au modèle fédéral, compétente pour les mandataires et les fonctionnaires dépendant de ces institutions. « Les nouvelles majorités PS-CDH n’ont rien mis en oeuvre. Le ministre-président wallon renvoie à une initiative parlementaire, et le parlement se réfugie derrière des arguments juridiques », déplore le député namurois. Une des commissions qui siègent au Grognon, celle du Renouveau démocratique, a certes ces questions déontologiques dans ses compétences. Mais elles ne seront abordées que plus tard dans la législature. Après un très incertain dégel.

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