Thierry Fiorilli

« Élire est-il désormais du domaine du capricieux ? »

Thierry Fiorilli Journaliste

« Trump devait exister. Tôt ou tard. Comme hologramme du populisme universel. Mais la question aujourd’hui est comment s’en débarrasser, et au plus vite. La compétence universelle a légiféré sur le droit d’intervenir partout pour sauver l’humanité des massacres, ne le peut-elle pas pour nous sauver tous ? » C’est le questionnement de Kamel Daoud, dans Le Point du 17 mai.

L’écrivain algérien y constate que  » nous savons démettre un dictateur mais sommes impuissants face à un chef d’Etat élu qui menace le monde « . On peut contester son jugement sur le président des Etats-Unis ( « le Khadafi américain « ) mais on peut difficilement ne pas épouser sa réflexion, surtout si on l’élargit à d’autres élus de démocraties occidentales, sans pour autant les comparer tous et forcément à des tyrans :  » La réponse est facile quand un peuple est victime d’une dictature, mais que faire quand le peuple ou sa majorité en sont coupables ? Que faire lorsque le dictateur est désiré par la foule ? C’est le propre des cas Poutine, Erdogan et autres : ils sont devenus un désir, un voeu.  » Du coup, conclut l’auteur de Meursault, contre-enquête, la question a une variante plus étrange : élire est-il désormais du domaine du caprice dangereux ?  »

On ne saurait mieux dire, en comptabilisant les victoires électorales, ces dernières années, de ceux qui se sont érigés en ennemis de  » l’Europe « ,  » le système « ,  » les partis « ,  » les migrants « ,  » les médias « ,  » les bien-pensants « … Ceux qui sont désormais au pouvoir, seuls ou en coalition, outre aux Etats-Unis donc, en Hongrie, en Pologne, en Slovaquie, en République tchèque, en Bulgarie, en Autriche et en Italie désormais. Ceux aussi qui ont forcé le départ britannique de l’Union européenne. Ceux qui ont flambé aux récents scrutins organisés aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark, en France. Ceux qu’on regroupe sous le vocable  » populistes « , ou  » droite radicale « , ou  » nationalistes « . Et dont certains relèvent de l’extrême droite, plus ou moins déguisée, plus ou moins aménagée, plus ou moins présentable.

A un an des prochaines élections européennes, la tendance ne semble pas près de s’essoufler. Ce qui rend plus légitimes, plus pertinentes et plus alarmantes les questions de Kamel Daoud. Que faire lorsqu’une majorité d’une population plébiscite des programmes ou des politiques de rejet, d’exclusion, d’autoritarisme ? Que faire lorsqu’une majorité d’une population légitimise jusqu’aux moyens les plus démesurés réclamés par ces nouvelles autorités pour s’attaquer à leurs cibles ?

Autant d’interrogations auxquelles n’échappent pas les Belges. C’est ce que rappelle, dramatiquement, l’affaire Mawda : bien plus qu’un énième débat sur la récupération politique d’un événement (stratégie on ne peut plus classique dont l’actuelle majorité fédérale a jusqu’ici bien plus souvent été actrice que victime), elle rallume celui sur la nature même de la politique migratoire du gouvernement Michel. Conçue par la N-VA, cette politique-là induit, à nouveau, le questionnement sur la nature même de ce parti, dont les composantes peuvent, au choix, selon les profils, rejoindre allègrement ceux qu’on regroupe sous tous les vocables énumérés plus haut.

Compte tenu du fait que ce parti-là est majoritaire en Flandre, compte tenu du fait qu’il est le premier du pays et le restera sauf miracle après les prochaines élections législatives, dans un an elles aussi, compte tenu du fait que  » la foule  » le voulait, le veut toujours et le soutient de façon toujours plus inconditionnelle, il est permis de répondre sans tourner autour du pot à la dernière question de Kamel Daoud :  » Elire est-il désormais du domaine du caprice dangereux ?  » Assurément.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire