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Eliane qui ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les bookmakers la voyaient partir, après sa défaite aux communales. Mais Eliane Tillieux, la ministre wallonne des Affaires sociales, est toujours en place. Sans faste ni relief. Explications.

Elle a déjoué les pronostics. On la disait finie, terrassée. L’échec de sa mission de reconquête du maïorat namurois devait lui être fatal. Exit Tillieux, le maillon faible du gouvernement, la ministre qui ne pipe pas mot aux réunions à l’Elysette et qui déboule dans les conclaves budgétaires comme un carabinier quand tout est déjà fixé, la ministre « transparente » qui traverse la législature sans éclats, la ministre en chemisier-bleu-jupe-tailleur-foncée qui se fait héler par des clients de resto à Namur pour passer commande… Et pourtant, elle est toujours là, rivée à son fauteuil des Affaires sociales. Un rien crispée, cachant mal son étonnement de ne pas encore avoir été remerciée.

« En toute logique, elle aurait dû sauter, analyse un observateur namurois. La stratégie du PS n’a pas fonctionné. Elle a échoué à Namur. » Eliane Tillieux était, en effet, le nom de code d’une opération de reprise en main de la seule grande ville du sud du pays sur laquelle les socialistes ne règnent pas. La capitale wallonne, en plus. Tout un symbole. Un ministère, même peu flamboyant, était un strapontin rêvé pour y parvenir. « Un tel mandat donne une visibilité inouïe pour les élections communales », confirme une conseillère MR.

Les Affaires sociales devaient donc revenir au leader des socialistes namurois. Les deux favoris étaient out. Frédéric Laloux s’était grillé dans un reportage de la RTBF avec sa « voiture-bureau », avant de devoir démissionner du secrétariat d’Etat à la Lutte contre la pauvreté. Jean-Charles Luperto avait raté le coche à cause d’un SMS douteux envoyé au maïeur de Jemeppe. Restait Tillieux, par défaut. Une bonne faiseuse de voix : plus de 10 400 aux dernières élections régionales.

Le PS l’a préparée comme une candidate d’émission de téléréalité. Coachée, relookée. Sa nouvelle coupe de cheveux et son attifement plus dynamique ne sont pas passés inaperçus, à son arrivée au cabinet ministériel. On dit aussi qu’elle n’aurait pas choisi (toute) son équipe. « Elle peut en tout cas se reposer sur une très bonne chef de cab, Françoise Lannoy », sourit un membre de l’exécutif wallon.

Honorable Malgré toute cette organisation, elle a raté l’écharpe maïorale, largement coiffée au poteau par Maxime Prévot (CDH). Grosse déception pour les socialistes, partis pour user les bancs de l’opposition namuroise six années de plus. Mais la ministre éjectable n’a pas été balancée en plein vol. Avant elle, on avait pourtant assisté à un sacré défilé de socialistes : Christiane Vienne, Paul Magnette, Didier Donfut, en une seule législature ! « Eliane Tillieux a limité la casse en faisant un très beau score personnel aux communales », relèvent plusieurs députés de différents partis.

Avec ses 8 246 voix, elle s’est classée loin derrière Prévot (13 549 voix), mais largement devant ses prédécesseurs socialistes pourtant élus bourgmestre, Bernard Anselme en 2000 (6 632 voix) et Jean-Louis Close en 1988 (7 128 voix). Un score d’autant plus appréciable qu’elle ne faisait pas l’unanimité au sein du PS namurois. Elle a eu la tâche délicate, sans doute commandée, de tourner la page du passé, celle de l’affaire Sotegec dans laquelle Anselme est le principal prévenu. Ce dossier qui concerne l’attribution de marchés publics n’en finit pas de hanter les socialistes namurois. Il est examiné en Chambre du conseil, depuis le 7 février. Tillieux a donc rajeuni les listes, suscitant bien des rancoeurs. On a déjà vu plus confortable comme position de leader.

« Au-delà de son score personnel, important aux yeux du boulevard de l’Empereur, larguer Eliane Tillieux après les élections du 14 octobre, c’eût été avouer ouvertement la manoeuvre du PS pour reprendre Namur », observe un politique namurois. Or la maintenir à son poste d’ici aux élections de 2014 n’est pas vraiment risqué. « Elle n’est pas une révélation, mais elle remplit son contrat honorablement, souffle-t-on au parlement wallon. Comme un long fleuve tranquille, sans relief mais sans histoire. »

C’est sans doute ce qui résume le mieux le parcours de cette traductrice trilingue de 46 ans, mère de deux grands enfants, qui a toujours eu le souci de bien faire et la hantise de ne pas maîtriser à fond ses matières. « J’étais terrorisée quand un professeur m’envoyait au tableau à l’école, confie-t-elle. La peur de me tromper en public… » Aujourd’hui, lorsqu’elle répond à des questions parlementaires, elle est accrochée, à la virgule près, au texte que son cabinet lui a préparé. Fin novembre, invitée de Matin- Première (radio RTBF), lors de la journée « pauvreté », elle lisait ses notes, sans aucune spontanéité, pour répondre aux questions des auditeurs. Le syndrome de la bonne élève. Elle aime d’ailleurs dire que les habitants de Champion, dont elle est originaire, sont des Champions.

Sa carrière professionnelle et politique relève aussi du tracé fluvial, sans anfractuosité. Secrétaire traductrice, puis responsable commerciale à la Société wallonne des eaux, elle entre en politique en 2000 comme conseillère provinciale à Namur. Un virus familial : son frère Philippe roule pour Ecolo à Jemeppe-sur-Sambre. Quatre ans plus tard, elle est élue au parlement wallon où elle sera consacrée députée namuroise la plus active (451 interventions). Bonne élève, toujours.

Mais, malgré ses yeux bleus perçants, Eliane Tillieux brille sans éblouir. Elle n’aura guère porté de grandes réformes durant son mandat, sauf peut-être le parcours d’intégration pour les primo-arrivants, approuvé à Noël. Et encore, ce projet qui impliquait tout le gouvernement a été dicté en amont de son cabinet, persifle-t-on au sein de l’exécutif wallon. A l’Elysette, elle n’a pas de poids politique, n’intervient quasi jamais en dehors de ses prérogatives. Même les dossiers namurois passent davantage par le canal Maxime Prévot-André Antoine.

Bisounours Dans le secteur qu’elle couvre, on entend dire que c’est Alice Baudine, la patronne de l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées, qui est la véritable khalife des Affaires sociales. Il faut avouer que l’Awiph bouffe la majorité du budget de son ministère. Au parlement, on la surnomme volontiers la « Reine Paola », pour ses sourires et l’empathie qu’elle manifeste lors de ses nombreuses visites dans les maisons de repos. Elle ne dit rien qui fâche, évite les polémiques, fuit les conflits.

En décembre, elle a bien essayé de marquer le coup en se prononçant pour la régionalisation des soins de santé. « C’était une initiative personnelle pour alimenter le débat, assure cette régionaliste convaincue, signataire du projet de constitution wallonne aux côtés de Happart, Van Cauwenberghe et Collignon, en 2006. De mauvais esprits pensent plutôt qu’elle était en service commandé pour éviter que Jean-Claude Marcourt ne se mouille lui-même.

Bref, Eliane Tillieux ne dérange pas grand-monde, même si son côté Bisounours, avec les coeurs sur ses affiches électorales ou son logo caricature très dessin animé sur son site Internet, irrite certains. La bonne élève restera jusqu’en 2014. Et peut-être même au-delà, espère l’intéressée qui voit arriver le transfert de compétences vers les Régions d’un oeil concupiscent. Les Affaires sociales, dont l’enveloppe budgétaire va considérablement gonfler, deviendront alors un ministère sérieux qui suscitera les convoitises. Ici, les bookmakers sont unanimes. Aucun ne mise sur Tillieux.

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