Carte blanche

Elections : il est temps de sortir de l’esprit de clocher

La Belgique peut-elle échapper à une logique confédérale sans enjeu démocratique fédéral ? La Wallonie, qui vient d’enterrer le décumul, peut-elle se payer le luxe d’être la juxtaposition d’intérêts sous-régionaux alors qu’elle n’a jamais eu autant de leviers de décisions ?

Qu’on le veuille ou non, l’avenir de nos territoires, mais également leur légitimité citoyenne et leur efficacité à défendre l’intérêt commun, est aussi lié à la manière dont sont organisés les scrutins électoraux. Dans ce sens, nous rappelons et soutenons une proposition : la création de circonscriptions électorales tant au niveau fédéral que wallon.

La défiance des citoyens vis-à-vis des institutions et plus particulièrement du monde politique fait l’objet, dans le monde politique francophone, de débats à la fois sur la démocratie représentative (quels types d’élus ?) et participative (quel rôle, quelle implication pour le citoyen ?). Si certains fruits semblent mûrs, tels que la consultation populaire au niveau régional en Wallonie, d’autres se heurtent en permanence à une série de suspicions, d’obstacles et autres calculs. C’est le cas des circonscriptions fédérale et wallonne.

La conséquence d’une circonscription électorale à l’échelle de l’ensemble du territoire, qu’il soit belge ou régional, est le fait de pouvoir voter pour des candidats quelle que soit leur provenance géographique au sein de ce territoire. À Bruxelles, ce type de circonscription existe aux élections régionales.

L’idée d’une circonscription fédérale unique n’est pas neuve : elle a déjà été émise dès les années 70. Force est de constater que jusqu’ici, et malgré un soutien populaire intéressant, y compris au nord du pays, et confirmé par plusieurs sondages, cette idée n’a pas passé la rampe des crispations nord/sud et n’a pu figurer dans la dernière ligne droite des derniers accords institutionnels.

De son côté, la Wallonie est, elle, dotée depuis la dernière réforme de l’état de nouveaux leviers d’actions colossaux. Elle n’a, par contre, pas renforcé sa sphère démocratique commune. La question d’une circonscription wallonne avait pourtant été amorcée, en 2011, il y a 5 ans quasi jour pour jour, par les Ministres Marcourt (PS) et Nollet (Ecolo). Leur objectif était alors de dynamiser la façon dont la Région structure son espace public et démocratique pour mieux soutenir son projet de redéploiement et son renforcement structurel à l’aune de transferts de compétences… L’appel, après s’être heurté à une vive réaction du président du CDH, est resté sans écho.

Est-il normal de ne pas pouvoir sanctionner ou soutenir des élus qui portent des dossiers qui concernent l’intérêt de l’ensemble des Wallons ?

Les questions démocratiques posées autour de la création ou du constat d’absence de circonscription de type fédérale ou régionale n’en demeurent pas moins pertinentes. Si un lien direct avec les élus doit être conservé, est-il normal de ne pas pouvoir sanctionner ou soutenir des élus qui portent sur la place publique des dossiers qui concernent l’intérêt de l’ensemble des Belges ou des Wallons ? Est-il juste que la représentativité des élus s’arrête aux frontières provinciales et d’arrondissement ? Au niveau wallon, n’est-il pas logique, par exemple, de pouvoir sanctionner ou récompenser l’action, que ce soit en matière économique, de mobilité, d’aménagement du territoire…, de ministres ou de membres de l’opposition qu’ils soient carolo, liégeois ou luxembourgeois, et peu importe si l’on habite Mouscron, Liège ou Jodoigne ?

Cette réalité peut nourrir chez l’électeur un sentiment d’éloignement des enjeux, de distance par rapport à ces élus sur lesquels on n’a pas de prise. L’histoire de notre État fédéral démontre également l’impasse de cette réalité qui favorise les rivalités, incompréhensions et la perte de sens des politiques menées. Dans une Belgique où la circonscription fédérale existerait, la ministre de la Santé, Maggie de Block, aurait-elle pu s’asseoir avec autant d’aisance sur les demandes francophones dans le dossier de l’accès à la profession pour les étudiants en médecine ?

La Wallonie aurait tort de ne pas tirer les leçons fédérales en se jugeant par nature plus homogène. Dans un contexte socio-économique difficile, elle doit se mettre à l’abri des guerres de bassins et des réflexes sous-localistes qui ont aussi jalonné sa courte histoire… et aller de l’avant dans sa construction démocratique. Le chemin pris par le rejet de la législation anti-cumul ne va, hélas, pas dans ce sens puisqu’il favorise au contraire la juxtaposition d’intérêts communaux au sein de l’assemblée parlementaire wallonne.

Il n’y a évidemment pas de miracles sans femmes et hommes politiques à la hauteur des enjeux. Mais les règles démocratiques peuvent stimuler certaines réalités. Au sein de circonscription électorale de type fédérale ou wallonne, les candidats auraient intérêt, pour s’assurer d’être élus, à mettre prioritairement en avant les intérêts communs de l’ensemble des électeurs concernés par le suffrage et non des intérêts communautaristes ou localistes. Cette nouvelle configuration devrait également établir un lien plus direct entre les électeurs et les élus de ces circonscriptions. Leur légitimité n’en serait d’ailleurs que renforcée.

On nous répondra que les priorités pour la Wallonie aujourd’hui, c’est l’après Caterpillar, c’est le redéploiement économique de la Région, la transition écologique, l’avenir de sa mobilité, de son territoire. Mais répondre aux défis économiques, sociaux et environnementaux du moment ne doit pas exclure le défi démocratique d’une Région qui doit gagner en adhésion et conscience d’un intérêt commun. Mieux, il est nécessaire que les défis politiques auxquels la Wallonie est confrontée soient au centre des enjeux démocratiques du territoire régional.

Alors que le fait régional est plus fort que jamais, qu’on le veuille ou non, le moment semble indiquer pour soutenir cet élan et lui apporter une dimension démocratique. Quant à la Belgique, les défenseurs de l’espace commun ne peuvent se contenter de déplorer la puissance du parti nationaliste flamand sans proposer un contre-projet fédéraliste enthousiasmant.

Alors que les prochains rendez-vous électoraux avec le citoyen sont déjà dans la ligne de mire des états-majors des partis, il est temps d’ouvrir les fenêtres des débats démocratiques belge… et wallon.

Nicolas Parent,Conseiller communal Ecolo à Wanze

Caroline Saal,Conseillère communale Ecolo à Liège

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