André Flahaut

Éducation citoyenne : urgence démocratique et défi scolaire

André Flahaut Ministre d'état 

Il y a peu, ma proposition d’encourager, sur une base optionnelle, l’enseignement de la langue arabe dans les écoles a suscité des réactions passionnées et inquiètes – alors même qu’un dispositif existe déjà, mais demeure perfectible autant que mal connu.

Il nous appartient aujourd’hui de tirer enseignement de cette polémique lourde de sens pour répondre, de façon responsable et sans faux-semblants, aux problèmes et aux incompréhensions tenaces qui l’ont rendue possible.

Nous ne pouvons rester sourds ni aveugles aux tensions, rancoeurs et crispations qui menacent notre équilibre social. Nous avons le devoir de les aborder en conscience, avec courage et par-delà les clivages partisans. Car, dans cette polémique se joue, pour une part, le futur de la démocratie.

Marcher contre le vent

Pour mieux la dénigrer, certains ont vu dans ma proposition un coup politique à caractère électoraliste. D’autres l’ont jugée inopportune, aberrante ou absurde. D’autres encore, m’ont reproché d’outrepasser mes compétences ministérielles. Je soulignerai d’abord qu’il ne saurait y avoir d’action politique sans liberté de s’engager, de réagir, de proposer, de militer ; sans liberté de faire entendre sa voix de citoyen, même si cela déplait. Je soutiendrai ensuite qu’il ne saurait y avoir de démocratie sans pratique du débat ni sans respect. Tous les sujets sont également dignes d’être discutés, y compris (et peut-être avant tout) ceux qui dérangent.

Reconnaissons qu’il est aujourd’hui plus populaire d’encourager le repli sur soi que l’ouverture sociale et culturelle ; plus populaire de renforcer les peurs que d’en appeler à la réconciliation ; plus populaire d’alimenter la haine que de prôner la voie de l’écoute et du dialogue. Les partisans de la force et du rejet ont le vent en poupe : inutile de le nier. Mais cette popularité ne saurait en rien justifier le silence des progressistes face aux solutions caricaturales promues par les premiers.

Arrêtons de courir derrière l’intolérance et l’extrémisme. Ne laissons pas leurs promoteurs dicter l’agenda politique. Ayons le courage de défendre les valeurs de la démocratie, quitte à devoir marcher contre le vent, que celui-ci vienne de Flandre ou d’ailleurs.

L’impunité de l’intolérance

Impossible d’ignorer les propos racistes, les insultes et les menaces physiques que ma proposition est venue motiver sur les réseaux sociaux. Nous ne pouvons traiter ces comportements avec complaisance, pas plus qu’avec légèreté. Ils traduisent une violence sociale à laquelle personne (ou presque) ne veut répondre. Au reste, force est de reconnaitre que les discours populistes et parfois xénophobes de certains mandataires politiques nourrissent jour après jour le sentiment d’impunité des plus intolérants, qui sont aussi les plus bruyants.

Ceci étant, la grande part des commentaires porte surtout témoignage des préjugés et des fantasmes qui continuent de gangrener notre existence collective. La méconnaissance de l’autre, les stéréotypes et les amalgames, trop souvent, sont de mise. C’est justement contre eux qu’il faut lutter.

Un manque de culture du débat

En tout état de cause, la polémique que s’est fait jour autour de la langue arabe et des possibilités de son apprentissage à l’école dépasse de beaucoup ma proposition. Elle signale d’abord une panique identitaire. Elle pointe vers une crainte teintée de complotisme : celle de devoir apprendre et connaître une nouvelle langue (l’arabe) qui viendrait remplacer toutes les autres (le français, le néerlandais, l’allemand, etc.). Une langue qui servirait secrètement à imposer une culture, une religion, un mode de vie. Tout cela, bien sûr, n’est pas sérieux. Mais quelques démagogues ont aimé propager de folles rumeurs pour mieux verrouiller la discussion. La majorité silencieuse de nos concitoyens s’est retrouvée, pour sa part, prise au piège de ceux qui font régner la terreur dans les mots.

Cette polémique renseigne surtout quant au manque crucial de culture du débat, d’éducation citoyenne et de respect dans notre pays. Sur tous ces points, le déficit est immense. N’ayons pas peur de le dire : la démocratie est en danger. Croyances, couleur de la peau, origines, langue : la différence, partout, fait problème. La fermeture et le rejet, dès lors, en viennent à s’installer. Non le « vivre ensemble » n’est pas un concept abstrait ni un slogan, comme d’aucuns le prétendent pour mieux s’en moquer – installés qu’ils sont dans un entre-soi confortable.

Épanouissement et formation à la citoyenneté

Samenleven, zusammenleben, convivere, convivir, live together, etc. : quelle que soit la langue, le « vivre ensemble » a du sens et du corps. Il ouvre un horizon. Il donne un avenir. À cet égard, l’École a, plus que jamais, un rôle à jouer. Elle doit promouvoir l’entente et la concorde. Elle doit favoriser la rencontre et l’échange. Apprendre à lire, à écrire, à compter n’est évidemment pas accessoire. Mais le reste ne l’est pas non plus. Pratiquer de nouvelles langues, s’initier aux arts et aux sports, fréquenter d’autres cultures : tout cela ne saurait être réservé à ceux qui en ont les moyens. Tous les enfants, d’où qu’ils viennent, doivent pouvoir trouver à l’École (par-delà les « compétences de base ») un lieu d’épanouissement, de développement intellectuel, d’ouverture au monde et d’apprentissage de la citoyenneté. L’urgence et la priorité sont là : la récente polémique le montre à plus d’un titre.

Un « cours de philosophie et de citoyenneté » a récemment été introduit en Communauté française. Je ne l’ignore évidemment pas. Depuis plus de vingt ans, je me bats pour qu’un tel enseignement soit possible. Mais ce qui a été conçu ne me satisfait pas vraiment. Je regrette que le projet ait été dépouillé de ses ambitions les plus fortes et de son esprit. À mes yeux, la formation du citoyen, ce n’est ni de la philosophie ni du coaching personnel. Tous les enfants, donc tous les réseaux, sont concernés par cette formation, car nul n’est jamais immunisé face à l’intolérance, au rejet et au racisme.

Enseigner la citoyenneté, c’est en premier lieu développer les principes et les pratiques de la démocratie. C’est préparer chaque adulte en devenir à la vie sociale et politique. C’est donner à chacun les moyens d’affirmer la légitimité de sa parole tout en respectant celle des autres. Espérons qu’un tel enseignement puisse voir le jour à l’occasion d’une prochaine législature. Nos enfants en ont besoin. La démocratie aussi !

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