Ecoles privées : une nouvelle venue fait polémique

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le lycée Molière a annoncé l’ouverture d’une nouvelle école européenne dès septembre prochain. Au mécontentement des autres écoles privées internationales, dont certaines y voient un « traitement de faveur ». C’est que la concurrence fait rage dans ce « réseau ».

Depuis 1964, c’est une école unique : totalement privée, payante (de 7 500 à 8 000 euros annuels auxquels s’ajoutent les frais d’admission et les frais scolaires), mais le diplôme qu’elle délivre – le CESS, le diplôme de secondaire – est homologué par le ministère de l’Education. Le lycée Molière a ainsi délivré, annonce-t-il sur son site, 1 132 certificats officiels. Implanté à Ixelles, à proximité du bois de la Cambre, il adopte en effet les programmes et les horaires fixés par la Fédération Wallonie-Bruxelles, et ses élèves passent les épreuves externes organisées par l’autorité. Le contrôle de l’inspection scolaire s’attache, selon l’école, à vérifier dans chaque matière le contenu des cours des 5e et 6e années, sans qu’aucune visite d’inspecteurs ne soit jamais prévue.

En septembre prochain, l’établissement privé, qui accueille une soixantaine d’élèves, ouvrira une « école européenne agréée » au domaine du château d’Argenteuil (Waterloo). Baptisée Ecole européenne de Bruxelles-Argenteuil (EEBA), elle n’offrira que des classes maternelles et primaires en anglais. Le degré secondaire et les sections francophone et suédoise seront ajoutés progressivement : en 2017, les 1ere, 2e et 3e secondaire et, en 2018, les 4e et 5e. L’option est coûteuse, de 10 000 à 18 000 euros annuels par élève à charge des parents.

Contrairement aux écoles européennes « historiques » de Bruxelles, de Mol ou encore de Luxembourg, le coût de la scolarité et le détachement des enseignants n’est pas à l’EEBA assumés par les institutions européennes. L’Europe ne débourse pas un seul centime. En effet, dans ces écoles européennes agréées, dites de « type 3 », le financement est le plus souvent à charge de l’Etat membre où elles se trouvent. Il s’agit d’établissements nationaux reconnus par le Conseil supérieur des écoles européennes (qui rassemble les ministres de l’Education de chaque pays de l’Union), c’est-à-dire qu’elles offrent les programmes pédagogiques fixés pour les Ecoles européennes et dispensent éventuellement le Baccalauréat européen, reconnu dans toute l’Union. Elles sont actuellement 13 en Europe. Il n’en existait aucune chez nous.

Comment obtenir l’agrément ? L’établissement candidat doit passer une longue procédure, stricte et exigeante. Si les rapports, notamment des inspecteurs européens, sont positifs, il signe officiellement une convention, accordée pour trois ans, renouvelable. Le troisième degré du cycle secondaire fait, lui, l’objet d’une procédure et d’un audit à part. L’EEBA, précise au Vif/L’Express le Conseil supérieur des écoles européennes (et harcelé de coups de fil de parents intéressés), est « en cours d’agrément ». L’EEBA devrait signer la convention d’agrément « au plutôt à la fin de l’année 2017 ». Les élèves qui entameraient le cycle secondaire à partir de septembre 2017, signale encore le Conseil, ne pourront se présenter au Bac européen, puisque l’agrément pour ce cycle « ne sera pas encore validé et devrait prendre au moins dix ans ».

Coup bas

Surprise : il semble que le petit monde des écoles privées, parfois internationales, soit troublé par l’arrivée tonitruante de ce nouveau venu, dont le créneau est semblable aux établissements internationaux. Selon le futur directeur général de l’EEBA, Félix de Mérode, son établissement espère accueillir jusqu’à 800 élèves et, selon la demande, organiser des navettes depuis Bruxelles. 800 ? Les objectifs affichés par l’EEBA sont qualifiés de « très ambitieux » par ses « concurrents ».

A l’image du lycée Molière, ces écoles se concentrent sur Bruxelles et dans le Brabant wallon. On en compte une trentaine, non subsidiées par le ministère de l’Education. Un petit ensemble au périmètre très limité : presque 11 000 inscrits, une goutte d’eau rapportée aux 700 000 élèves scolarisés dans les réseaux classiques. Parmi elles, beaucoup sont fragiles financièrement, voire menacées de fermeture dès que l’investissement des parents se réduit. Leurs élèves, à l’issue des six années, doivent réussir soit le Bac international, soit les épreuves du jury de la Communauté française. Mais rude est la concurrence que se livrent ces écoles pour remplir leurs salles de cours. Dès lors, les coups sont permis, mettant en doute les capacités financières réelles de la future EEBA.

Pour l’occasion, le lycée Molière s’est associé à la Scandinavian School of Brussels, déjà installée au domaine d’Argenteuil et où, à proximité du moins, sont implantées d’autres écoles privées concurrentes. Ce seraient des difficultés économiques qui auraient guidé cette alliance. L’école scandinave, dont le nombre d’élèves ne dépasse plus 200 aujourd’hui, fait face à un endettement important. Dans un rapport daté du 19 février 2016, le réviseur d’entreprise souligne « l’existence d’une incertitude significative susceptible de jeter un doute important quant à la capacité de l’entité à poursuivre ses activités ». Et ce, « malgré les subsides mis à disposition par le Fonds reine Astrid ». Quant au lycée Molière, en renforçant ainsi son attractivité, grâce au « label européen », il espère évidemment voir ses effectifs augmenter.

Surtout, c’est le « traitement de faveur » dont aurait bénéficié le lycée qui a hérissé les établissements concurrents. Ceux-ci s’étonnent de l’appui que l’école privée a reçu de la part de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), parce que lors d’un processus d’agrément, c’est l’Etat membre qui fait la demande de l’ouverture de cette école agréée sur son territoire. « L’Etat membre présente un dossier d’intérêt général, par lequel il expose le projet, les motivations de celui-ci et les moyens qu’il se dispose à mettre en oeuvre pour l’accomplir », détaille le Conseil supérieur des écoles européennes.

Ces écoles privées pointent encore le « statut hybride » d’autres établissements, comme l’Ecole internationale Le Verseau (Bierges), subsidiés par la FWB et qui exigent en outre une contribution financière des parents. « Nous sommes totalement ignorés par l’administration, alors qu’elle sait pertinemment que nous existons », explique Bruno Terlinden, directeur de l’école privée Bois Sauvage, à Bruxelles. A l’initiative de David-Ian Bogaerts, directeur de la Brussels School, à Waterloo, elles invitent la FWB à mettre de l’ordre dans l’univers des écoles privées, dont certaines entretiennent dans leur nom ou dans leur présentation une certaine confusion. « Ici, la capacité d’enseigner les langues par rapport à l’école publique ont fait leurs preuves, par exemple », déclare David-Ian Bogaerts. Il souligne aussi « le rôle des écoles privées internationales pour l’économie ». « Elles contribuent au prestige de la Belgique à l’étranger, grâce aux expatriés qu’elles accueillent. »

Ce « réseau » lance un appel à expérimenter des « free schools », ces écoles semi-privées, en partie financées par le public mais de gestion privée, en développement dans les pays anglo-saxons, aux Pays-Bas ou en Suède. « Le système laisse carte blanche au directeur pour la souplesse des programmes pédagogiques, l’embauche des personnels et la levée de fonds supplémentaires », souligne David-Ian Bogaerts, directeur de la Brussels School, à Waterloo. Placées sous régime contractuel, donc potentiellement non renouvelable, les « free schools » ont des obligations de résultats et peuvent être arbitrairement fermées. Une troisième voie entre le tout-privé et l’école publique et gratuite. L’idée a, semble-t-il, très peu de chances de trouver un écho parmi les ministres de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

COLLABORATION

Pour l’occasion, le lycée Molière s’est associé à la Scandinavian School of Brussels, déjà installée au domaine du château d’Argenteuil et où, à proximité du moins, sont implantées d’autres écoles privées concurrentes

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