La contribution parentale varie évidemment d'une école à l'autre, de 250 à 450 euros par mois pour le premier enfant, moins pour le(s) suivant(s) (ici, l'école Decroly, à Uccle). © HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L'EXPRESS

À L’ÉCOLE GRATUITE, DES FRAIS  » DÉGUISÉS « 

Certains établissements exigent des parents une contribution financière. Une entorse à l’égal accès à l’enseignement ? Ces écoles, toujours plus nombreuses, sont un bon exemple de la manière dont des études théoriquement gratuites deviennent subrepticement payantes.

On lui a consacré un chapitre entier dans le Pacte d’excellence : la gratuité totale de l’école, que les auteurs rêvent d’imposer, d’abord en maternelle, puis en primaire, en secondaire enfin, pour un coût d’au moins 10 millions d’euros. Vu ses petits moyens, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) semble privilégier d’autres priorités. Le slogan de lagratuité resterait à ranger aux accessoires de l’imaginaire scolaire.

C’est l’acte d’enseignement qui doit être gratuit, et son financement est effectivement pris en charge par l’Etat. Aucun minerval direct ou indirect ne peut être réclamé pour inscrire un élève en primaire et en secondaire. Pas de frais d’inscription donc : ce serait contraire à la loi. En revanche, l’école demande une participation financière aux familles pour couvrir certains frais dont l’inventaire a été rappelé par le Conseil d’Etat, interpellé par les parents d’une écolière (lire l’encadré).

Mais  » l’iceberg  » de la dépense éducative se révèle parfois encore plus grand. Dans des établissements scolaires, les familles paient une  » aide parentale  » mensuelle, qui vient s’ajouter aux frais qui leur incombent déjà. Son montant – forfaitaire ou évalué selon les conditions de ressources et le nombre d’enfants inscrits – varie évidemment d’une école à l’autre, de 250 à 450 euros par mois pour le premier enfant, moins pour le(s) suivant(s). En primaire, à l’Ecole ouverte (Ohain) ou à l’école Nos enfants (Forest) par exemple, les parents déboursent quelque 1 000 euros annuels pour le premier inscrit. En secondaire, à l’école Decroly (Uccle) ou à l’école internationale Le Verseau (Bierges), la contribution peut s’élever à 4 000 euros annuels. Pareille logique est à l’oeuvre dans la communauté juive et dans la communauté turque, à l’athénée Ganenou (Uccle) entre autres.

La plupart des établissements ont constitué une asbl amie habilitée à recevoir des dons et des legs, et dont l’objectif est avant tout financier : collecter des fonds pour soutenir financièrement l’école associée, notamment en encourageant les parents à verser une cotisation. On entre évidemment dans un jeu dangereux, où l’aide parentale risque de se transformer en minerval déguisé, difficilement compatible avec le principe de l’égal accès à l’enseignement obligatoire.

Ces institutions, citées parmi d’autres et dont la liste exhaustive se révèle impossible à dresser, demeurent encore minoritaires, mais leur nombre s’allongerait avec la création de nouvelles écoles. Ainsi les tout jeunes établissements De l’autre côté de l’école (Auderghem) et L’Ecole active (Uccle) sollicitent les parents à concurrence de 100 euros à 200 euros mensuels, modulés selon les revenus familiaux. A Singelijn (Woluwe-Saint-Lambert), où une école secondaire a ouvert en septembre dernier, on incite également les familles à intervenir financièrement.

Du côté des directions scolaires, on ne nie pas la pratique, mais on tempère. Elles pointent le caractère facultatif et volontaire de la contribution, qui ne serait jamais un obstacle à une inscription. Tous les parents ne la paieraient pas, ou pas spontanément.  » Il faut souvent la leur réclamer « , confie l’une d’entre elles. Alors qu’ailleurs, c’est à peine 1 % des familles qui ne s’en acquitte pas.

Concrètement, la gestion de l’école et celle de l’asbl amie sont tout à fait distinctes.  » L’équipe éducative ignore qui donne combien et qui ne donne pas « , poursuit une direction d’école. Ce qui n’empêche pas certains parents de tiquer quand l’établissement réclame leurs fiches de salaire et d’impôt, ou quand la destination de leur cotisation demeure vague.

Un facteur d’autosélection

Pourquoi ce besoin d’apports financiers ? La plupart de ces écoles sont rassemblées au sein de la Fédération des établissements libres subventionnés indépendants, qui scolarise 8 500 élèves. Elles proposent des projets pédagogiques alternatifs – du bilinguisme, des pédagogies actives. Bien souvent, elles sont fondées à l’initiative de la société civile – un collectif, un groupe de parents… Du coup, leur business model est vorace en capitaux. Ces écoles sont en partie financées par l’autorité publique. Les enseignants sont rémunérés par la FWB. Mais pour leur fonctionnement, quand les athénées de la FWB reçoivent 100 % de subvention par élève, elles en touchent quelque 58 % en primaire et 54 % en secondaire. Le hic, c’est le bâtiment, dont il faut rembourser l’emprunt. Le type de pédagogie réclamerait également un encadrement supplémentaire – des profs en plus – et des infrastructures spécifiques (matériels, ateliers…). Ces écoles ne peuvent se passer, disent-elles, des cotisations parentales, sans mettre leurs activités en péril.

Résultat : ces frais  » déguisés « , que certains de ces établissements n’affichent pas tout de suite et en tout cas pas sur papier, risquent d’éloigner ceux qui ne peuvent payer et de garantir un petit monde homogène et sélectionné. Qu’importe : les listes d’attente s’allongent, tant l’engouement des parents est vif.

Face à la croissance démographique, l’autorité publique et politique n’y voit que des avantages. La FWB paie les salaires des professeurs… et reporte sur les initiateurs tous les risques, et sur les parents d’élèves une partie des charges. Finalement, ce n’est pas tant que la gratuité disparaît, mais qu’elle entre en concurrence avec une offre payante, ni complètement publique, ni complètement privée.

PAR SORAYA GHALI

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