Christine Laurent

Echec interdit

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

LA VULGARITÉ DE SON STYLE EST LE MIROIR DE LA TRIVIALITÉ de son âme », aurait sans aucun doute dit de lui Sénèque. Alors qu’il avait, pendant des années, l’Italie, « ce pays de merde » [sic], à sa botte, Silvio Berlusconi s’est certes beaucoup agité, mais exclusivement pour sa petite personne, son business sulfureux, ses foucades, ses parties de bunga-bunga, ses relations mafieuses.

Pas la moindre trace de grandeur, de respect, de saine ambition, de sens de l’Etat, autant de qualités qui font les grands hommes. Non, rien de tout ça. Juste un bouffon qui laisse derrière lui un champ de ruines et dont le départ a été salué à Rome par un glorieux Alléluia de Haendel improvisé sur une place publique. Pendant que l’homme, humilié, conspué par les citoyens, tentait un dernier discours qui virait au requiem politique.

Le « caïman » a fini par épouvanter les marchés. Ils ont eu sa peau, avec le soutien de l’Union européenne sous la houlette du couple franco-allemand. C’est que l’heure était grave. Les investisseurs refusaient de prêter davantage à l’Italie, tant sa dette avait enflé pour atteindre les 1 900 milliards d’euros, soit 120 % du PIB. Et ce malgré la puissance de son économie qui l’a hissée au 7e rang des pays les plus performants à l’échelle mondiale et au 3e rang à l’échelle européenne. « Je fais le Premier à temps perdu », fanfaronnait Berlusconi il y a quelques mois à peine. Pendant dix ans, le « guide suprême » a mis son pays par terre en n’engageant que des réformettes, alors qu’il fallait des réformes structurelles, et en confortant l’ « Etat Mamma », tandis que les financiers espéraient des décisions rigoureuses. Résultat : les impôts n’ont cessé de croître, la fracture Nord-Sud s’est aggravée, l’Etat est toujours aussi inefficace et le taux de chômage des jeunes atteint 30 %. Triste bilan pour l’ami de Kadhafi qui a dû, lui aussi, « se casser ». Pour toujours ? Pas sûr. A 75 ans, sa capacité de nuisance semble encore intacte. N’a-t-il pas menacé de « débrancher la prise quand il le voudrait » ?

Place donc aujourd’hui à Mario Monti, il Professore, le « sauveur » ! Tout l’opposé du « président-empereur » dont le score de popularité avait dégringolé à 22 %. Pas d’arrogance d’argent, de rodomontades, rien que du sérieux chez Super Mario. Tout comme en Grèce, les élus italiens abandonnent ainsi le pouvoir que leur a confié le peuple aux technocrates. Un geste dicté par la dette et par le discrédit qui frappe la classe politique. Et puis, quand les acteurs, dans l’impasse, ont peur des électeurs, quoi de plus tentant que de s’en remettre aux spécialistes qui, eux, n’ont pas d’idéologie à défendre, même si, in fine, ils devront répondre de leurs décisions tant à la rue qu’au Parlement ?

Une nouvelle gouvernance qui jette une lumière bien crue sur l’absence de prospective, d’anticipation, de courage de bien des politiciens, tout juste capables de gérer les affaires courantes, à l’image d’un Yves Leterme, assis sur sa valise, et qui piaffe d’impatience de gagner Paris enfin ? Jusqu’ici, notre pays a échappé au scénario catastrophe de la Grèce, de l’Italie et – peut-être demain ? – de l’Espagne. Mais l’étau se resserre. Et plus que jamais, les citoyens espèrent de nos responsables, malgré l’étroitesse des marges disponibles, des décisions budgétaires visionnaires, innovantes, justes, et dopantes pour la croissance. Un voeu pieux ?

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