Olivier Mouton

E-Change: un mouvement bienvenu, mais incomplet

Olivier Mouton Journaliste

Le  » mouvement politique pluraliste  » veut repenser le système, briser les tabous et penser à long terme. Une démarche bienvenue. Mais qui ne va pas (encore) au bout de la logique.

Ceci n’est pas un parti, aurait peint René Magritte. En laissant entendre que ce pourrait peut-être l’être, aussi… E-Change, ce « mouvement politique pluraliste » comme il se baptise lui-même, a fait son coming out public, mardi soir. Enfin, serait-on tenté d’écrire, tant l’initiative de Jean-Michel Javaux (Ecolo), Alda Greoli (CDH) et consorts a fait l’objet de nombreuses spéculations, depuis que des fuites ont dévoilé son existence, en juin 2017. C’était peu après l’avènement d’Emmanuel Macron en France, alors que les scandales et la défiance citoyenne laissaient entendre qu’une initiative comparable pourrait voir le jour en Belgique francophone. C’était suite à l’appel lancé un an plus tôt par des patrons, dont Baudouin Meunier (ex-UCL Mont-Godinne) et Bernard Delvaux (Sonaca), en faveur d’une Belgique qui redémarre au départ de projets concrets. Voilà donc la fusée E-Change lancée. Une initiative bienvenue, mais incomplète.

La naissance de ce mouvement doit être saluée parce qu’elle a le mérite de vouloir apporter des réponses nouvelles aux trop nombreux blocages qui grippent la société belge. Oui, il est plus important que jamais de surmonter les frontières traditionnelles entre partis, souvent dépassées, qui figent la réflexion et imposent des rentes de situation. Oui, aussi, il est temps de générer une assise nouvelle pour apporter des réponses novatrices aux enjeux de l’heure, sans aucun tabou. Et oui, enfin, il convient de penser à long terme pour initier des changements en profondeur au service des générations futures, dans une société où le défi climatique, les enjeux socio-économiques ou les malaises identitaires réclament d’urgence un changement de logiciel. Il est urgent de repenser notre système démocratique si l’on veut éviter les dérives populistes ou les imbroglios à la sauce italienne. Oui, oui et oui ! Le cadre de travail est là. Il s’agit désormais de le remplir.

Cela étant, E-Change présente plusieurs failles qui risquent de nuire à son épanouissement.

Tout d’abord, une ambiguïté fondamentale demeure quant à la finalité du projet. Ce n’est donc pas un parti, et ce ne le sera pas, mais il s’agit bien d’un « mouvement politique ». Soit. « Notre but est d’impacter la politique, mais nous ne voulons pas créer un parti, il n’en est pas question », défend Baudouin Meunier ce mercredi dans les colonnes du Soir. Non sans reconnaître qu’un Jean-Michel Javaux, notamment, pensait à la création d’un nouveau parti chaque matin en se rasant. Il est notoire aussi que les nombreux humanistes participant au projet songent à une alternative à leur CDH en crise. Qu’en sera-t-il donc ? E-Change finira-t-il pas se présenter sur son nom propre aux élections de 2019 ? Ses membres seront-ils mandatés pour jeter des ponts et induire des coalitions ? Ce sont là, bien sûr, des questions se référant une ancienne manière de faire de la politique. Mais E-Change devra bien y répondre, un jour. Car c’est à travers ce pragmatisme-là qu’il pourra réellement impacter ce système politique qui se verrouille de l’intérieur pour mieux protéger ses acquis.

Ensuite, si E-Change fait souffler un vent nouveau sur la politique francophone, il continue à donner l’impression d’un « entre soi » peu révolutionnaire. Ses initiateurs se sont d’ailleurs retrouvés pour cette grande première dans les locaux d’un club de football (le Standard), là où les grands de ce monde mènent leur diplomatie secrète. Et ce sont, en grande majorité, des politiques émanant de partis traditionnels, des responsables économiques bien en place, des syndicalistes respectés, des académiques réputés… Ce n’est évidemment pas une tare, c’est même une condition indispensable à la réussite d’un projet. Mais il est regrettable que des passerelles n’aient pas (encore) été jetées vers les nombreuses initiatives citoyennes qui ont vu le jour depuis le début des scandales Publifin, Samusocial & co : En-marche.be, Oxygène, Belvox, Trop is te veel, Cumuleo, pour n’en citer que quelques-unes. Dans cette volonté bienvenue de transformer le système, il est indispensable de fédérer les énergies pour autant qu’elles soient constructives. En surmontant les questions d’ego.

Enfin, on peut comprendre qu’E-Change s’enracine en Belgique francophone. Ce mouvement émane de ses forces vives, il est né des maux profonds qui gangrènent la Wallonie et Bruxelles, c’est tout naturellement là qu’il doit trouver son expression première. Mais les maux en question, les blocages dénoncés, sont souvent inhérents à notre spécificité belgo-belge, à notre lasagne institutionnelle, à nos incompréhensions communautaires, fussent-elles larvées. Il sera indispensable, à terme, de jeter des ponts vers la Flandre, aussi. Pour ne pas parler, ensuite, d’une indispensable dynamique européenne, car c’est à ce niveau-là que la plupart des réponses à long terme doivent être trouvées.

E-Change n’est plus une société secrète. Le mouvement est désormais accessible à tous. Il reste à savoir si ce mouvement réussira à transformer l’essai vers un monde plus ouvert.

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