La possibilité de voir un jour libérés des psychopathes comme Jérémy Pierson est insupportable aux yeux de l'opinion publique. © BERT VAN DEN BROUCKE/PHOTO NEWS

Dutroux, Pierson,… Les psychopathes sont-ils réellement irrécupérables ?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Que faire des psychopathes ? Sont-ils réellement irrécupérables ? Faut-il les incarcérer ou les interner ? Ont-ils une chance de sortir de prison ? Les questions qui dérangent.

Même romanesque, une parole de flic vaut parfois un long discours. Dans Le Bonhomme de neige, best-seller de Jo Nesbø récemment porté au cinéma, l’inspecteur Harry Hole lâche, en évoquant le tueur en série qu’il traque et qui a décapité sa dernière victime :  » Les gens qui commettent ce genre de crime sont fous, sans exception, mais pas nécessairement au sens pénal.  » Cela résume bien le débat sur les psychopathes qu’a récemment suscité l’avocat Bruno Dayez en prenant la défense de Marc Dutroux dans sa demande de libération conditionnelle. Comme Harry Hole, Me Dayez met le doigt sur une fameuse contradiction de notre justice pénale.

Dans Le Vif/L’Express du 28 août 2017, il déclarait déjà :  » Si le système carcéral est inadapté à remettre en selle certains criminels, qu’on considère alors comme irrécupérables, est-ce leur place d’être en prison ?  » En effet, la plupart des assassins psychopathes sont décrétés incurables mais responsables de leurs actes. Or, notre système pénal ne prévoit pas de les envoyer purger leur peine ailleurs qu’en prison, dans un établissement de défense sociale par exemple. L’opinion publique ne comprendrait pas.

Thierry Pham, professeur en psychologie légale à l'U-Mons.
Thierry Pham, professeur en psychologie légale à l’U-Mons.© SDP

Mais, en Belgique, la perpétuité, peine maximale, n’est en principe plus réelle. Ce serait contraire à la Convention européenne des droits de l’homme qui ne permet pas des peines d’emprisonnement à vie. Les condamnés à perpète – donc aussi les psychopathes  » irrécupérables  » – peuvent demander leur libération conditionnelle au bout de quinze ans d’incarcération (vingt-trois ans, s’ils sont récidivistes), sauf s’ils font l’objet d’une mise à disposition du tribunal d’application des peines qui peut encore rallonger ce délai, de quinze ans maximum. Bref, il existe une possibilité, certes infime, de les voir libres un jour, et cette possibilité paraît insupportable aux familles des victimes et à l’opinion publique. La récente controverse à propos de Dutroux l’a montré, une fois de plus.

C’est un problème cornélien pour les politiques belges qui, depuis qu’a éclaté l’affaire Dutroux en 1996, n’ont cessé de cadenasser de plus en plus étroitement l’accès à la libération conditionnelle. Avec l’espoir que les criminels les plus dangereux croupissent derrière les barreaux jusqu’à la fin de leurs jours, en essuyant refus après refus de la part du tribunal d’application des peines, de mieux en mieux bardé légalement pour faire barrage à leur tentative de se voir libérer. Une politique hypocrite, limite au regard des droits de l’homme, et qui ne répond pas non plus entièrement aux attentes de l’opinion qui voudrait avoir la garantie que les Dutroux, Pierson et autres Hardy ne sortent jamais de prison.

Irrécupérables, vraiment ?

Si les peines perpétuelles incompressibles ne sont pas possibles, que faire alors des psychopathes ? Et d’abord, sont-ils vraiment incurables ? Pour le célèbre spécialiste français des tueurs en série, Stéphane Bourgoin, il n’y a guère de doute.  » Sur les 77 tueurs en série que j’ai rencontrés à ce jour, un seul a montré ce qu’on peut considérer être un remords sincère, dit-il. Dans l’état actuel de la science, ils sont totalement irrécupérables pour la société.  » Une assertion tranchée que nous avons vérifiée auprès d’un de nos meilleurs spécialistes sur le sujet, le docteur en psychologie Thierry Pham, professeur en psychologie légale à l’U-Mons et directeur du Centre de recherche en défense sociale à Tournai.

Dans l’état actuel de la science, ils sont totalement irrécupérables pour la société

Il nous explique qu’on évalue la plupart du temps le degré de psychopathie d’un individu avec la méthode standard mise au point dès 1991, réactualisée en 2003, par le psychologue canadien Robert Hare, la PCL-R (Psychopathy Checklist-Revised). Ce diagnostic, effectué à partir d’entretiens et de la lecture des dossiers judiciaire, sociaux et psychiatrique, se base sur une échelle de vingt critères. Ceux-ci permettent d’évaluer les facettes interpersonnelle (surestimation de soi, manipulation…), affective (absence de remords, manque d’empathie…), antisociale (faible maîtrise de soi, délinquance juvénile…) et le style de vie (impulsivité, parasitisme…) d’une personne. Chaque donnée est cotée de 0 à 2, le score total étant donc de 40.

Ceux qui présentent un score élevé pour les quatre facettes, dépassant un total de 30 sur 40, sont généralement considérés comme des psychopathes primaires ou prototypiques, soit les plus dangereux et les plus susceptibles de récidiver.  » Pour ceux-là, le pessimisme thérapeutique prévaut, avoue le professeur Pham. Vu leur haut niveau de narcissisme, ils ne sont pas enclins à changer spontanément. Comme ils ne souffrent pas, ils ne sont pas en demande. Or, on sait qu’il est plus facile de travailler avec un sujet en souffrance.  » Des études ont même montré que les traitements classiques avaient un effet négatif sur les psychopathes, en renforçant leur narcissisme et leur tendance à duper autrui.

La récente controverse sur l'hypothétique libération de Marc Dutroux a relancé le débat sur le sort à réserver aux psychopathes.
La récente controverse sur l’hypothétique libération de Marc Dutroux a relancé le débat sur le sort à réserver aux psychopathes.© CEN/REPORTERS

Le spécialiste se veut toutefois nuancé.  » Des expériences récentes sont moins désespérantes, confie-t-il. Il s’agit de traitements qui sont plus ciblés sur le style de personnalité spécifique des individus visés, tenant compte de leur réceptivité, de leurs besoins et du risque de récidive.  » Les objectifs de ces nouvelles thérapies sont davantage de type cognitif et comportemental.

Illustration : il est impossible de changer certaines facettes d’un psychopathe, en particulier le manque d’empathie, cette émotion complexe qui se construit depuis l’enfance.  » Mais l’absence d’empathie ne signifie pas forcément que la personne va récidiver, note Thierry Pham. On peut essayer d’apprendre, y compris à des psychopathes avec des scores de PCL-R élevés, à satisfaire ses besoins sans commettre d’infraction.  » Cela dit, ces expériences sont encore très peu nombreuses et offrent donc peu de résultats.

Si, pour le professeur Pham, les psychopathes dangereux sont plutôt irrécupérables, ils sont néanmoins responsables de leurs actes.  » Ils ne sont pas atteints d’une maladie mentale au sens psychiatrique, comme les schizophrènes par exemple, mais d’un trouble de la personnalité qui ne les empêche pas d’être conscients de ce qu’ils font, précise-t-il. C’est d’autant plus vrai qu’ils sont souvent capables de préméditer leurs crimes.  »

L’incarcération des grands meurtriers psychopathes reste néanmoins controversée. S’ils sont considérés comme incurables, doit-on les maintenir en prison ? Quelques-uns sont internés, mais c’est plutôt rare. Les experts psychiatres ne sont pas d’accord entre eux. Certains estiment que l’internement constitue, comme la prison, une mesure sociale et sécuritaire qui peut répondre aux attentes de l’opinion.

Delphine Paci, présidente de la section belge de l'Observatoire international des prisons.
Delphine Paci, présidente de la section belge de l’Observatoire international des prisons.© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Hypocrisie du système pénal

Les associations qui observent la vie carcérale, elles, dénoncent l’hypocrisie du système pénal. Lors d’un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme contre les peines de sûreté en France, l’Observatoire international des prisons (OIP), section française, indiquait que les peines de réclusion à perpétuité incompressibles n’existent certes pas dans les textes mais bien dans les faits, les chances d’obtenir un aménagement de peine étant quasi nulles pour certains condamnés.

C’est le cas en Belgique aussi, avec (comme nous l’avons vu) la mise à disposition du tribunal d’application des peines.  » Mais surtout, depuis 2013, pour les personnes condamnées à une lourde peine, la décision de libération conditionnelle doit être prise à l’unanimité de cinq juges, ce qui est quasi impossible et pose la question de l’effectivité des recours « , constate Delphine Paci, présidente de l’OIP, section belge. Selon la Cour de Strasbourg, la justice pénale doit laisser au condamné un espoir, même mince, de réinsertion, car une peine incompressible constitue un  » traitement inhumain ou dégradant  » (article 3 de la Convention). Et toute personne a  » droit à un recours effectif devant une instance nationale  » (article 13). Jusqu’ici, seul le Royaume-Uni, où aucun espoir de sortie n’existe, s’est fait taclé par la Cour qui, pour Me Paci, se montre plutôt frileuse en la matière.

On le voit, les législateurs nationaux évoluent sur une corde raide, entre le respect des droits de l’homme et la pression de l’opinion. L’exemple de la Suisse est particulièrement édifiant. Ce pays a aussi connu son lot de psychopathes meurtriers, aux surnoms révélateurs : le  » sadique de Romont « , le  » monstre du Jura « , le  » tueur d’enfants « , l' » étrangleur à la cravate « … En 2004, une association de familles de victimes, menée par la très active Anita Chaaban, a lancé une initiative populaire pour  » l’internement à vie des délinquants sexuels ou violents jugés dangereux et non amendables « .

Lors de la votation, les Suisses se sont prononcés, à plus de 56 %, pour la mesure, et ce malgré l’opposition du Parlement fédéral qui était en train de réformer le Code pénal.  » Nous envisagions, dans cette réforme, une peine d’internement à durée indéterminée, qui revenait quasi au même sauf qu’elle prévoyait une réévaluation régulière « , se souvient Anne-Catherine Menétrey, qui était membre de la commission des affaires juridiques et anime aujourd’hui l’association Infoprisons dans le canton de Vaud.

La pression populaire sécuritaire l’a emporté. Depuis lors, la peine d’internement à vie, qui doit être purgée dans un établissement pénitentiaire, a été prononcée six fois.  » Dans quatre cas, il y a eu un recours et le tribunal fédéral a cassé le jugement, l’estimant contraire à la Convention des droits de l’homme, commente Anne-Catherine Menétrey. Un cinquième recours est pendant.  » Dans les faits, la mesure ne sert donc quasi à rien, sauf à apaiser l’opinion qui se félicite de voir que de telles peines sont prononcées, même si elles sont ensuite annulées. Cela fait moins de bruit que le procès lui-même…

Le sort des psychopathes dangereux reste une question complexe et délicate, qui se pose de plus en plus.  » Ce sont de moins en moins des cas exceptionnels, relève Stéphane Bourgoin. En France, depuis 1999, on a identifié, arrêté et jugé 158 tueurs en série.  »

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